poïétique
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec poiein, « produire », « créer ».
Esthétique
Pour Valéry, le « faire », les processus de création, par opposition avec l'esthésique, qui désigne la sensibilité, la réceptivité à ce qui est fait. La poïétique peut être prise pour une partie de l'esthétique, où elle vient éclairer une dimension souvent négligée de l'art, ou, inscrite, dans une perspective plus large à visée anthropologique, pour une sorte de « science » de toute pratique créatrice.
Valéry propose de classer les livres d'esthétique en deux rubriques principales : ceux qui étudient les sensations procurées par les œuvres et ceux qui étudient leur production ; il appelle « esthésique » la première rubrique, « poïétique », la seconde(1). La notion d'esthésique, qui vient d'aithèsis comme esthétique, vise à rénover le sens traditionnel de cette discipline, en substituant le domaine de la sensibilité (notamment, celle des « belles réalités insoumises » de l'art) à la quête traditionnelle d'un beau abstrait et immuable. La notion de poïétique participe aussi de cette rénovation en introduisant dans le champ esthétique un aspect tout autant négligé auparavant : l'activité de l'artiste, son « faire », ce qui implique l'étude des processus de création (invention, composition, hasard, réflexion, etc.) et celle des matériaux, des supports, des instruments, des techniques du « faire ». Valéry hésite donc entre deux attitudes à l'égard de la philosophie ou de l'esthétique : une attitude critique lorsqu'il la renvoie aux valeurs traditionnelles, à commencer par le beau, et une attitude plus positive puisque l'esthésique et la poïétique attirent l'attention sur des aspects de la création et de la réception dont la considération pourrait enrichir l'esthétique. La méfiance envers cette discipline l'incline, en tout cas, à proposer de l'étude du « faire » (comme de celle du « sentir ») une définition outrepassant les limites de l'art.
L'essentiel de la proposition de Valéry, qui se retrouve plus ou moins ponctuellement dans nombre de réflexions actuelles (outre qu'elle a sa Société et sa revue(2)), fructifie dans l'œuvre de R. Passeron qui en exemplifie autant les hésitations que la richesse. Dans un premier temps, sans faire référence à la poïétique, cet auteur applique sa perspective (en son sens restreint) à l'art, notamment dans une intéressante étude du travail du peintre en atelier, qu'il tire partiellement de son expérience personnelle(3). Lorsque, ultérieurement, il aborde de front la poïétique, c'est avec une ambition épistémologique, celle de défendre, au-delà des limites de l'esthétique à nouveau, l'existence d'une « science des conduites créatrices », qui ne serait pas une « “métascience” prétendant survoler les sciences humaines », mais une « interscience » dont l'objet est, vis-à-vis de tout objet des autres sciences, d'étudier « les linéaments opératoires par lesquels l'œuvre vient [...] à l'existence »(4).
Si l'on adopte cette seconde perspective, il y a, en plus de l'art, une poïétique de la création scientifique, de la politique, de la guerre, etc., mais peut-elle s'épanouir pleinement dans le champ de l'anthropologie ? En revanche, on peut estimer qu'il serait dommage de priver la philosophie de l'art de l'apport poïétique, surtout si cela revient à en rester à une conception périmée de l'esthétique.
Dominique Chateau
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Valéry, P., « Discours sur l'esthétique » (1937), in Œuvres, éd. J. Hytier, Gallimard, Paris, 1957, p. 1310.
- 2 ↑ Valéry, P., Recherches politiques, no 5, 1996.
- 3 ↑ Passeron, R., l'Œuvre picturale et les fonctions de l'apparence, Vrin, Paris, 1962 et 1980.
- 4 ↑ Passeron, R., la Naissance d'Icare, éléments de poïétique générale, Université de Valenciennes, Saint-Germain-en-Laye, 1996, p. 23.