Côte à côte prosternés en direction de La Mecque, on trouve là le président Ali Bhutto, du Pakistan, le colonel Kadhafi de Libye, le roi Fayçal d'Arabie Saoudite, les présidents Sadate, d'Égypte, et Boumediene, d'Algérie. Et Yasser Arafat, président de l'Organisation de libération de la Palestine. Et Mujibur Rahman, le chef charismatique du Bangla Desh. Et le général Idi Amin de l'Ouganda. Et bien d'autres, présidents, rois ou émirs, revêtus des costumes les plus divers.

Oumma

Ces grands du tiers monde représentent des régimes de tous genres, ils se réclament d'idéologies fort différentes. Le seul ciment de cette assemblée est l'adhésion à l'Islam, l'appartenance à la Oumma, la communauté musulmane, un monde immense qui compte 600 millions de fidèles. En fait, après avoir prié, ces hommes d'État vont vite revenir à ce qui est leur domaine : la politique, la diplomatie. Là, malgré leur foi commune, malgré le souci de présenter aux infidèles un front commun, ils ne parviendront pas à masquer tout à fait leurs divergences.

Il faut dire que l'idée de sommets islamiques avait, dès l'origine, un sens politique. C'est le roi Fayçal qui, le premier, avait lancé cette idée lors d'un séjour à Téhéran, en décembre 1965. Il s'agissait dans son esprit de faire front contre les « idéologies matérialistes » et, plus précisément, de mobiliser les forces de l'Islam traditionnel pour combattre l'arabisme progressiste et, en particulier, celui de Nasser. C'est d'ailleurs ce dernier qui devait retarder la réalisation du projet.

Le roi du Maroc Hassan II, en juin 1969, reprend à son compte l'idée de Fayçal. Entre-temps, la guerre de Six Jours a modifié le rapport de forces au sein du monde arabe. L'incendie de la mosquée El-Aksa de Jérusalem, en août 1969, (Journal de l'année 1969-70) provoque une vive émotion dans tout le monde musulman, bien au-delà des pays arabes. Dans ce contexte, Hassan II réussit à organiser sa conférence à Rabat.

Trente-cinq pays sont invités (ceux qui comprennent plus de 20 % de musulmans, à l'exception de l'Albanie) ; dix d'entre eux déclinent l'invitation. On parle surtout de Jérusalem et du conflit judéo-arabe. Mais des tensions se manifestent entre conservateurs et progressistes, entre pays en conflit. Le Pakistan réussit à faire exclure l'Inde. Le sommet de Rabat se sépare après avoir pourtant décidé la création d'une agence de presse, d'un fonds de solidarité, d'une université et d'un centre culturel islamiques. Cinq ans après, aucune de ces institutions n'a vu le jour.

Mais la guerre d'octobre 1973 a soulevé l'enthousiasme dans l'opinion des pays musulmans, qui ressentent davantage leur solidarité avec les Arabes.

Entre les États arabes, les divergences subsistent, mais en fait elles sont moins profondes, et tous ont désormais le souci d'obtenir l'appui de la Oumma pour leur cause. Tel est le but profond de la conférence de Lahore, et il est apparemment atteint puisque les participants unanimes adoptent une résolution de soutien à la cause palestinienne, réclament l'évacuation immédiate de tous les territoires occupés en 1967 par Israël, y compris le secteur oriental de Jérusalem. Le roi Fayçal n'a-t-il pas juré qu'avant de mourir il irait prier dans la Ville sainte placée de nouveau sous juridiction arabe ?

Que penser de cette unanimité ? Les divergences entre États musulmans ont-elles toutes disparu ? Certes, le Pakistan et le Bangla Desh se sont réconciliés à Lahore lorsque leurs deux présidents se sont embrassés.

Mais la frontière entre Iran et Irak retentit périodiquement du bruit des fusillades, et l'Iran continue d'aider Israël, un conflit latent oppose le Pakistan et l'Afghanistan, les petits États musulmans pauvres s'inquiètent de devoir payer plus cher leur pétrole ; le colonel Kadhafi, quant à lui, a réussi à s'aliéner, par son intransigeance politico-religieuse, la plupart des autres dirigeants arabes, des plus progressistes aux plus traditionalistes.

Solidarité

Par-delà les manœuvres politiques, le sommet de Lahore prouve néanmoins un fait : la solidarité musulmane, les liens symboliques puissants qui unissent, aux yeux des croyants, les membres de la Oumma. En terre d'Islam, où la politique est toujours mélangée à la religion, même les dirigeants les plus agnostiques, les plus influencés par le marxisme doivent en tenir compte. De plus en plus, ils constatent d'ailleurs que l'utilisation de ces sentiments peut être un très puissant levier pour l'action.