institution

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin instituere, « fonder », « établir », via institutio, « arrangement ».

Morale, Politique

Structure sociale durable, remplissant une fonction publique de modèle et de régulation des pratiques dans la cité.

Pour Aristote, l'homme n'échappe définitivement à l'animalité qu'en devenant un être politique : c'est l'institution des mœurs collectives, en tant que leur accession à une forme publique, reproductible et opposable au naturel ou à l'étranger, qui fait l'humanité des hommes. Plus particulièrement, deux institutions sont fondatrices de la mise en commun des sentiments : le logos et la cité(1).

La question se pose de savoir si ces institutions sont de pures conventions artificielles, ou si elles reflètent dans le monde humain un ordre naturel qui le fonde. Contre les sophistes soutenant que toutes les institutions humaines, comme la justice, sont le reflet de « ce que les citoyens ont décidé en convenant ensemble de ce qu'il faut faire ou ne pas faire(2) », Aristote maintient la naturalité des institutions (dont le mariage et l'esclavage) au prix d'un finalisme anthropocentrique : s'il existe des institutions, c'est parce que la nature ne fait rien en vain, et que l'homme est doué de caractères qui le différencient des animaux et le poussent naturellement à interposer des moyens artificiels entre la nature et lui.(3)

Une institution libère de la pression des besoins naturels, mais elle est elle-même un système organisé de contraintes. La contrainte en est même selon Durkheim le signe distinctif(4). Il faut alors se demander comment les institutions se maintiennent dans le temps : non seulement par quels moyens, mais aussi sous quelle forme. En effet, la liberté instituée par le premier législateur ne peut durer sans soutien : c'est ainsi par exemple que Machiavel avertit que la liberté originellement instituée par l'État se perdra si la vertu politique n'est pas cultivée(5). C'est ainsi encore que l'éducation devient une institution centrale, et représentative de l'ambiguïté de toutes les autres : chargée de prolonger dans le temps les effets du geste fondateur du premier législateur, elle ne peut le faire qu'en contraignant ceux qu'elle libère. Elle est un ensemble de moyens libératoires, mais un ensemble de moyens qui tend à se constituer en fin.

Il est alors inévitable, et sans doute sain, que toute institution soit l'objet d'attaques et de condamnations : non seulement parce qu'étant une forme de stabilisation ou de ralentissement des sentiments et des habitudes(6), se pose périodiquement le problème de sa réforme, mais aussi parce qu'elle tend d'elle-même à se réduire à la force pure : le risque est alors grand d'anomie, c'est-à-dire d'effondrement de l'ordre institutionnel par épuisement de sa légitimité(7).

Sébastien Bauer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, La politique, I,2 1253 a, trad. J. Tricot, 1962, Vrin, Paris.
  • 2 ↑ Hippias, in Xénophon, Les mémorables, IV, 4, 13.
  • 3 ↑ Deleuze, G., Introduction à Instincts et institutions, 1954, Hachette, pp. VIII à XI.
  • 4 ↑ Durkheim, E., Règles de la méthode sociologique, éd. 1988, Champs Flammarion, Paris.
  • 5 ↑ Machiavel, N., Discours sur la première décade de l'histoire de Tite-Live, 406.
  • 6 ↑ Burke, E., Réflexions sur la Révolution en France, trad. P. Raynaud 1989, Hachette, Paris.
  • 7 ↑ Durkheim, E., Le suicide, éd. 1960, PUF, Paris.

→ ethos, état, nature