Magicien du mouvement, Igor Moisseiev et sa troupe, composée d'étourdissants virtuoses, se situent finalement au-dessus du folklore.

Sur un poème de Lorca

Au-dessus du folklore aussi, le danseur Luisillo, qui vint présenter au théâtre des Champs-Élysées, en février, son Théâtre de danse espagnole.

Luisillo, un des plus grands danseurs espagnols de notre temps, est le digne successeur de Vicente Escudero. L'art de Luisillo est un art raffiné, noble et dépouillé. Nanti de toutes les techniques chorégraphiques, musicien, metteur en scène, Luisillo prend possession de la scène avec une rare maîtrise, imposant en véritable chef d'école le respect de l'art traditionnel qu'il défend. La Luna de sangre, sans orchestre, sur un poème de Lorca, partage avec le Boléro de Ravel le sommet de son génie chorégraphique. Luisillo livre un impressionnant Boléro dans lequel le tracé chorégraphique se développe parallèlement à la partition de Ravel, par un crescendo de zapateados exécutés par un nombre croissant de danseurs.

La réussite de l'expérience de Luisillo avec Boléro devrait donner confiance aux artistes qui s'inspirent d'œuvres populaires. Cependant, les résultats ne sont pas toujours heureux. Le Roméo et Juliette, sur la partition de Prokofiev, monté à l'Opéra de Paris par le danseur Atilio Labis, fut très discuté. Sur la même scène, le ballet de Georges Skibine, la Péri, ne fut pas davantage une création importante. Où faut-il puiser les thèmes générateurs d'inspiration nouvelle ?

Sur la mise en scène

À l'Opéra de Marseille, le chorégraphe et metteur en scène Joseph Lazzini cherche à imposer ses conceptions de la danse contemporaine et n'y parvient que difficilement : ses ballets, présentés dans le cadre des soirées des Maisons de la culture, laissent apparaître trop d'influences étrangères, malgré d'indéniables et valables qualités de mise en scène qu'on y rencontre.

Depuis quelque temps déjà, nos chorégraphes dirigent leurs recherches davantage sur la mise en scène que sur la chorégraphie. Roland Petit n'échappe pas à cette tendance en créant le ballet Paradis perdu, sur une partition de Marius Constant. Ce ballet, dansé par Margot Fonteyn et Rudolph Noureev, a fait cependant à Londres, au Covent Garden, figure de ballet d'avant-garde.

Chansons

Quelques voix justes dans le fracas publicitaire

Pendant des siècles, la chanson a été un grand art populaire, le plus souvent anonyme. Elle est devenue ensuite un art personnel, puis un artisanat. Elle est aujourd'hui une industrie.

On fabrique et lance une chanson — un tube en argot de métier — comme on fabrique et lance un produit d'entretien ; on fabrique et lance de même un chanteur ou une chanteuse.

De ce point de vue, 1966 aura été l'année Antoine-Mireille Mathieu et 1967 l'année Dutronc-Mireille Mathieu. Dutronc s'est lancé dans le sillage d'Antoine, dont le succès ne se maintiendra peut-être pas au-delà de deux saisons.

Huit nouveautés par jour

Les variétés représentent 80 % de la production mondiale de disques.

Il a paru chaque jour, en France, entre 7 et 8 disques de variétés. Cinq éditeurs se partagent 80 % du marché français (Barclay, Decca, Pathé-Marconi, Philips et Vogue).

Mais 37 % seulement des Français possèdent un électrophone...

Chanson et politique

Ni l'un ni l'autre ne sont des chanteurs au sens strict du mot ; plutôt des chansonniers dont le répertoire, pour différent qu'il soit de celui des chansonniers traditionnels, n'en a pas moins les mêmes caractéristiques : facilité proche du canular estudiantin, faible : valeur musicale. Il est à noter que les Élucubrations d'Antoine ont inspiré à un vrai chansonnier, Pierre Gilbert, une de ses meilleures parodies, Antoineries.

À noter aussi que Dutronc doit beaucoup à son parolier, le journaliste et romancier Jacques Lanzman, et qu'une de leurs chansons, les Cactus, a été citée dans un discours du Premier ministre à l'Assemblée nationale. À noter enfin qu'en valeur absolue un Nino Ferrer est au moins l'égal d'Antoine et de Dutronc ; il n'est pas exclu que sa cote, déjà très élevée, dépasse un jour la leur.