nom propre

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Linguistique, Logique

Par opposition au nom commun, signe qui ne s'applique qu'à un seul individu.

La distinction opérée par les grammairiens entre noms propres et noms communs possède un intérêt philosophique. La relation qui existe entre un nom propre et l'individu qu'il désigne apparaît en effet comme le paradigme de la relation de référence. Il s'agit en tout cas du lien le plus simple qui semble pouvoir exister entre un mot et une chose. Dans son Système de logique, J. S. Mill importe cette distinction grammaticale pour en faire une distinction centrale en philosophie du langage(1). Selon Mill, il faut distinguer en effet les termes dénotatifs, qui se réduisent à certains noms propres, des termes connotatifs comme les noms communs. Les significations des seconds s'identifient à des conditions prédicatives ; mais Mill se refuse à parler de « significations » dans le cas des premiers. Pour lui, l'unique fonction d'un nom propre est en effet de servir de marque remplaçant l'individu nommé. La tradition, tout en reprenant la distinction fondamentale de Mill, ne l'a pas suivi sur ce point précis. On dirait en effet aujourd'hui qu'il y a bien une signification des noms propres, mais qu'elle s'épuise complètement dans la relation de référence, du moins s'ils sont purement dénotatifs. Si tel était le cas, il devrait s'ensuivre que les noms propres dénués de référence ne possèdent pas non plus de signification. Pourtant, de nombreuses phrases douées de sens, comme « Sherlock Holmes n'existe pas » ou « L'existence de Vulcain a été postulée au xixe s. pour expliquer les anomalies de la trajectoire de Mercure », contiennent des noms propres dénués de référence – ici « Sherlock Holmes » et « Vulcain ».

La conception russellienne de la nomination

Afin de résoudre cette anomalie, Russell distingue les noms propres grammaticaux des noms propres logiques. Il nomme « nom propre logique » toute expression dont l'unique fonction est de désigner l'entité dont l'énoncé dans lequel il figure affirme ou nie une propriété. Il donne de ces termes la définition suivante : « Noms propres = mots représentants des particuliers »(2). Selon lui, les signes que les grammaires traditionnelles appellent des noms propres n'en sont pas vraiment. Le contenu d'une pensée ne peut être décrit correctement à l'aide d'un nom propre que si le sujet connaît directement le particulier représenté par le nom propre. Il n'y a connaissance directe, cependant, que de fort peu d'entités : Russell inclut dans cet ensemble le soi, le moment présent, les universaux et les sense-data. On voit qu'on ne connaît en général pas directement, en ce sens précis, les entités que dénotent les noms propres grammaticaux. Aussi Russell les analyse-t-il comme des descriptions définies cachées(3). Par exemple, la phrase « Kepler est mort dans la misère » n'attribue pas simplement une certaine caractéristique à Kepler ; selon Russell, le fait qu'un unique individu nommé « Kepler » existe fait partie de son contenu.

Cette analyse permet à Russell de proposer une théorie des noms vides ou fictionnels, et de leur rôle dans les énoncés singuliers existentiels négatifs, qui est restée à ce jour la plus élégante dans ce domaine. Si la seule fonction des noms propres est de représenter un individu, l'existence de noms fictionnels constitue une énigme. Ces noms ne peuvent pas représenter un individu, puisqu'ils ne réfèrent pas : on imagine simplement que tel est le cas. Pourtant, ils permettent d'énoncer des vérités. Ainsi : (1) « Sherlock Holmes n'existe pas ». Supposons que l'unique fonction du nom « Sherlock Holmes » soit de représenter un particulier. De deux choses l'une : ou bien ce particulier existe, mais (1) ne peut pas être vraie ; ou bien il n'existe pas, et (1) ne possède pas de sens, puisqu'un des signes qui y figurent ne représente rien. Dans la théorie de Russell en revanche, (1) peut être analysé comme assertant le fait qu'il n'existe aucun individu unique nommé Sherlock Holmes – ce qui est vrai.

La théorie descriptiviste des noms propres grammaticaux défendue par Russell a été attaquée dans les conférences de S. Kripke sur la nomination(4). Celui-ci soutient que les noms propres des langues naturelles se comportent comme des désignateurs rigides, c'est-à-dire des signes qui désignent le même individu dans tous les mondes possibles dans lesquels l'individu existe. Les descriptions, en revanche, ne sont pas rigides. Les noms propres ne peuvent donc pas être analysés comme des descriptions définies.

Pascal Ludwig

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Mill, J. S., Système de logique, trad. L. Peisse, Mardaga, Bruxelles, 1988.
  • 2 ↑ Russell, B., « The Philosophy of Logical Atomism », 1918, repr. in Écrits de logique philosophique, trad. fr. J.-M. Roy, PUF, Paris, 1989.
  • 3 ↑ Russell, B., « On Denoting », Mind, 1905, repr. in Écrits de logique philosophique, trad. J.-M. Roy, PUF, Paris, 1989.
  • 4 ↑ Kripke, S., la Logique des noms propres, trad. F. Récanati et P. Jacob, Minuit, Paris, 1982.

→ connotation, description, identité, individu, référence