Ni l'élection de l'ancien président sénégalais Léopold Senghor à l'Académie française, où il succède au duc de Lévis-Mirepoix en juin, ni la mise en place en octobre à Libreville d'une Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), qui regroupe une dizaine de pays, ne font recette, dans une Europe surtout polarisée par la question des euromissiles.
Philippe Decraene
Afrique du Sud
Les menaces de guérilla urbaine
Le terrorisme aveugle semblait la seule réponse possible au système implacable de l'apartheid. Mais les nationalistes noirs frappent désormais des cibles militaires de premier plan.
L'attentat meurtrier de Church Street, à Pretoria, le 20 mai 1983 (18 morts, 217 blessés à la suite de l'explosion d'une voiture piégée devant le quartier général de l'armée de l'air et des renseignements militaires) marque incontestablement un tournant. Suivi, deux jours plus tard, par un raid éclair de l'aviation sud-africaine sur les faubourgs de Maputo, la capitale mozambicaine, cet acte de guérilla urbaine a été revendiqué par l'ANC (African National Congress) d'Oliver Tambo. L'ANC dispose d'un important réseau clandestin de militants et de sympathisants en Afrique du Sud même. Certains membres de sa branche armée Umkhonto we sizwe ont été formés en Union soviétique au maniement des explosifs.
Mais il s'agit là d'une importante révision tactique de la part d'une organisation qui, même à l'époque de ses tentatives infructueuses de guérilla rurale (au début des années 60), a toujours évité de faire des victimes civiles. L'attentat traduit aussi le poids de plus en plus déterminant, au sein de l'ANC, de la jeune génération de militants radicaux issus des émeutes de Soweto, très souvent critiques à l'encontre de la vieille direction nationaliste et prompts à la déborder. L'Afrique du Sud est-elle désormais entrée dans un cycle de violence de type nord-irlandais, où la ville devient le champ d'affrontement privilégié ? C'est probable. Mais pour les militants noirs, la lutte sera longue.
Le quadrillage bureaucratique de l'apartheid, la manière dont il contrôle et détermine la vie quotidienne de chaque Africain donnent en effet au pouvoir pâle une capacité de réaction que n'eut jamais aucune puissance coloniale. « Nous sommes prêts à intervenir partout ou les terroristes trouveront asile », déclarait, peu après l'attentat de Church Street, le ministre des Affaires étrangères Roelof Pik Botha. Et ce ne sont pas là des menaces de forme.
Droit d'ingérence
Encouragés par l'exemple de l'intervention israélienne au Liban, les dirigeants sud-africains semblent en effet persuadés que les expéditions punitives de leur armée à l'extérieur des frontières (Angola, Lesotho, Mozambique) n'entraîneront, sur la scène internationale, que des protestations verbales.
Aussi, tant que Ronald Reagan siégera à la Maison-Blanche, le Premier ministre Pieter Botha estime-t-il pouvoir développer en toute impunité sa propre doctrine Monroe.
L'ensemble de l'Afrique australe est pour lui une zone de sécurité dans laquelle il prétend avoir un droit d'ingérence direct et exclusif. « Négociez ou nous frappons », tel semble aujourd'hui le message leitmotiv de Pretoria à ses voisins. Une menace qui explique sans doute la surprenante succession de pourparlers (au Cap-Vert avec l'Angola, à Komatipoort avec le Mozambique) et d'opérations coup de poing de 1983. Officiellement, l'Afrique du Sud affirme n'en vouloir qu'à ceux de ses frontaliers qu'elle soupçonne d'abriter des camps d'entraînement de l'ANC ou de la SWAPO namibienne. C'est-à-dire tous sauf — pour l'instant — le Botswana, le Swaziland et le Zimbabwe. Mais les fortes pressions économiques et politiques subies par ces deux derniers États démontrent que, même lorsqu'il ne les accuse pas de menées « subversives », le pays de l'apartheid ne supporte pas de voir l'un de ses voisins tenter d'échapper à sa sphère d'influence.
Assouplissement de l'apartheid
Cette inflexible stratégie externe est complétée, sur le plan intérieur, par un certain assouplissement du régime, particulièrement sensible depuis le début de 1983 : légalisation de quelques syndicats noirs, intégration progressive des communautés indienne et coloured (métisse) dans la vie nationale, etc. Certes, la majorité de la population — les Noirs — demeure plus que jamais exclue et la politique des bantoustans, qui consiste à faire de chaque Africain le citoyen d'un homeland (foyer national) à l'indépendance fictive, est poursuivie (un cinquième bantoustan, le Kwandebele, accédera à la souveraineté en 1984). L'assouplissement de l'apartheid est logique quand on sait que l'armée réclame depuis longtemps une extension de la population susceptible d'être enrôlée en cas de conflit : les effectifs militaires devraient doubler, avec l'octroi aux métis et aux Indiens de droits politiques. Logique aussi, puisque l'avènement d'une bourgeoisie urbaine noire est vivement souhaité par des milieux économiques que préoccupe la stagnation de la consommation intérieure.