instinct

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin instinctus, « aiguillon », puis « impulsion ».

Philosophie Générale

1. Au sens strict, tendance héréditaire des animaux à certains comportements stéréotypés. – 2. Par extension, impulsion irréfléchie de l'individu humain.

Si tout ce qui est instinctif est inné, l'inverse n'est pas vrai : un instinct est la cause non d'un mouvement, mais d'un comportement, par quoi il manifeste l'adaptation d'une espèce à un milieu (pour l'école classique) ou la prégnance de formes fixes de satisfaction des besoins (pour l'école de Lorenz(1)), et se distingue d'autres motions innées comme le réflexe.

L'instinct est spécifique, au double sens où il est une spécialisation de l'organisme et où il caractérise une espèce. En cela, ainsi que le montre Bergson, il s'oppose à l'intelligence comme l'organique au mécanique, comme le nécessaire au libre, comme l'intérieur de la vie elle-même à son extériorisation : l'instinct « ne fait que continuer le travail par lequel la vie organise la matière(2) ». De là une impossibilité pour l'intelligence de rendre totalement raison de l'instinct, qui se vit davantage qu'il ne s'explique.

Pour cette raison, l'instinct est un concept qui a été extrapolé aux activités humaines que l'on ne peut ou refuse de réduire à leur composante rationnelle. Il devient ainsi chez Nietzsche un quasi synonyme du génie, comme explication d'une activité créatrice incomparable, opposée à la sécheresse mécanique de l'intelligence discursive. Mais le concept subit ce faisant deux distorsions majeures : d'une part il devient culturel, puisqu'il désigne une habitude incorporée, un processus de dressage aboutissant à la naissance d'une « seconde nature(3) », et d'autre part il peut caractériser aussi bien un groupe (instinct aristocratique ou plébéien) qu'une exception individuelle : « chez moi, [l'athéisme] se conçoit d'instinct(4) ».

Concevoir qu'en l'homme, ce que l'on appelle instinct est en réalité institué, c'est non seulement dire que « l'homme n'a pas d'instincts, il fait des institutions », mais c'est aussi comprendre l'instinct comme étant « à la croisée d'une double causalité(5) », individuelle et spécifique : un tel concept tourne certes le dos à son origine éthologique, mais il permet de réduire la charge idéologique de la réflexion sur le poids du naturel et du culturel en l'homme.

Sébastien Bauer

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lorenz, Essai sur le comportement animal et humain, traduction 1970, Seuil, Paris.
  • 2 ↑ Bergson, H., L'évolution créatrice, édition 1994, Presses Universitaires de France, coll. « Quadrige », Paris, chap. II, spécialement pp. 166 sq.
  • 3 ↑ Nietzsche, F., Fragments posthumes de 1881, trad. P. Klossowsky 1967, NRF Gallimard, Paris, Œuvres Philosophiques Complètes, tome V, 11 [130] p. 357.
  • 4 ↑ Nietzsche, F., Ecce Homo, « Pourquoi je suis si avisé », § 1, trad. J.C. Hémery 1974, NRF Gallimard, Paris, OPC Tome VIII p. 258.
  • 5 ↑ Deleuze, G., Introduction à Instincts et institutions, 1954, Hachette, pp. VIII à XI.

→ animal, espèce, génie, institution, intelligence, nature, pulsion