Goya (Francisco) (suite)
En 1814, au retour du roi Ferdinand VII, Goya exécute les deux fameuses toiles du Deux-Mai et du Trois-Mai (Madrid, Prado), qui lui sont commandées par le Conseil de Régence et qui comptent parmi les chefs-d’œuvre de l’histoire de la peinture, où le romantisme et le réalisme s’opposent avec une vigueur incroyable. Entre 1810 et 1820, Goya reprend le burin et exécute trois séries fameuses de gravures : les Désastres de la guerre, la Tauromachie et les Proverbes ou Disparates, pour lesquelles il existe de nombreux dessins préparatoires. Vers 1814 se placent les dernières œuvres officielles, comme la Junte des Philippines (musée de Castres), immense toile où les réminiscences de Vélasquez sont sensibles. Comme pour la composition du Trois-Mai, Goya transpose un sujet historique dans un registre tellement original qu’il en renouvelle complètement l’iconographie. C’est Daumier avant la lettre, à l’échelle monumentale.
En 1819, Goya peint l’une des plus belles peintures mystiques espagnoles, la Dernière Communion de saint Joseph de Calasanz (Madrid, San Antón). Mais, à la fin de l’année, il tombe de nouveau gravement malade. Nous en avons la preuve grâce à la dédicace du Portrait de l’artiste avec son médecin Arrieta, de 1820 (Minneapolis, Institute of Arts). Goya vient de se rendre acquéreur de la fameuse « Maison du sourd », la « Quinta del Sordo », demeure qu’il décore d’une série de peintures sombres et fantastiques, version monumentale des Caprices, mais traduite dans un style et une facture qui annoncent l’expressionnisme du xxe s. (ces quatorze peintures se trouvent maintenant au Prado). En 1820 éclate la révolte constitutionnelle. Le roi Ferdinand VII est obligé de fuir ; lorsqu’il reprendra le pouvoir en fin 1823, après trois années de troubles, s’établit la « terreur blanche ».
Goya, en dépit de son grand âge, semble s’engager dans l’opposition, de sorte qu’au retour de Ferdinand VII il est obligé de se cacher. En mai 1824, lors du décret d’amnistie arraché au roi par les Alliés, il s’empresse de demander un congé sous le prétexte de prendre les eaux en France. En réalité, il se rend à Paris, puis, à l’automne 1824, s’installe à Bordeaux avec Leocadia Zorilla de Weiss, entouré de ses vieux amis « afrancesados », en particulier le grand poète Leandro de Moratín. Sa belle-fille et son petit -fils Mariano le rejoindront.
Entre 1824 et 1828, Goya demeure en France, sauf un court voyage à Madrid en 1826 pour prendre sa retraite de peintre de chambre, et, pendant ces quatre années, exécute une série de chefs-d’œuvre. D’une part, il s’initie à la lithographie, et ce sont les magnifiques planches des Taureaux de Bordeaux ; d’autre part, il peint une étrange série de miniatures sur ivoire, dont on connaît dix-huit exemplaires seulement.
Il est symbolique de constater que l’œuvre et la vie de l’un des plus grands maîtres espagnols, peut-être du plus complet, s’achèvent en 1828 sur la claire image de la Laitière de Bordeaux (Madrid, Prado), où, en dépit de ses quatre-vingt-deux ans, malade, sourd et commençant à devenir aveugle, Goya s’exprime avec une liberté d’expression et de technique qui montre que son génie est une suite de perpétuels rebondissements. Tel Antée, il reprend force et inspiration chaque fois qu’il touche à la vie, sublimant ainsi et les recettes d’atelier et son expérience de peintre pour devenir lui-même « créateur » au plein sens du terme.
J. B.
OUVRAGES FONDAMENTAUX : F. J. Sánchez Cantón, Vida y obras de Goya (Madrid, 1951). / P. Gassier et J. Wilson, Goya, sa vie et son œuvre (Office du livre, Fribourg, 1970). / J. Gudiol Ricart, Catálogo analítico de las pinturas de Goya (Barcelone, 1970).
APERÇUS GÉNÉRAUX : A. Adhémar, Goya (Tisné, 1947). / A. Vallentin, Goya (A. Michel, 1951). / X. de Salas, Goya (New York, 1962 ; trad. fr., Gérard, Verviers, 1964). / E. Harris, Goya (Londres, 1969).