Cette hémorragie a surtout touché les salles de quartier des grandes villes, souvent vétustés, peu adaptées aux nouveaux procédés cinématographiques et programmant des spectacles avec plusieurs semaines de retard sur leur première exclusivité. Les amateurs, prévenus par leur journal, leur radio ou leur télévision, veulent désormais voir le plus vite possible le film dont on parle. Aussi ne doit-on pas s'étonner que les cinémas d'exclusivité aient remarquablement conservé leur public. D'un autre côté, une nouvelle vague de spectateurs est née, considérant le cinéma comme un art indépendant et non plus comme un pur divertissement : on ne va plus simplement au ciné, on va voir un film de Lang, de Welles, de Renoir, de Bergman ou d'Ophuls. Depuis 1960, deux phénomènes caractéristiques ont profondément remué les structures mêmes de l'exploitation cinématographique : d'une part la reconversion de certaines salles de quartier en salles d'exclusivité, de l'autre la multiplication des salles d'Art et essai.

Formule en expansion

C'est en 1950 qu'apparaît à Paris le premier cinéma d'essai patronné par l'Association française de la critique de cinéma. Petit à petit, d'autres salles s'orientent vers une programmation dite spécialisée. L'Association française des cinémas d'Art et essai, fondée en septembre 1955, propose aux pouvoirs publics une charte comprenant à la fois une définition des programmes Art et essai et un mode de classement desdites salles s'engageant à projeter ces programmes. En 1961, les textes officiels réglementant la situation du cinéma d'Art et essai sont publiés par décret.

Le mouvement était lancé et bien lancé. L'Association groupait, en 1956, 12 salles dans la région parisienne. En 1966 sur les 179 salles classées (en noir) ou en instance de classement (en bleu), Paris et sa banlieue en comptent 103. Les chiffres sont éloquents. Le pourcentage de la capitale l'est aussi.

La concentration d'un nombre aussi important de ces salles à Paris pose plusieurs problèmes. La majorité des cinémas qui ont fermé leur porte depuis une dizaine d'années sont essentiellement des salles de quartier et de banlieue, ou d'arrondissements périphériques, la majorité des salles nouvelles appartient à la catégorie Art et essai et, pour 60 % d'entre elles, sont situées dans le Quartier latin (où, en trois ans, ont été successivement inaugurés le Médicis, le Racine, le Studio de La Harpe, les Trois Luxembourg, le Studio Gît-le-Coeur, le Studio Alpha).

Qu'est-ce qu'un cinéma d'Art et essai

Les programmes cinématographiques d'Art et essai doivent être composés de films présentant l'une au moins des caractéristiques suivantes :
1o Films présentant d'incontestables qualités, mais n'ayant pas obtenu auprès du public l'audience qu'ils méritaient.
2o Films ayant un caractère de recherche ou de nouveauté dans le domaine de la création cinématographique.
3o Films reflétant la vie de pays dont la production cinématographique est assez peu diffusée en France.
4o Films de court métrage tendant à renouveler par leur qualité et leur choix le spectacle cinématographique.

Les programmes d'Art et essai peuvent inclure également :
a) à concurrence d'un maximum de 50 %, des films de reprise présentant un intérêt historique ou artistique et des films considérés comme des classiques de l'écran ;
b) à concurrence d'un maximum de 25 %, des films récents ayant concilié les exigences de la critique et la faveur du public et pouvant être considérés comme apportant une contribution notable à l'art cinématographique ;
c) à concurrence d'un maximum de 10 %, des films d'amateurs présentant un caractère exceptionnel.

Deux années d'efforts

On a pu parler de ghetto intellectuel et regretter avec juste raison le manque d'audace et le conformisme de certains exploitants spécialisés, qui vivent sur des recettes éprouvées, se contentent d'afficher des programmes entièrement consacrés aux films classiques, archi-connus, et sclérosent leur salle autour d'une vingtaine de titres classiques. Ces accusations ne sont pas entièrement gratuites.