néokantisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Après le retour à Kant lors de la première moitié du xixe s., qui, en réaction contre les dérives de l'idéalisme spéculatif, se caractérise par un repli sur la théorie de la connaissance par ailleurs conçue d'un point de vue purement psychologique et / ou physiologique, H. Cohen (Kants Theorie der Erfahrung, 1871) et W. Windelband (Pralüdien, 1884) fondent au même moment deux écoles néokantiennes rivales.
Philosophie Moderne
Courant constitué par les écoles d'H. Cohen et de W. Windelband.
Toutes deux ont en commun : 1) de partir d'une lecture et d'une interprétation de la philosophie critique pour construire une philosophie qui prétend dépasser Kant et être l'achèvement véritable de son projet ; 2) de construire une philosophie de la culture dans sa totalité – et, dans les deux cas, il y a de fait un privilège de la théorie de la connaissance conçue comme théorie des catégories, pour autant qu'elle seule permette de fonder les présupposés ultimes sur lesquels se construit le discours philosophique et son unique méthode légitime ; 3) de reprendre la thèse kantienne, résumée dans l'expression de « révolution copernicienne », qui revient fréquemment chez les néokantiens (excepté E. Lask), selon laquelle l'objet n'est nullement donné, mais entièrement construit par la connaissance (d'où la critique de la notion de « représentation », pour autant qu'elle implique la théorie de l'Abbild) ; 4) de rejeter la question de fait (la question psychologique de la genèse) au profit de la question de droit (la question logique de la validité ou de la valeur), baptisée « méthode transcendantale », qui part d'un fait culturel (par exemple, le « fait de la science » dans la théorie de la connaissance) pour en découvrir les éléments nécessaires et universellement valides (a priori) : cette caractéristique permet, d'ailleurs, d'exclure certains courants (par exemple, l'école de Fries) du néokantisme, pour autant qu'ils privilégient contre Kant la question de fait et restent, du coup, incapables de distinguer l'a priori de l'inné (la priorité logique et l'antériorité chronologique).
L'école de Marbourg, dont les principaux représentants sont, outre Cohen, P. Natorp et E. Cassirer, développe essentiellement une théorie de la connaissance et assimile explicitement celle-ci à une théorie de la science. Si les trois auteurs s'accordent pour supprimer l'intuition kantienne, Natorp et Cassirer s'opposent à la thèse cohénienne selon laquelle c'est le calcul infinitésimal qui permet de résorber l'intuition sensible dans la pensée, car c'est dans la théorie de la relativité qu'ils voient le moyen de dépasser la dualité kantienne. Natorp et Cassirer, en outre, critiquent le statut que confère Cohen au principe d'origine dans la Logik der reinen Erkenntnis : soutenant que c'est la relation qui est première et qui engendre ses termes, ils critiquent la thèse cohénienne faisant de l'origine un terme originaire dont procèdent les autres formes catégoriales.
L'école de Heidelberg, qui comprend principalement, outre Windelband, H. Rickert et Lask, s'oppose à celle de Marbourg sur trois points essentiels : 1) l'assimilation de la vérité à une valeur, qui est fondée sur une analyse des procédures logiques de la connaissance et, plus précisément, du jugement (de plus, contre Nietzsche, la valeur qu'est la vérité est transcendante) ; 2) la théorie de la connaissance est, d'abord, une théorie de la connaissance ordinaire sur le fondement de laquelle se construisent les sciences particulières ; 3) la théorie de la science (contre les marbourgeois, qui accordent un privilège quasi exclusif à la physique mathématique) doit rendre compte de l'émergence d'un type de scientificité nouveau qui apparaît au xixe s., à savoir la science historique, et elle se fonde donc sur l'analyse de la distinction entre deux méthodes scientifiques : celle, généralisante, qui est propre aux sciences de la nature cherchant à établir des lois ; et celle, individualisante, qui est propre à la science historique cherchant à déterminer un événement dans sa singularité.
Le néokantisme, qui connaît son apogée avec les premières années du xxe s., disparaît au moment de la Première Guerre mondiale et avec la mort de ses principaux membres (Windelband, Lask, Cohen). Alors que Rickert continue jusqu'à sa mort à travailler dans le sillage du travail des heidelbergiens, Natorp, qui disparaît en 1924, s'oriente dans sa dernière philosophie vers une problématique nouvelle, dans laquelle la question essentielle devient, d'une manière analogue à la logique laskienne, celle de l'autoréférence du discours philosophique, et Cassirer, qui meurt à New York, en 1945, se détourne du néokantisme marbourgeois pour élaborer sa philosophie des formes symboliques.
Eric Dufour