logicisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Logique, Mathématiques
Tendance doctrinale, apparue à l'aube du xxe s., consistant à utiliser les ressources de la logique nouvelle pour y réduire les mathématiques.
La Begriffsschrift de Frege présente les calculs des propositions et des prédicats en même temps qu'elle esquisse déjà une réduction logique de l'arithmétique(1). Ce projet de fonder les vérités arithmétiques (théorie des nombres), puis celles de l'analyse (théorie des réels) sur la seule axiomatique de la nouvelle logique, poursuivi dans les Grundlagen der Arithmetik(2) et les Grundgesetze der Arithmetik, se heurta à la découverte russellienne du paradoxe des classes qui mettait en cause le fondement logique lui-même(3).
Dans la mesure où la théorie russellienne des types fournissait un moyen d'éviter ces paradoxes logiques, le projet logiciste redevenait possible. La gigantesque entreprise des Principia Mathematica(4) consista, après exposition de l'axiomatique logique, à y réduire l'ensemble du discours mathématique, géométries comprises (Frege tenait encore la géométrie pour une science synthétique a priori). Il s'agissait alors de définir logiquement tous les concepts mathématiques et de démontrer logiquement tous les axiomes mathématiques. Par exemple, le concept de nombre cardinal peut se réduire à une construction logique en termes de classes équinumériques à une classe donnée. Ainsi, 2 est la classe de toutes les classes équinumériques à une paire (contrairement à ce que clamait Poincaré, il n'y a là aucun cercle : l'équinuméricité se définit comme une relation biunivoque et la paire {x, y} est définie à partir de la simple relation de différence : (x – y). La réduction ne put cependant être poussée jusqu'au bout, la démonstration des propositions mathématiques requérant en définitive des engagements existentiels étrangers à la logique pure. C'est notamment le cas de l'axiome de l'infini qui engage sur l'existence d'une infinité d'objets ou de l'axiome multiplicatif qui impose l'existence d'une procédure de choix pour constituer des appariements entre classes infinies indispensables pour définir l'opération arithmétique de multiplication (équivalent de l'axiome de choix).
À la même époque, vers 1915, la découverte de logiques non standards (tri- puis plurivalentes, intuitionnistes, etc.) mirent fin à la croyance initiale en l'absoluité et en l'universalité de la logique frégéo-russellienne. C'est le « fondement » logique lui-même qui s'écroulait.
D'autres stratégies fondationnelles étaient possible : celle, formaliste, de Hilbert consistait à n'imposer au jeu formel que des contraintes métamathématiques de consistance, de complétude et de décidabilité (l'arithmétique et l'analyse reposent alors sur l'axiomatique des ensemble Zermelo-Fraenkel) ; celle, intuitionniste, de Brouwer exigeait la constructibilité des objets et la prouvabilité des thèses. Chacune à son tour se heurta à des difficultés : la découverte des théorèmes de limitation pour le formalisme, l'impossibilité de rendre compte de l'ensemble des mathématiques pour l'intuitionnisme.
Si aujourd'hui le logicisme est pratiquement abandonné, l'exigence de rigueur et de précision qu'il incarna joua un rôle crucial dans le développement des sciences formelles comme dans le traitement des questions de philosophie mathématique.
Denis Vernant
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Frege, G., Begriffsschrift (1879), trad. Sinaceur, H., des 12 premiers § in Logique et fondements des mathématiques, Rivenc, F., et de Rouilhan, P., éd., Payot, Paris, 1992, pp. 93-129.
- 2 ↑ Frege, G., Fondements de l'arithmétique (1884), trad. fr. Imbert, C., Seuil, Paris, 1969.
- 3 ↑ Iéna, 1883 puis 1903. Après communication par Russell du paradoxe des classes, Frege ajouta un appendice au deuxième volume et abandonna ensuite le projet du troisième.
- 4 ↑ 1910, 1912, 1913, seconde éd. 1927, rééd. partielle in Principia mathematica to *56, Cambridge UP, 1962. Cf. aussi Introduction à la philosophie mathématique, trad. Rivenc, F., Payot, Paris, 1991.
- Voir aussi : Largeault, J., Logique et philosophie chez Frege, Nauwelaerts, Paris, 1970.
- Vernant, D., la Philosophie mathématique de B. Russell, Vrin, Paris, 1993.
→ classes (paradoxes des), formalisme, intuitionnisme, métalogique, nombre, théorème, types (théorie des)