Il paraît pourtant exclu que se réalise son rêve de devenir, à l'image de Franco, un caudillo chilien. On se demande plutôt quand et dans quelles conditions surviendra son départ de la scène politique. S'il a lieu rapidement, la droite et le centre pourraient en tirer profit. A. Pinochet cristallisant seul le mécontentement. S'il s'accroche, des dérapages ne seraient pas exclus.

Jean-Louis Buchet

Pérou

L'escalade de la répression

Il faut l'assassinat, le 26 janvier à Uchuraccay, dans les Andes, de 8 journalistes venus de Lima pour que l'opinion internationale prenne vraiment conscience de la dangereuse spirale de la violence dans laquelle est engagé le Pérou depuis plus de trois ans. Les reporters, qui voulaient enquêter sur un précédent massacre de guérilleros commis par des Indiens, auraient été victimes d'une tragique « méprise » : les Sinchis (forces spéciales de lutte antiguérilla) auraient donné comme consigne aux paysans de tuer tous les étrangers approchant le village...

Sentier lumineux

Dans ce département déshérité d'Ayacucho (à 600 km au sud-est de Lima), le revenu par habitant est de 50 dollars (contre une moyenne nationale de près de 1 000) et l'analphabétisme dépasse 50 %. Les Indiens Wankas et Chankas — dont les ancêtres ont tenu tête à l'Inca, aux Espagnols, puis aux Chiliens — sont l'enjeu d'une nouvelle guerre sale. Parfois acteurs, souvent victimes : ils sont souvent menacés et rançonnés par les guérilleros du Sendero luminoso (« Sentier lumineux »), qui n'hésitent pas à exécuter les « traîtres » à la lutte contre l'État bourgeois, voire à massacrer des villages entiers.

Cette guerre de la montagne, qui a fait plus de 1 500 morts en 1983 a commencé, dans l'indifférence générale, le 18 mai 1980 quand, après douze ans de régime militaire, les Péruviens élisent à nouveau le président Fernando Belaúnde Terry. Quelques attentats marquent le début de la lutte armée du Sentier lumineux, groupe révolutionnaire d'inspiration maoïste, adepte de la Bande des Quatre, qui récuse Moscou et Washington, mais aussi Pékin et Tirana ! Son appellation est inspirée d'une citation de Juan Carlos Mariategui, un écrivain qui fut à l'origine des principaux courants marxistes du Pérou. Le fondateur du Sendero est un ancien professeur de philosophie de l'université d'Ayacucho, Abimael Guzmán, un illuminé qui devait prendre le nom de guerre de camarade Gonzalo.

Armés de la pensée Gonzalo (Mao plus Mariategui), des universitaires et étudiants d'Ayacucho se préparent, vers la fin des années 70, à la « guerre totale » contre l'État bourgeois. Ne trouvent grâce à leurs yeux ni le gouvernement centriste de Belaúnde Terry (dont le parti, Alianza Popular, est majoritaire au Parlement), ni la gauche et l'extrême gauche, également représentées à l'Assemblée.

Le gouvernement sur la défensive

Se voulant l'étincelle révolutionnaire qui enflammera la révolte des Indiens, majoritaires mais exclus de la société péruvienne depuis cinq siècles, les Sendéristes obligent le président Belaúnde, malgré ses réticences, à décréter l'état d'urgence et à faire appel à l'armée. Celle-ci prend en 1983 le contrôle de trois provinces, sous le commandement du général Noël. Malgré les méthodes tout aussi expéditives des Sinchis, les forces de sécurité ne parviennent pas à obtenir des succès significatifs, échouant en particulier dans leurs tentatives d'infiltration du Sentier lumineux. Ce dernier montre, tout au long de 1983, une capacité opérationnelle grandissante.

Les guérilleros attaquent le 20 mai la ville même d'Ayacucho, siège du commandement politico-militaire de la région. Ils opèrent également à Cuzco et jusqu'à Lima : la capitale est privée d'électricité le 27 mai, à la suite d'attentats à la bombe. Les Sendéristes s'en prennent le 11 juillet — à la dynamite et à la mitraillette — au siège de l'Alianza popular (3 morts et 32 blessés). Preuve que, dans cette ville de 6 millions d'habitants (sur les 18 que compte le pays), dont la moitié au moins sont des Indiens venus des hauts plateaux pour échouer dans des barriadas (bidonvilles), le Sentier lumineux trouve aussi des adeptes. Une partie de la petite bourgeoisie estudiantine semble en effet gagnée par la folie suicidaire des Sendéristes.