Amériques

L'écheveau américain

On ne parle plus des Malouines. L'Amérique a tout fait, en 1983, pour oublier le conflit argentino-britannique qui, au-delà des proclamations solennelles, l'avait profondément embarrassée et divisée. Ayant refermé la parenthèse, elle a retrouvé ses deux grands sujets de préoccupation : la situation économique et les affrontements armés dans le centre du continent.

Les deux thèmes sont inséparables. Washington y joue un rôle clé, avec un président Reagan inflexible, persuadé de la justesse de ses théories. Sur la reprise économique, comme sur la guérilla, l'hôte de la Maison-Blanche reste sourd aux critiques, n'infléchissant sa politique que lorsqu'il y est vraiment contraint.

Dans les milieux dirigeants d'Amérique latine, l'économie l'emporte sur toute autre considération. Comment en serait-il autrement ? 1983 a été la troisième année de récession, après une longue période de croissance. Le chômage et le sous-emploi ont atteint près de 30 % de la population active, alors que l'inflation bat tous les records. Affectée par la baisse du cours des matières premières, par la hausse des taux d'intérêt et la récession aux États-Unis, l'Amérique latine a vu sa dette gonfler de manière dramatique : 330 milliards de dollars — presque la moitié de ce que doit l'ensemble des pays en développement. Elle se ruine en intérêts et réclame sans cesse des mesures de soutien exceptionnelles.

L'attente de la reprise

Les Latino-Américains se sont tournés vers leur riche voisin du Nord qu'ils rendent responsable d'une partie de leurs malheurs. Le remède de cheval imposé par R. Reagan à l'économie des États-Unis ne s'est-il pas traduit par une récession tous azimuts ? Réponse invariable de Washington : les résultats de notre politique d'austérité commencent à se manifester, la reprise aux États-Unis aura un effet d'entraînement sur nos partenaires.

Qu'il y ait reprise, personne n'en doute. Le rétablissement tant attendu aux États-Unis s'est enfin produit au début de 1983. La courbe du chômage a cessé de monter, puis a commencé à baisser, sans provoquer pour autant une nouvelle flambée inflationniste. Les compatriotes de R. Reagan ont eu le sentiment de sortir d'un long tunnel. Mais l'effet d'entraînement n'a guère joué. Pas encore, en tout cas. La reprise est d'ailleurs constamment menacée par un énorme déficit budgétaire, car R. Reagan ne veut pas revenir sur les deux grandes orientations de sa politique : les allégements fiscaux et l'augmentation des dépenses militaires.

La crise économique frappe de plein fouet tous les grands pays d'Amérique latine, y développant une effervescence politique. C'est vrai en Argentine, où les militaires avaient déjà été discrédités par l'équipée des Malouines. C'est vrai au Chili, où le général Pinochet asseyait son pouvoir absolu sur la croissance. Vrai aussi au Brésil, où le pouvoir est contraint de se libéraliser pour calmer l'agitation sociale... En Amérique centrale, les pouvoirs forts, affrontés à une opposition armée, sont particulièrement secoués par cette crise. L'aide économique des États-Unis est nettement insuffisante pour les soutenir. S'ils voulaient simplement retrouver leur niveau de vie de 1980, les pays de la région devraient bénéficier de plus de 20 milliards d'investissements de 1984 à 1990.

Le principe de symétrie

1983 a vu l'extension et le pourrissement de plusieurs conflits locaux : au Salvador, en particulier, pays que Washington ne veut à aucun prix voir tomber entre des mains communistes. R. Reagan craint la « contagion », selon la célèbre théorie des dominos. On a donc assisté à un nouvel accroissement de l'assistance militaire américaine, étendue au Costa Rica, au Honduras et au Guatemala.

L'élément nouveau est le « principe de symétrie », comme disent les stratèges de Washington, et qui pourrait s'énoncer ainsi : faisons au gouvernement du Nicaragua ce qu'on lui reproche de faire au Salvador. Appuyons, en somme, la guérilla antisandiniste et donnons-lui une légitimation démocratique par une vaste opération de relations publiques. Objectif officiel : obliger le Nicaragua à cesser ses livraisons d'armes aux révolutionnaires salvadoriens. Mais le but réel de l'opération est plus ambitieux : isoler le régime sandiniste, le déstabiliser et favoriser une solution globale des conflits d'Amérique centrale.