Cela n'est pas si facile. Comme pour marquer cette saison de retour en arrière, l'Académie française a couronné L'adieu à la femme sauvage d'Henri Coulonges, qui est un mélodrame, presque Les deux orphelines, à cette différence que la jeune héroïne ne conduit pas une petite aveugle, mais sa propre mère devenue sauvage mentalement à la suite du bombardement de Dresde par les alliés. Trente-cinq ans après, il n'est pas mauvais de signaler que les crimes de guerre n'étaient peut-être pas unilatéraux et qu'il y eut des souffrances et des victimes civiles aussi de l'autre côté. Mais, ici, il semble que l'émotion passe mal, que l'arbitraire de l'écrivain est beaucoup plus gênant que chez Robert Sabatier. Tant mieux si les Margot de l'Académie ont pleuré.

L'Académie Goncourt est remontée encore plus haut en couronnant un roman écrit dans une sorte de pré-français, l'acadien d'Antonine Maillet et sa Pélagie-la-Charrette, qui marquera peut-être une date dans l'histoire de la reconquête littéraire de la France par le Québec.

Éternels candidats

Et puis il y a tout le groupe des persévérants, membres des jurys ou anciens lauréats, éternels candidats qui ne désespèrent pas, même quand il n'y a plus rien à espérer d'eux, ou dociles écrivains qui ne se cachent pas de prendre leur tour de bête. C'est peut-être Françoise Mallet-Joris qui a eu le plus grand succès avec son Dickie-Roi, gros roman extrêmement bien fait et bien documenté sur le milieu des chanteurs populaires et de leurs fanatiques. Françoise Mallet-Joris passe son CAP de romancière professionnelle, son certificat d'aptitude, dont elle n'avait d'ailleurs plus besoin depuis longtemps. On en apprend autant sur les locomotives du show-business que dans La bête humaine de Zola sur les chemins de fer de son époque. Et on est un peu déçu parce qu'avec son intelligence, son talent, sa sensibilité au mystère l'auteur pouvait faire des œuvres plus personnelles que ce roman comme tout le monde peut en faire ou en rêver. La voix de F. Mallet-Joris est assurée et posée ; quel dommage qu'on n'y entende pas toujours le léger tremblement de l'écrivain !

René Fallet, avec sa verve un peu grosse et sa plume qui n'arrête pas de faire des clins d'œil, a trouvé une nouvelle recette pour sa Soupe aux choux : il y fait mitonner un martien, et la recette a plu, même s'il ne s'agit pas de haute gastronomie romanesque.

René Barjavel (l'anticipation est derrière lui) tire sa Charrette bleue, le prolifique Pierre-Jean Rémy ajoute un volume à sa pile, Roger Grenier, avec La Folia, écrit un roman d'amour bien parisien avec de jolies choses. Mais on se demande si le boulevard des Pyrénées ne lui convenait pas mieux que la comédie de boulevard, c'est-à-dire s'il n'est pas de ces écrivains qui ont besoin de laisser lentement mûrir en eux les fruits de la vie.

Claude Mauriac raconte dans Un cœur tout neuf la fable d'une femme qui a bénéficié d'une transplantation cardiaque, qui a de la peine à conserver l'amour du mari et compagnon qui est depuis toujours près d'elle, et n'arrive pas à un accord tout neuf avec un jeune Noir. C'est presque un roman bleu, si l'on ose dire, avec de l'intelligence et de l'attention critique. Mais une seconde partie brouille laborieusement les cartes, comme si l'auteur voulait rester fidèle aux tours de cartes d'un roman qui n'est plus tout neuf ni tout nouveau. Jeux de miroirs agencés pour brouiller les traits et les reflets d'un homme vieillissant auquel l'amour seul est resté comme une grande image qui pourrait s'effacer.

Jean-Marie Rouart et Jean-Marc Roberts se sont essayés tous les deux dans le portrait d'homme, et sur des hommes singuliers. Le premier peint Le mythomane, et le titre ôte toute surprise au personnage du baron Magnus, éminence d'un petit monde d'artistes et de politiciens dont nous sentons bien, très vite, que les prétentions ne sont guère fondées. C'est un compte rendu de la grandeur et de la déchéance d'une idole aux pieds de mensonge, en même temps que la peinture d'un monde salonnard dont la crédulité, puis la méchanceté sont observées avec soin. Peut-être le héros abandonne-t-il trop de son secret au passage et en garde-t-il trop aussi à la fin ?

Compétitions

Le personnage central du roman de Jean-Marc Roberts, Affaires étrangères, est aussi un homme dont le comportement intrigue, un directeur de grand magasin dont l'autorité dans les affaires commerciales se double d'une curiosité insistante pour les affaires privées de ses collaborateurs. Ce qui, au début, est peinture de la vie quotidienne d'un petit couple est assez plat, peut-être volontairement. Puis survient ce patron à la fois sévère et affectueux, qui se glisse dans les pensées de son jeune collaborateur, puis dans sa vie conjugale au point de la faire éclater. Il flotte autour de lui un trouble qui pourrait être d'ordre sexuel, mais qui semble bien n'être qu'une forme de volonté de puissance et de domination sur de plus faibles.