Le Diable et le Bon Dieu, de Jean-Paul Sartre, avait été créé en 1951. Le TNP a eu l'heureuse idée d'inscrire cette grande tragédie métaphysique de notre temps et de confier à François Périer le soin de parcourir toutes les étapes d'un grand rôle. Ainsi avons-nous retrouvé le plus admirable de nos comédiens, que le Boulevard avait quelque peu confisqué depuis trop longtemps. Devant des salles ferventes, éblouies par l'intelligence du texte, de l'interprète et de la mise en scène de Georges Wilson, Sartre est devenu assuré de durer au théâtre.

Sur la même scène, où l'on n'avait pu monter la Passion du général Franco, de Gatti, Wilson a choisi de reprendre la Résistible Ascension d'Arturo Ui, de Bertolt Brecht, en empruntant Robert Hirsch à la Comédie-Française. La pièce est toujours admirable. La prise du pouvoir par Hitler est en même temps l'annexion de Hitler par Hirsch. On a pu dire que cette interprétation hallucinée nous rapprochait trop du chancelier du Reich et ne nous dirigeait pas assez vers d'autres « ascensions », tout aussi « résistibles ». Hirsch a choisi de jouer comme Brecht le souhaitait en 1941.

Qui dira ce que dirait Brecht aujourd'hui ? et n'est-ce pas plutôt à des auteurs d'aujourd'hui d'écrire leurs indignations ? Il est vrai que le cinéma les sollicite plus directement. Il y a vingt ans, c'est un Brecht grec qui aurait écrit le film Z, de Costa Gavras. Aujourd'hui, Brecht choisirait peut-être l'écran. Le principal demeure : Arturo Ui donne une dimension shakespearienne à la plus grande tragédie du xxe siècle, et il la donne au théâtre.

Auteurs d'aujourd'hui

Mais ces auteurs d'aujourd'hui, il se trouve que notre époque les inspire rarement. Du moins, les directeurs choisissent de monter des pièces plus occupées de passions éternelles que du mouvement contemporain.

Côté américain, on nous a révélé une pièce bien faite, mais sans grand intérêt, d'Arthur Miller, le Prix, où l'argent est le moteur du drame. On a souri avec infiniment plus de plaisir aux fantaisies de Murray Shisgal, qui nous montre les Chinois de Brooklyn, grâce à Pascale de Boysson et à Laurent Terzieff.

Côté français, Jean Mercure a eu la malencontreuse idée d'exhumer un médiocre scénario de cinéma signé Jean-Paul Sartre, sous le titre l'Engrenage, et le public a sincèrement pu croire qu'il tenait là une explication aux drames du socialisme confronté avec l'économie capitaliste et pétrolifère. C'était au Théâtre de la Ville, dans une grande débauche d'accessoires singeant l'avant-garde. En réalité, nous étions revenus à l'Odéon et à Saint-Georges de Bouhélier. Jean Anouilh, avec le Boulanger, la boulangère et le petit mitron, nous a dit une fois de plus que la vie est un vaudeville plein de bruits de bidet, raconté à un pur enfant, et ne signifiant rien. La mécanique horrible du grand talent de Michel Bouquet donnait à cette farce une dimension tragique, un peu forcée.

Une fois de plus, le charme Duras a opéré, au petit TNP, avec l'Amante anglaise, troisième œuvre que Marguerite Duras tire du même fait divers. L'interprétation de Madeleine Renaud, de Michel Lonsdale et de Claude Dauphin y était pour beaucoup, sous la mise en scène discrète de Claude Régy.

Mais, enfin, ce ne sont pas là des auteurs nouveaux, que ces auteurs en possession d'un métier déjà éprouvé. La vraie nouveauté, ce n'est certes pas chez Pierre Fresnay qu'on a pu la trouver, avec un texte laborieux de Christian Liger intitulé la Tour d'Einstein.

Ni à Lyon, où Roger Planchon, en faisant revivre à sa manière la tragédie du curé d'Uruffe, choisissait dans l'Infâme ce qui ressemblait le plus à ses propres cauchemars, mais donnait un spectacle fort, d'une éloquence sombre et d'un mysticisme paysan très efficaces. Ni même au théâtre de Lutèce, fidèle à Roland Dubillard, dont le Jardin aux betteraves avait l'habituelle cocasserie, mais déjà un peu éraillée, comme si Dubillard, à moudre sa farine de mots, commençait à vieillir trop vite.

Le seul auteur français dont on puisse dire avec certitude que nous tenons en lui un auteur d'avenir porte un nom italien, est un « Rital » de Paris et a donné deux pièces passionnantes. Lundi, monsieur, vous serez riche, comédie à musique, dans une admirable mise en scène de Raymond Vogel, a bénéficié d'un triomphe chez les critiques. Le public n'a pas marché, et c'est là un mystère. Ce spectacle avait tout pour plaire.