freudo-marxisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Psychanalyse
Doctrine qui tente une synthèse entre la théorie marxiste de la société et la théorie freudienne de l'inconscient.
Freud a, dans plusieurs de ses écrits, exprimé l'idée que la psychanalyse avait à dire quelque chose sur le collectif et le social(1). À l'égard du marxisme, il est resté réservé, ses préférences politiques allant du côté du libéralisme. Mais certains psychanalystes de la deuxième ou de la troisième génération, s'inscrivant dans des courants de gauche, socialistes ou communistes, tentèrent d'articuler l'analyse freudienne des processus psychiques et l'analyse marxiste des processus sociaux. Ce courant, appelé freudo-marxisme, a été illustré principalement par des auteurs comme P. Federn (1870-1950), E. Fromm (1900-1980), S. Bernfeld (1892-1953) et W. Reich (1897-1957).
P. Federn s'intéresse très tôt aux questions sociales : son texte de 1919, Psychologie de la révolution : la société sans pères, ouvre la voie au freudo-marxisme. E. Fromm propose le concept de « surface psychique », dans le Dogme du Christ, à partir des conditions de vie matérielles des groupes sociaux d'une part, des attentes et frustrations des croyants d'autre part(2). Dans Escape from Freedom (1941), il avance le concept de « caractère social ».
Mais le plus connu d'entre eux est W. Reich. Il a fondé une psychologie sociale s'interrogeant sur les traits psychologiques communs aux membres d'un groupe. Sa Psychologie de masse du fascisme (1933) en est un exemple célèbre(3). Dans Matérialisme dialectique et Psychanalyse (1934), il affirme que si les pulsions sont biologiquement déterminées, elles sont aussi susceptibles d'être modifiées en fonction du milieu social. La Révolution sexuelle (1936) dénonce le rôle de la famille comme « fabrique d'idéologies autoritaires et de structures mentales conservatrices ».
Le freudo-marxisme a suscité les critiques les plus violentes, tant du côté des psychanalystes que de celui des marxistes. Cependant, un courant freudo-marxiste continue après la Seconde Guerre mondiale en Allemagne, autour de la revue Psyche et d'A. Mitscherlich (le Deuil impossible et Vers la société sans pères). L'école de Francfort s'intéresse aussi aux interfaces de la psychanalyse et d'une théorie sociale inspirée par le marxisme. Des ouvrages tels que la Personnalité autoritaire, de T. Adorno, témoignent de cette recherche.
Aux États-Unis, H. Marcuse publie, en 1955, Éros et Civilisation(4). Il y critique la thèse freudienne, à ses yeux trop pessimiste, selon laquelle la civilisation exige de l'individu le sacrifice de sa libido. Pour lui, la répression des pulsions n'est pas la même selon les cultures. Il propose le concept de « surrépression » pour désigner cette part de répression qui dépend de la civilisation et n'est pas indispensable à la vie sociale.
Bien que le freudo-marxisme soit aujourd'hui très décrié, il convient de souligner qu'il a laissé sa trace dans notre culture, et particulièrement en Amérique latine. Son intérêt est d'avoir ouvert la voie à une réflexion qui se poursuit aujourd'hui sur les interfaces entre le psychique et le social.
Michèle Bertrand
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Freud, S., l'Intérêt de la psychanalyse ; l'Avenir d'une illusion ; Psychologie des masses et Analyse du moi ; Malaise dans la civilisation.
- 2 ↑ Fromm, E., le Dogme du Christ (1931), Éditions Complexes, Paris, 1975.
- 3 ↑ Reich, W., Psychologie de masse du fascisme (1933), Payot, Paris, 1972.
- 4 ↑ Marcuse, H., Éros et Civilisation (1955), Minuit, Paris, 1963.