potentiel
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin scolastique potentialis, de potentia, « puissance ».
Physique
L'énergie potentielle dérive de la position au sein du champ gravitationnel, et, par extension, les potentiels expriment le « relief » de tout champ scalaire ou vectoriel. Thermodynamique et électromagnétisme définissent différents potentiels. Les ondes de probabilités de la mécanique quantique objectivent des potentialités dans l'espace des phases. Un potentiel scalaire ou vectoriel mesure localement l'effet d'un champ sur l'évolution d'un système dynamique. Les potentiels objectivent des possibilités réelles, actualisables ou actualisantes.
Leibniz explique la « force active » d'un mobile en chute libre (l'énergie cinétique) par l'actualisation de sa « force inactive », ou énergie potentielle. Le gradient dont dérive la gravitation est élaboré par Lagrange en 1777 : d'une fonction scalaire V (définie à une constante près) se dérive un champ vectoriel F (F = – gradient V). L'optique de Green nomme « potential » ce concept. Seule une différence de potentiels possède un sens physique, ce qui subvertit la substantialité des forces. Les rapports de force entre individus sont remplacés par l'évolution d'une singularité associée à un champ : « Dans tous les cas envisagés par la physique mathématique, on considère des forces qui dérivent d'un potentiel, c'est-à-dire des forces dont on obtient l'expression mathématique en dérivant une fonction uniforme et continue dans une région déterminée de l'espace. »(1). La relativité générale amplifie ce concept : les potentiels tensoriels établissent une relation entre masse et structure de l'espace-temps.
Deux domaines informent spécifiquement la notion : la thermodynamique et l'électromagnétisme. Les potentiels thermodynamiques (l'énergie interne U, l'enthalpie interne H, l'enthalpie libre G et l'énergie libre F) déterminent, selon les contraintes appliquées, les conditions d'équilibre du système ainsi que les transitions de phase : la matière se structure en tendant vers son plus bas niveau d'énergie, sauf si une force de rappel lui évite de quitter un puits de potentiel. Les barrières de potentiel électromagnétique bloquent une réaction à une certaine échelle et provoquent un effet de seuil. Les transistors pilotent l'intensité ou le voltage du courant par des différences de potentiel : la combinaison de plusieurs semi-conducteurs opère une transduction du signal (redressement ou amplification). La mécanique quantique définit des potentialités dans un espace des phases : l'explication du potentiel quantique par les structures microphysiques de l'espace-temps reste une question vive.
La généalogie du potentiel renvoie à l'intégration contrariée de la « puissance » dans l'horizon déterministe de la physique classique : le potentiel « échappe aux saisies d'une abstraction qui confisquait ou octroyait la mobilité aux êtres »(2). Lupasco intègre la notion en la distinguant de l'actuel et du virtuel(3), mais l'antagonisme dynamique entre acte et puissance ne traduit pas la complexité des schèmes scientifiques. La théorie des potentiels de Thom (théorie des « catastrophes »(4)) modélise l'évolution des systèmes dynamiques à partir de matrices virtuelles, dont l'universalité ne détermine pas les conditions d'application. Simondon a développé la seule épistémologie dégageant le potentiel de sa réduction hylémorphique(5) : la charge de préindividualité attachée à toute actualité ne se résorbe pas dans l'actualisation, car son devenir traverse les échelles.
Vincent Bontems
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Bachelard, G., l'Activité rationaliste de la physique contemporaine, PUF, Paris, 1951, p. 60.
- 2 ↑ Châtelet, G., les Enjeux du mobile, Seuil, Paris, 1993, p. 44.
- 3 ↑ Lupasco, S., Qu'est-ce qu'une structure ?, Bourgois, Paris, 1967.
- 4 ↑ Thom, R., Modèles mathématiques de la morphogenèse, 10/18, Paris, 1974.
- 5 ↑ Simondon, G., l'Individu et sa genèse physique-biologique, Millon, Grenoble, 1995.