iconoclasme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec eikôn, « image », et klasma, « fragment brisé » (klaô-ô, « briser »). Mot formé au viiie s., à Byzance, pour qualifier l'attitude des empereurs hostiles aux icônes, qui ordonnèrent leur destruction par décret. Le contraire de l'iconoclasme est l'iconophilie ou iconodoulie, qui désigne l'attitude respectueuse à l'égard des icônes et de leur culte.
Politique, Esthétique, Théologie
Depuis la crise byzantine des viiie et ixe s., terme utilisé pour qualifier tout geste critique ou révolutionnaire à l'encontre d'un ordre iconique dominant et, en général, lié à des périodes de crise, de convulsion historique ou psychologique ayant entraîné l'anéantissement réel ou symbolique de valeurs visuelles reconnues, y compris de la part d'artistes non conformistes, comme Duchamp, Picabia ou Malevitch. Par extension, toute forme de profanation symbolique, au-delà même du champ des icônes et des images.
On ne peut faire l'économie d'un retour sur la crise de l'image à Byzance. Ce fut une crise philosophique et politique qui se déploya dans le monde chrétien au moment où l'Église cherchait à s'emparer du pouvoir temporel. Dans la mesure où la pensée et la stratégie de l'icône sont tout entières dérivées de l'interprétation chrétienne de l'incarnation, la crise politique ne pouvait qu'emprunter la voie théologique pour se faire entendre. Dans l'Empire byzantin, la destruction de toutes les images religieuses s'accompagna d'un renouveau de l'art impérial qui ne laisse aucun doute sur la signification politique des décrets iconoclastes. La guerre entre les images (religieuses et impériales) dura plus d'un siècle, de 724 à 843, et s'acheva par le triomphe des icônes, c'est-à-dire par la victoire du pouvoir ecclésiastique. Ce triomphe iconique, dont nous sommes les héritiers en Occident, est une victoire de l'argumentation iconophile. L'icône provoqua une mobilisation philosophique autour de la question de la gestion et du sens des visibilités dans la construction d'une communauté. L'iconoclasme eut une puissance théorique aussi grande que celle de ses adversaires, qui voulaient faire passer ses partisans pour des vandales incultes et blasphémateurs. L'iconoclasme spéculatif s'appuyait non seulement sur l'interdit biblique de fabrication des idoles, mais aussi sur une conception de la séparation des pouvoirs temporel et spirituel. Il s'agissait bien de laisser l'empereur gouverner les hommes et les choses de ce monde, et de ne donner à l'Église que la charge du salut des âmes. Or, l'Église ne l'entend pas ainsi et, depuis le message paulinien, a la ferme intention de faire du gouvernement terrestre le lieu de sa mission céleste. L'Incarnation légitimait toutes les formes de la visibilité au nom de la rédemption. L'iconophilie a gagné, parce qu'elle a construit l'articulation symbolique des productions de la parole et du regard dans l'espace public à gouverner.
L'installation du pouvoir temporel de l'Église sur la gestion des images a conduit, dans les siècles suivants, ceux qui contestaient ce pouvoir à repartir en guerre contre le règne ecclésial des visibilités. La Réforme fut marquée par un retour à l'iconoclasme, inséparable des combats contre la papauté. Dans les pays du Nord, Allemagne et Flandres surtout, les violences iconoclastes furent religieuses autant que politiques.
La nature politique des enjeux de visibilité n'ont fait que se confirmer en changeant non point de nature, mais de cible. Une fois établi dans le monde occidental que le pouvoir sur les territoires et sur les corps est inhérent au pouvoir que l'on prend sur les esprits et sur les regards, toutes les souverainetés se sont appuyées à l'envi sur une stratégie du visible, donc sur un contrôle de la production des images. La conséquence inévitable fut de donner une figure iconoclaste à toute révolution politique. Renverser les images, briser les idoles, substituer aux icônes détruites les emblèmes et le images du monde nouveau que l'on veut construire, tel fut le spectacle que donnèrent les grandes mutations depuis la Révolution française. L'iconoclasme révolutionnaire est même devenu un thème iconique à son tour. Aujourd'hui, la photographie et le cinéma ont construit et diffusé les documents qui nous font assister à la destruction des effigies de ceux qui ont imposé leur dictature en imposant leurs icônes et leurs emblèmes.
Désormais il faut constater que l'iconoclasme n'est que l'ordre de détruire les images de l'autre en les qualifiant d'idoles et de promouvoir ses propres idoles en les qualifiant d'images. Ce mouvement, amorcé par les jésuites au Mexique, nous oblige à reconsidérer ce que pourrait être une véritable rigueur en matière de visibilité, c'est-à-dire ce que devrait être un « idoloclasme » critique, animé par le seul respect des images et de l'image de l'autre.
Marie José Mondzain
Notes bibliographiques
- Boespflug, F., et Lossky, N., Nicée II, 787-1987, Douze siècles d'images religieuses, éd. du Cerf, Paris, 1987.
- Deyon, S., et Lottin, A., les Casseurs de l'été 1566, l'iconoclasme dans le Nord, Presses universitaires, Lille, 1981.
- Grabar, A., l'Iconoclasme byzantin. Le dossier archéologique, Paris, Flammarion, 1984.
- Gruzinsky, S., la Guerre des images : de Christophe Colomb à Blade Runner (1492-2019), Fayard, Paris, 1990.
- Mondzain, M. J., Image, Icône, Économie, Seuil, Paris, 1996.
- Réau, L., Histoire du vandalisme. Les monuments détruits de l'art français, 2 vol., rééd. Robert Laffont, coll. « Bouquins », Paris.