Le Tchad devient le 17e État d'Afrique noire placé sous régime militaire. Tenant des propos prophétiques, Ngarta Tombalbaye, assassiné par les putschistes, avait, dix jours plus tôt, accusé l'armée d'être « un État dans l'État ». Sous prétexte de participer à des manœuvres, deux unités, venues l'une de Bokoro, l'autre d'Am Timan, convergent sur N'Djamena, où elles assurent le contrôle de tous les points stratégiques de la capitale.

Répression

Le chef de l'État s'était engagé dans des voies qui soulevaient la réprobation de la population et qui contribuaient à l'isoler de ses compatriotes : révolution culturelle et campagne en faveur de l'authenticité tchadienne, élimination de tous ceux dont la compétence risquait de faire d'éventuels rivaux, épreuve de force avec l'armée, incapacité à triompher de la rébellion.

Hanté par la crainte des complots, N. Tombalbaye était tombé sous l'emprise de certains conseillers qui l'incitaient à recourir à des pratiques magiques, et lui suggéraient d'imposer le retour aux vieux rites animistes traditionnels du yondo. Rencontrant de sérieuses résistances en pays Sara (la christianisation y est importante), le chef de l'État n'avait pas hésité à faire exécuter de nombreux adversaires du yondo. Il avait rebaptisé les principales villes du pays et voulait contraindre l'ensemble des Tchadiens à renoncer aux prénoms chrétiens – imitant ainsi la politique des présidents Mobutu Sese Seko (Zaïre) et Ghansimgbe Eyadema (Togo).

Exil

Pour éviter la prison, la plupart des cadres du parti avaient pris le chemin de l'exil. Parmi eux le Dr Abba-Siddick, leader du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), dont le siège est à Alger, ou Toura Gaba, ancien président de l'Assemblée, leader du Mouvement démocratique de rénovation tchadienne (MDRT), depuis l'assassinat (jamais éclairci) du Dr Outel Bono, le 26 août 1973 à Paris. Des jeunes universitaires refusaient de regagner leur pays ; de proches collaborateurs de l'ancien président, comme le ministre Antoine Bangui, étaient arbitrairement arrêtés. Les épurations se succédaient et provoquaient des coupes sombres dans les rangs de l'élite tchadienne.

Tous les officiers généraux avaient, à un moment ou à un autre, été soupçonnés de conspiration et avaient, à tour de rôle, été éloignés de la capitale. En 1974, le général Jacques Doumro avait été renvoyé dans son village, et le général Odingar, ancien chef de cabinet militaire du président, qui faisait fonction de chef d'état-major depuis l'arrestation de son collègue Malloum, le 24 juin 1973, n'avait jamais été investi officiellement.

L'incapacité de Ngarta Tombalbaye à triompher de la rébellion du Frolinat, qui régnait en maîtresse dans le nord du pays, à contribué à hâter sa perte. Non seulement les partisans du Dr Abba-Siddick contrôlaient une grande partie du Borkou, de l'Ennedi et du Tibesti, mais il semble qu'en échange d'une promesse du président libyen Khadafi de cesser toute aide à la rébellion, Ngarta Tombalbaye ait cédé une partie du territoire national, renonçant secrètement aux clauses de l'accord conclu avant la Seconde Guerre mondiale entre Mussolini et Laval, et étendant le territoire tchadien vers le nord au détriment de la Libye. Actuellement, de petites agglomérations, comme Aouzou, sont occupées par les militaires libyens, sans que les nouveaux dirigeants tchadiens aient pu obtenir leur retrait.

Otages

En mars 1974, les rebelles Toubbous d'Hissene Habre, un groupe indépendant du Frolinat, enlevaient deux ressortissants français, Mme Claustre, archéologue et femme d'un haut fonctionnaire de la Coopération, et Marc Combe, coopérant technique. Soucieux de ménager N. Tombalbaye, Paris refusait de céder aux exigences jugées excessives d'Hissene Habre et chargeait le commandant Pierre Galopin, en poste à N'Djamena, de négocier le sort des otages. Mais ce dernier, prisonnier à son tour des rebelles en septembre 1974, est assassiné le 4 avril 1975. Il faut attendre la chute du dictateur tchadien pour que Marc Combe réussisse une évasion spectaculaire à travers le Fezzan, pour atteindre l'oasis de Koufra, après avoir subi quatorze mois de captivité. Le ministère français de la Coopération poursuit inlassablement d'épineuses négociations pour obtenir la remise en liberté de Mme Claustre.