juste

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin, justus, « conforme au droit », « équitable » (de jus, juris, « droit »).

Morale, Politique, Philosophie du Droit

1. Conforme à la justice, à la loi juridique ou religieuse et à leurs exigences : peut s'appliquer aux actions, aux jugements, aux personnes. Plus spécialement, un juste : celui qui est sans péché, qui agit selon la justice, ou dont la volonté est conforme à la loi morale. – 2. Exact (une balance, une horloge, un son, une observation justes), bien appliqué (une métaphore juste), bien ajusté (un tir juste), voire trop bien ajusté (un vêtement un peu juste).

En définissant le juste par ce qui est conforme au droit, le sens (1) rencontre un problème philosophique récurrent que ne dissipe pas totalement la distinction que la langue classique faisait entre le juste et l'équitable. Le juste est ce qui est conforme au lois civiles et l'équitable et ce qui convient aux lois naturelles : le riche qui expulse dans les règles un pauvre qui ne paie pas son loyer et qui lui a rendu un service dans le passé, aussi important soit-il, agit de façon juste mais pas équitable. Outre que le langage courant ne tient pas cette distinction aussi fermement, la définition purement formelle du juste comme conformité à la loi laisse de côté la question de savoir s'il y a du juste avant la loi, et si on peut considérer les lois elles-mêmes comme justes ou injustes. Or la question est cruciale pour toute philosophie politique. Comme le note Rawls : « La justice est la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique que soit une théorie, elle doit être rejetée ou révisée si elle n'est pas vraie ; de même, si efficaces et bien organisées que soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes.(1) » Mais peut-on définir le juste indépendamment de la conformité à la loi (qui a précisément pour charge de dire ce qui est juste) ?

On peut en douter, tant on dirait que le renvoi du juste à la loi et de la loi au juste est une constante. Ainsi pour Platon la position de ce qui est juste comme norme avant les lois civiles et de la loi comme « distribution de la raison » conduit à refuser le titre de loi en même temps que celui de juste à des institutions civiles qui ne seraient pas établies en fonction de l'intérêt commun(2). De même, Rousseau, après avoir définit la loi comme acte de la volonté générale sur un objet général, considère qu'elle est nécessairement juste, puisqu'on n'est pas injuste envers soi-même, mais c'est au prix de refuser le titre de loi à tout ce qui ne répond pas à ce critère(3).

Paradoxalement, il rejoint ici une des conclusions de Hobbes, pour des motifs opposés. S'il n'y a pas de loi injuste chez Hobbes, ce n'est pas parce qu'elle ne serait pas alors une loi, mais parce qu'il ne saurait y avoir de juste ou d'injuste avant la loi, qui suppose comme sa condition la constitution d'un pouvoir civil capable de faire observer les conventions. « Là où nulle convention n'est intervenue antérieurement, aucun droit n'a été transmis, et chacun a un droit sur toute chose. En conséquence, aucun ne peut être injuste. Mais quand une convention est faite, alors il est injuste de l'enfreindre. Car la définition de l'injuste n'est rien d'autre que la non-exécution des conventions. Est juste tout ce qui n'est pas injuste.(4) »

Seule la réaffirmation forte de la portée de l'idée de droit naturel permet d'échapper à cette définition réciproque du juste et de la loi positive. Comme le dit Montesquieu : « Les êtres particuliers intelligents peuvent avoir des lois qu'ils ont faites : mais ils en ont aussi qu'ils n'ont pas faites. Avant qu'il y eût des êtres intelligents, ils étaient possibles ; ils avaient donc des rapports possibles, et par conséquent des lois possibles. Avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des rapports de justice possibles. Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle, tous les rayons n'étaient pas égaux.(5) »

On peut alors, avec Kant, redonner sa place à l'histoire, à la constitution progressive des sociétés de droit, dont les lois, expression d'un moment de l'histoire, d'une culture, de l'état des rapports de force, dans toute leur contingence et leur imperfection, peuvent être révisées en fonction d'une visée plus haute. L'idée d'une constitution civile parfaite s'accordant avec le droit naturel des hommes est alors déterminée comme ce qui est à réaliser, et sert de norme pour toute constitution politique historique : les lois positives sont bien des lois, mais on peut travailler à les rendre plus justes dans l'avenir (et, dans le présent, les juger plus ou moins justes en fonction de ce but final)(6).

Colas Duflo

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Rawls, J., Théorie de la justice, trad. C. Audard, Seuil, coll. Points essais, Paris, 1997, p. 29.
  • 2 ↑ Platon, les Lois, 715 b, trad. A. Castel-Bouchouchi, Gallimard, Paris, 1997, p. 183.
  • 3 ↑ Rousseau, J.-J., Du Contrat social, livre II, chap. 6, Flammarion, Paris, 1966, p. 75.
  • 4 ↑ Hobbes, T., Léviathan, chap. XV, trad. F. Tricaud, Sirey, 1971, p. 143.
  • 5 ↑ Montesquieu, C. L. (de), l'Esprit des lois, livre I, ch. 1, Flammarion, Paris, 1979, p. 124.
  • 6 ↑ Kant, E., le Conflit des facultés, 2e section, in Œuvres philosophiques, t. III, Gallimard, La Pléiade, 1986, pp. 887-906.

→ droit, norme