tyrannie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec turannos, « maître tout-puissant, qui usurpe le pouvoir dans un État libre ».
Politique
Régime politique fondé sur l'usurpation et conduit par un chef doté d'un pouvoir absolu, totalement émancipé du contrôle par la loi.
Gouvernement d'un seul « dévié », selon l'acception grecque, la tyrannie est toujours l'exercice d'un pouvoir fondé sur un coup de force et affranchi des lois. Cependant, ce pouvoir n'est pas nécessairement odieux ou particulièrement violent. C'est pour les modernes que la tyrannie est le plus souvent un nom dévolu aux régimes insupportables dus aux malheurs des temps, et qui ne valent que par la force qui les maintient(1). Aussi le tyrannicide est-il considéré par eux comme légitime. Pour les Grecs, en revanche, le tyran peut apporter la paix et la prospérité à la cité. Il suffit qu'il ait assez d'habileté pour tenir en équilibre les forces sociales en présence, et pour paraître, aux yeux du peuple ou des notables, un homme sage, modéré, grâce à qui la tranquillité sera maintenue. Le tyran intelligent sait se ménager des soutiens, ainsi qu'Aristote l'a bien montré en réfléchissant sur la figure de Pisistrate(2). Ce n'est donc pas nécessairement un délirant, un Néron qui menace de conduire l'État à la catastrophe. Cela dit, la tyrannie est caractérisée par l'absence radicale de liberté politique. Le citoyen n'y est rien et la chose publique est confisquée. Si la tyrannie est un mauvais régime politique, c'est donc avant tout parce qu'elle institue la dépendance de tous à l'égard d'un seul que rien ne retient de mal faire, si ce n'est sa propre intelligence de la situation et de son intérêt(3).
Dans la philosophie politique moderne, le concept de despotisme a supplanté celui de tyrannie. Les anciens réservaient la notion de despote et de despotisme à la sphère domestique : le despote était, en premier lieu, le maître d'esclaves ou le chef de famille. Au début des temps modernes, la notion de despotisme fut appliquée au pouvoir seigneurial, puis royal, pour suggérer l'analogie entre l'administration de la famille et celle de la société politique par un seigneur ou par un monarque. C'est avec Montesquieu que le despotisme est nettement affirmé comme un équivalent de la tyrannie. Pour lui, en effet, le despote est celui qui « sans loi et sans règle entraîne tout par sa volonté et par ses caprices »(4). À partir de la Révolution française, les notions de dictateur et de dictature, arrachées à l'oubli, se sont progressivement imposées, censées ne pas être axiologiques, mais simplement descriptives d'un type d'exercice du pouvoir – qui n'est pas exactement l'exercice prévu par la république romaine. Aussi le concept de tyrannie a-t-il retrouvé une jeunesse lorsqu'on a voulu non pas seulement décrire « objectivement » un régime, mais également porter un jugement de valeur.
Le concept n'est guère employé par les contemporains pour qualifier l'hitlérisme ou le stalinisme, étant donné que ces derniers ont été considérés comme des régimes inédits et exigeant une approche renouvelée. On parle désormais, à leur sujet, de totalitarisme. En revanche, certains régimes d'Amérique du Sud dans les années 1940-1970 par exemple, traditionnellement qualifiés de « populistes », peuvent être considérés comme tendant à la tyrannie, même s'ils ne reposent pas sur l'usurpation. Le développement de la tendance tyrannique est proportionnel à l'affirmation du culte de la personnalité : le chef populiste étant à la fois identifié au peuple et posé comme un être supérieur et salvateur, il peut bientôt se placer au-dessus de la loi et anéantir toute liberté politique, dans la mesure où, sous la protection du chef, celle-ci est censée ne plus avoir de signification.
Ghislain Waterlot
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Turchetti, M., Tyrannie et tyrannicide de l'Antiquité à nos jours, PUF, Paris, 2002.
- 2 ↑ Aristote, les Politiques, livre V, trad. P. Pellegrin, Flammarion, Paris, 1990.
- 3 ↑ Strauss, L., De la tyrannie, trad. H. Kern, Gallimard, Paris, 1954.
- 4 ↑ Montesquieu, De l'esprit des lois. Le Seuil, Paris, 1964.