Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goya (Francisco) (suite)

En 1814, au retour du roi Ferdinand VII, Goya exécute les deux fameuses toiles du Deux-Mai et du Trois-Mai (Madrid, Prado), qui lui sont commandées par le Conseil de Régence et qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture, où le romantisme et le réalisme s’opposent avec une vigueur incroyable. Entre 1810 et 1820, Goya reprend le burin et exécute trois séries fameuses de gravures : les Désastres de la guerre, la Tauromachie et les Proverbes ou Disparates, pour lesquelles il existe de nombreux dessins préparatoires. Vers 1814 se placent les dernières œuvres officielles, comme la Junte des Philippines (musée de Castres), immense toile où les réminiscences de Vélasquez sont sensibles. Comme pour la composition du Trois-Mai, Goya transpose un sujet historique dans un registre tellement original qu’il en renouvelle complètement l’iconographie. C’est Daumier avant la lettre, à l’échelle monumentale.

En 1819, Goya peint l’une des plus belles peintures mystiques espagnoles, la Dernière Communion de saint Joseph de Calasanz (Madrid, San Antón). Mais, à la fin de l’année, il tombe de nouveau gravement malade. Nous en avons la preuve grâce à la dédicace du Portrait de l’artiste avec son médecin Arrieta, de 1820 (Minneapolis, Institute of Arts). Goya vient de se rendre acquéreur de la fameuse « Maison du sourd », la « Quinta del Sordo », demeure qu’il décore d’une série de peintures sombres et fantastiques, version monumentale des Caprices, mais traduite dans un style et une facture qui annoncent l’expressionnisme du xxe s. (ces quatorze peintures se trouvent maintenant au Prado). En 1820 éclate la révolte constitutionnelle. Le roi Ferdinand VII est obligé de fuir ; lorsqu’il reprendra le pouvoir en fin 1823, après trois années de troubles, s’établit la « terreur blanche ».

Goya, en dépit de son grand âge, semble s’engager dans l’opposition, de sorte qu’au retour de Ferdinand VII il est obligé de se cacher. En mai 1824, lors du décret d’amnistie arraché au roi par les Alliés, il s’empresse de demander un congé sous le prétexte de prendre les eaux en France. En réalité, il se rend à Paris, puis, à l’automne 1824, s’installe à Bordeaux avec Leocadia Zorilla de Weiss, entouré de ses vieux amis « afrancesados », en particulier le grand poète Leandro de Moratín. Sa belle-fille et son petit -fils Mariano le rejoindront.

Entre 1824 et 1828, Goya demeure en France, sauf un court voyage à Madrid en 1826 pour prendre sa retraite de peintre de chambre, et, pendant ces quatre années, exécute une série de chefs-d’œuvre. D’une part, il s’initie à la lithographie, et ce sont les magnifiques planches des Taureaux de Bordeaux ; d’autre part, il peint une étrange série de miniatures sur ivoire, dont on connaît dix-huit exemplaires seulement.

Il est symbolique de constater que l’œuvre et la vie de l’un des plus grands maîtres espagnols, peut-être du plus complet, s’achèvent en 1828 sur la claire image de la Laitière de Bordeaux (Madrid, Prado), où, en dépit de ses quatre-vingt-deux ans, malade, sourd et commençant à devenir aveugle, Goya s’exprime avec une liberté d’expression et de technique qui montre que son génie est une suite de perpétuels rebondissements. Tel Antée, il reprend force et inspiration chaque fois qu’il touche à la vie, sublimant ainsi et les recettes d’atelier et son expérience de peintre pour devenir lui-même « créateur » au plein sens du terme.

J. B.

 OUVRAGES FONDAMENTAUX : F. J. Sánchez Cantón, Vida y obras de Goya (Madrid, 1951). / P. Gassier et J. Wilson, Goya, sa vie et son œuvre (Office du livre, Fribourg, 1970). / J. Gudiol Ricart, Catálogo analítico de las pinturas de Goya (Barcelone, 1970).
APERÇUS GÉNÉRAUX : A. Adhémar, Goya (Tisné, 1947). / A. Vallentin, Goya (A. Michel, 1951). / X. de Salas, Goya (New York, 1962 ; trad. fr., Gérard, Verviers, 1964). / E. Harris, Goya (Londres, 1969).

Gozzi (les)

Écrivains italiens.



Gasparo Gozzi (Venise 1713 - Padoue 1786)

La vie et l’œuvre de Gasparo Gozzi s’inscrivent dans le vif de la culture vénitienne de la seconde moitié du xviiie s., qui, sous le signe d’un illuminisme modéré, concret, individuel et quotidien, trouva son expression la plus nuancée dans le journalisme. Issu d’une famille à demi ruinée par la crise économique qui affectait alors la petite noblesse, Gasparo entreprend, après des études de droit et de mathématiques, une carrière de polygraphe, d’éditeur et d’imprésario théâtral avec la collaboration de sa première femme, la poétesse Luisa Bergalli (1703-1779), non sans de fréquents revers de fortune le contraignant à d’humbles fonctions de précepteur, voire de copiste à la librairie de Saint-Marc. Adaptateur d’ouvrages théâtraux étrangers, auteur de médiocres comédies (Il Filosofo innamorato, Esopo alla corte, Esopo in città), puis de drames (Enrico Dandolo, Marco Polo, etc.), traducteur-vulgarisateur de Daphnis et Chloé et de Lucien, poète satirique (Rime piacevoli, 1751), épistolier (Lettere diverse, 1750-1752) et polémiste littéraire (Difesa di Dante, 1757), il donne sa pleine mesure de styliste raffiné et de moraliste dans son œuvre de journaliste, au cours des deux années où il fonde et rédige successivement le Mondo morale, la Gazzetta veneta (bihebdomadaires, févr. 1760 - janv. 1761) et L’Osservatore veneto periodico (bihebdomadaire, puis hebdomadaire, févr. 1761 - août 1762). C’est dans ces deux dernières feuilles surtout qu’il donne libre cours à sa curiosité du quotidien et à son goût de la chronique humoristique, avec une verve qui l’apparente à Goldoni*, dont plusieurs comédies sont d’ailleurs commentées par la Gazzetta avec justesse et sympathie, tandis que l’écriture de L’Osservatore, plus littéraire et moins liée à l’actualité, se rattache à une tradition allant de Théophraste et Lucien à La Bruyère. Dans les Sermoni en vers (1745-1781), la satire de la société vénitienne tourne au maniérisme et reflète le progressif repliement sur soi, dans l’amertume et la désillusion, de Gasparo, qui, affligé d’une grave maladie nerveuse, tente même, en 1777, de se suicider. Il ne lui reste désormais, pour tromper le radical pessimisme de ses dernières années, que la sollicitude affectueuse d’une seconde épouse et l’activité pédagogique qu’à partir de 1764 il déploie à la surintendance des Études de Padoue et dont plusieurs traités antérieurs développent les judicieux principes : Riforma degli studi (1770), Delle scuole di Venezia da porre invece di quelle de’Gesuiti (1773) et Sopra il corso di studi che piu convenga all’Accademia della Zuecca in Venezia (1775).