Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

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Sécurité : sur la défensive

Préoccupation galopante des Français, l'insécurité est restée le grand challenger du chômage en 1984. Les chiffres de la délinquance et de la criminalité ont marqué un fléchissement... dans la hausse. Mais les jeux de la politique ont exacerbé un thème qui, avec la montée en puissance de l'extrême droite conduite par Jean-Marie Le Pen, a su se rendre obsédant, quitte à biaiser les cartes.

Succédant à Gaston Defferre dans le nouveau gouvernement Fabius, Pierre Joxe a pris possession des lieux sans trop d'amertume. Selon les chiffres du ministère de l'Intérieur publiés en septembre dernier, la progression de la criminalité en 1983 a été l'une des moins élevées depuis 1963 (+ 4,4 % par rapport à 1982). Progression jugée « raisonnable » dans la mesure où la moyenne tourne autour de + 10 %. Après l'année terrible de 1982 (+ 18,12 %), il s'agissait d'une « très nette inversion de tendance », d'autant plus tangible qu'elle s'est confirmée pendant le premier semestre 1984 (+ 3,59 %). Ce « mouvement profond propre à rassurer les Français et encourager les fonctionnaires de police », selon Pierre Joxe, doit-il être attribué aux efforts du Comité national de prévention dirigé par Gilbert Bonnemaison ? 250 conseils communaux fonctionnaient en 1984, regroupant, outre des élus, des représentants de la police, de la justice, des associations locales et des éducateurs. Une meilleure efficacité des forces de police (123 000 fonctionnaires dont 10 000 recrutés depuis 1981) avec l'irruption progressive de l'informatique ? Plus de 200 commissariats seront informatisés en 1985. Accalmie passagère, voire trompeuse ? Les prisons n'ont guère connu de décrue et l'analyse des chiffres montre que certains délits comme les cambriolages et surtout ceux liés à la toxicomanie n'ont pas régressé sérieusement (ils représentent plus de la moitié des affaires de comparution devant le tribunal des flagrants délits à Paris). Alors que les crédits affectés à la prévention de la drogue sont restés minces, les efforts n'ont pas manqué dans le domaine répressif : rafles spectaculaires dans certains quartiers parisiens comme l'îlot Chalon (12e arrondissement), accroissement des effectifs policiers chargés de la lutte antidrogue, circulaire de la Chancellerie demandant aux magistrats de poursuivre sans faiblesse les usagers-trafiquants... Pour lutter contre les solvants, la vente du trichloréthylène a été interdite aux mineurs et l'éther a rejoint le tableau C des substances vénéneuses vendues sur ordonnance.

Si les statistiques du ministère de l'Intérieur ont meilleure mine, le fameux sentiment d'insécurité, en décalage avec les faits, est loin de s'être atténué. Il a été accentué par la série noire qui a frappé les forces de l'ordre : 12 policiers et gendarmes tués dans les onze premiers mois de l'année (autant que pour 1983, mais il y en avait eu 16 en 1980, 15 en 1979...). Pierre Joxe a annoncé, le 31 août, un renforcement de la législation sur les armes à feu pour tenter de juguler l'inflation des gros calibres en circulation dans le milieu du banditisme. Mais les syndicats de police sont revenus à la charge pour réclamer « une justice particulière pour ceux qui tirent sur les uniformes ». À savoir : plus de permissions de sortie pour les meurtriers de policiers et l'instauration de peines incompressibles. Exigences partagées par le RPR et Raymond Barre, partisan de la peine de mort dans ces cas-là. Sur le terrain, de plus en plus de policiers ont semblé partager pour leur propre compte la psychose de l'insécurité. Au point de dégainer et de tirer parfois sans légitimité.

Sous la pression de l'opposition, la gauche a eu du mal à opposer un front uni sur cette question. Le porte-parole du PS, Jean-Pierre Destrade, a évoqué publiquement, le 20 octobre, la possibilité de recourir à des peines incompressibles en estimant « urgent que le gouvernement s'engage plus résolument dans le combat contre l'insécurité ». Déclarations qui ont provoqué des remous indignés au sein même du parti socialiste. Raymond Forni, président de la commission des lois, protestant : « Si on continue comme ça, on aura honte devant les gens qui nous ont soutenus. » Mêmes divergences internes concernant la question des contrôles d'identité administratifs, réglementés par la loi du 10 juillet 1982. Alors que le 4 octobre 1984 la Cour de cassation a rappelé les limites des privilèges policiers dans ce domaine, Pierre Joxe s'est déclaré partisan des contrôles préventifs généralisés, la Chancellerie se félicitant pour sa part de la vigilance de la cour suprême.