esthète

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec aisthètès, le terme d'aisthèsis a évolué au xviiie s. de l'idée de réception sensible à celle de reconnaissance esthétique.

Esthétique

Personne en quête du beau et qui en fait une valeur suprême. La figure de l'esthète, remarquable au xixe s. et affadie par la suite, a incarné une relation subjective au beau et à l'art, ancrée dans une sensibilité exacerbée. Elle a ainsi contribué à émanciper le goût.

L'esthète hérite des modifications décisives liées à l'émergence de l'esthétique au xviiie s. L'accent se déplace de l'appréhension d'un beau objectif, participant d'un idéal et normé par des canons, à la réceptivité subjective et au plaisir éprouvé par le spectateur ; parallèlement, l'art revendique son autonomie. L'esthète se définit dans ce double déplacement.

D'une part, en faisant du beau le seul critère de valeur, il contribue à exalter l'art, à l'affranchir de la référence au naturel et de toute fonction autre que la sienne propre. En France, Gautier proclame l'indépendance absolue de l'« art pour l'art » et, « vitres fermées », il se consacre à sculpter Emaux et Camées(1) ; en Angleterre, Wilde est le brillant héraut d'un esthétisme (inspiré par le préraphaélisme) qui revendique l'absolue primauté de la beauté sur la lassante platitude de la vie et de la nature(2).

D'autre part, et en conséquence, l'esthète refuse la trivialité et les valeurs d'utilité qui gouvernent sa société et il se replie sur un monde intérieur. Lecteur de Schopenhauer(3), il cherche un soulagement esthétique en cultivant le beau sous toutes ses formes. Par bien des traits, il ressemble au dandy dont il se distingue par ce souci exclusif et sa relative indifférence au regard des autres. Pourvu qu'il vive au milieu de beaux objets, variés afin de goûter des sensations neuves ou assortis aux nuances changeantes de son humeur, l'esthète ne craint pas la solitude, voire la recherche à l'instar du héros d'À rebours(4). Il se fait alors collectionneur et s'entoure d'œuvres et de bibelots, de musiques et d'odeurs qui exaspèrent sa sensibilité. Dans cette recherche effrénée de « paradis artificiels », les distinctions hiérarchiques entre les arts s'abolissent tandis que l'esthétique s'enracine dans une esthésique.

L'idée de beauté s'en trouve notablement élargie. La postérité aura beau se détacher de cette figure de l'esthète décadent et se méfier d'un culte du beau, elle restera marquée par la critique des valeurs qui sous-tend cette posture et ne pourra plus ignorer la question posée par l'autonomie de l'art.

Marianne Massin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Gautier, T., Préface à Mademoiselle de Maupin (1835) ; cf. aussi Émaux et Camées, Paris, 1852.
  • 2 ↑ Wilde, O., Intentions (1891), Stock, Paris, 1905 ; le Portrait de Dorian Gray (1891), Gallimard, Paris, 1992.
  • 3 ↑ Schopenhauer, A., Le monde comme volonté et comme représentation (1819), PUF, Paris, 1966.
  • 4 ↑ Huysmans, J.-K., À rebours (1884), Gallimard, Paris, 1977.
  • Voir aussi : Goncourt, E. et J. de, Journal (1re éd. complète, 1956-1958), rééd. Robert Laffont, Paris, 1989.
  • Mallarmé, S., Divagations, E. Fasquelle, Paris, 1897.

→ amateur, art (art pour l'art), attitude esthétique, beauté, désintéressement, goût