Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Placée sur la défensive par une opposition tentée de pratiquer la fuite en avant sur le terrain glissant de l'insécurité, la gauche a dû accepter de faire quelques concessions. Comme l'ont prouvé les mesures du 10 octobre 1984 renforçant le contrôle de l'immigration clandestine et préludant surtout au regroupement familial. Mesures destinées à combattre l'équation largement ancrée dans l'inconscient collectif : immigrés = insécurité. Ce thème privilégié du Front national, Jacques Chirac l'a repris en intronisant solennellement à l'Hôtel de Ville un conseil parisien de sécurité et de prévention de la délinquance, destiné à empêcher que « Paris devienne Chicago ». Le chef du RPR a attaqué un autre bouc émissaire traditionnel de l'opposition, Robert Badinter. « Avoir nommé un avocat garde des Sceaux est une erreur fondamentale... » Quelque temps avant cette déclaration, plusieurs centaines de chauffeurs de taxi étaient allés manifester sous les fenêtres du domicile du garde des Sceaux à la suite du meurtre de l'un des leurs, le 22 mars 1984, au bois de Boulogne. Éperonnés par le même réflexe qui, un an auparavant, avait conduit plusieurs milliers de policiers à manifester place Vendôme après la mort de deux de leurs collègues.

Dans la rubrique des faits divers qui ont frappé l'imagination des Français, l'assassinat du petit Gregory, jeté pieds et poings liés dans la rivière d'un petit village des Vosges, le 16 octobre 1984, a tenu en haleine les médias pendant plusieurs semaines. L'occasion pour les partisans de la peine de mort de réclamer son rétablissement. Occasion confortée après les meurtres en série de personnes âgées dans le 18e arrondissement de Paris, une affaire qui, portée sur le terrain politique, a provoqué de violentes empoignades verbales à la Chambre des députés.

Plus que les grandes affaires criminelles (elles font en moyenne 250 morts chaque année en France... contre 12 000 décès sur les routes), l'inflation des petits délits a continué d'alimenter le sentiment d'insécurité des Français, toujours plus nombreux à recourir à l'autodéfense. Pourtant, en termes statistiques, d'après une enquête de l'Express, la France n'est pas la plus mal lotie : si 63 Français sur 1 000 sont victimes d'un crime ou d'un délit, les Danois (81 pour 1 000), les Allemands de l'Ouest (73 pour 1 000) et les Britanniques (66 pour 1 000) souffrent d'une criminalité plus importante.

Le terrorisme français

Contrairement aux années qui ont suivi l'accession de la gauche au pouvoir, l'Hexagone n'a pas été le théâtre en 1984 d'actions terroristes « importées » de l'extérieur, via notamment les extrémistes palestiniens. En revanche, le terrorisme « made in France » n'a pas disparu. À commencer par les menées d'Action directe, responsable de sept attentats dans les dix premiers mois de l'année. Aucun blessé grave, mais de gros dégâts matériels. La brigade criminelle a arrêté trois militants présumés de ce groupe, dissous en juillet 1982, issu de l'extrême gauche : Régis Schleicher, Nicolas et Claude Halfen, tous les trois inculpés pour le meurtre de deux policiers avenue Trudaine à Paris, le 31 mai 1983. Arrestations et inculpations ponctuées d'un chapelet de bombes dirigées contre des établissements publics, pour la plupart, liés à la défense nationale. Action directe a tenté de faire sauter le 23 août le siège de l'Union de l'Europe occidentale à Paris. Mais le dispositif de la voiture piégée n'a pas fonctionné et l'explosif a échoué... à la fourrière.

Plus folklorique encore fut la saga du groupe M5, auteur de trois attentats à Lyon-Perrache, Annecy et Grenoble, en août 1984. Derrière cette organisation, qui exigeait 30 millions de francs du gouvernement « comme prix à payer pour la sécurité des Français », se dissimulaient un artisan bricoleur et un étudiant au chômage...

Autrement plus « cadrés » politiquement furent les assassinats de réfugiés basques espagnols victimes du GAL (groupe antiterroriste de libération) : dix nommes tués en six mois dans le sud-ouest de la France. Au moment où les attentats se multipliaient au Pays basque espagnol contre les touristes et les intérêts français, Paris et Madrid tombaient d'accord pour renforcer leur lutte contre le terrorisme. Deux réfugiés basques furent ainsi victimes du revirement du gouvernement français en matière d'extradition, puisqu'ils furent livrés au mois de septembre aux autorités espagnoles.