gouvernement

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec kubernan « diriger à l'aide d'un gouvernail » ; en latin, gubernare, « diriger un navire », « conduire, gouverner », qui a donné gubernatio, « conduite d'un navire », « gouvernement ».


Défini d'abord dans un cadre de pensée religieux (le « gouvernement des âmes »), le concept de gouvernement, au Moyen Âge, a pris peu à peu un sens politique, s'identifiant au xviie s. à l'idée de souveraineté, avant de s'en distinguer au siècle suivant (Rousseau).

Morale, Philosophie du Droit, Politique

1. Forme d'organisation d'un État, son régime constitutionnel (c'est en ce sens, issu de la notion grecque de politeia et synonyme du concept de régime, que l'on distinguait classiquement trois espèces de gouvernement, monarchique, aristocratique et démocratique) – 2. Pouvoir politique au sein de l'État, dans l'acception la plus large (autorité publique) ou la plus étroite (pouvoir exécutif, distinct du législatif) ; voire, enfin, la conduite même des affaires publiques, ou, plus spécialement, la manière d'exercer cette action.

Le champ d'application de la notion, jusqu'au xvie s., englobait la conduite de soi-même (« se gouverner »), de sa maison et de ses enfants, mais aussi la direction des hommes, le soin des animaux et la gestion des choses, l'art de la navigation, les diverses modalités du commerce humain (fréquenter, ou avoir une influence sur l'esprit de quelqu'un), etc. C'est dans la pensée religieuse, dès le vie s., que l'idée de gouvernement (regimen) fit l'objet d'une première élaboration doctrinale rigoureuse (Grégoire le Grand, Règle pastorale)(1). Par opposition au pouvoir des princes, fondé sur la crainte, le regimen se donnait pour tâche de guider les hommes, par l'exemple et par la persuasion, sur la voie du salut. Gouverner une personne ou une chose, c'était donc agir conformément à leur nature, comme l'écrit saint Thomas d'Aquin, pour « les conduire à la fin qui leur est due »(2). Cette conception finaliste, d'inspiration religieuse, domina la pensée politique jusqu'à la fin du Moyen Âge.

Avec la séparation des sphères civile et religieuse, le gouvernement, dissocié de toute fin transcendante, ne tira plus son principe que de la seule nécessité des rapports de force. Gouverner, depuis Machiavel(3), c'était mettre en œuvre l'ensemble des moyens, ordinaires ou extraordinaires, nécessaires à la conservation de l'État. L'idée de raison d'État, qui constitua, pendant un siècle, l'étoile polaire de la politique absolutiste, traduit cette identification du gouvernement avec la puissance souveraine.

C'est Rousseau qui, dans le Contrat social, les distingua rigoureusement l'un de l'autre. Alors que, dans les monarchies, le gouvernement se confond avec la puissance souveraine, dans les Républiques (c'est-à-dire « tout État régi par des lois, sous quelque forme d'administration que ce puisse être »(4)), il lui est strictement subordonné. Selon les principes du droit public, il n'est que la puissance exécutive soumise à la volonté du souverain – la puissance législative qui appartient au peuple. « Qu'est-ce donc que le Gouvernement ? Un corps intermédiaire établi entre les sujets et le Souverain pour leur mutuelle correspondance, chargé de l'exécution des lois, et du maintien de la liberté, tant civile que politique. »(5). C'est à cette condition qu'il ne reproduit pas la domination de l'homme sur l'homme.

Avec le développement de la pensée libérale, dans la seconde moitié du xviiie s., la question n'est plus seulement celle des limites de droit de l'action gouvernementale, mais celle de son extension souhaitable sur la société. À la dénonciation des abus du pouvoir s'ajoute désormais la critique de l'excès de gouvernement. C'est cette double problématique qui constitue le cadre des réflexions actuelles sur les pratiques de « gouvernance ».

Michel Senellart

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Grégoire le Grand, Règle pastorale (590-591), Cerf, Paris, 1992.
  • 2 ↑ D'Aquin, T. (saint), De regno, II, 2, « Du royaume », Egloff, Paris, 1946, p. 115.
  • 3 ↑ Machiavel, N., De principatibus (1513), « Le prince », PUF, Paris, 2000.
  • 4 ↑ Rousseau, J.-J., Du contrat social (1762), II, 6, in Œuvres complètes, t. 3, Gallimard, Paris, 1964, p. 379.
  • 5 ↑ Ibid., III, 1, p. 396.
  • Voir aussi : Derathé, R., Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, « État, souveraineté, gouvernement », Vrin, Paris, 1970, pp. 380-386.
  • Foucault, M., Sécurité, territoire, population (cours au Collège de France, 1979), Gallimard-Seuil, Paris, 2003.
  • Senellart, M., les Arts de gouverner, Seuil, Paris, 1995.

→ état, libéralisme, raison d'état, tyrannie