durée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Philosophie Générale

Épreuve que fait un existant du passage du temps dont le contenu révèle un sens immanent qui n'est pas ordonné à une essence préalable.

Schématiquement, l'histoire du concept de durée peut être décrite comme une déliaison progressive entre temporalité et finitude afin de penser le temps vécu comme la possibilité d'une conversion à l'absolu. Contre le dualisme strict du temps successif, « nombre du mouvement », et de l'éternité, énoncé par Aristote(1), Plotin est sans doute le premier à introduire la durée dans l'intelligible pour qualifier un déroulement spirituel sans commencement ni fin, qui permette d'articuler l'éternité du principe et la finitude du sensible(2). Mais c'est dans la doctrine de Spinoza que se met en place une tentative radicale d'articulation entre l'absolu, considéré sub specie aeternitatis, et les modes finis, considérés sub specie durationis. En faisant de la durée « une production de Dieu, cause efficiente sinon prochaine de celle-ci »(3), Spinoza promeut le temps vécu par les modes finis sans faire déchoir le principe, afin de penser une immanence temporelle de l'absolu qui ne soit pas un acosmisme ou un panthéisme vulgaires. Dans la mesure où la durée et l'éternité sont toutes deux comprises comme des formes de l'existence, et non comme les attributs extérieurs de substances distinctes, la durée indéfinie offre la possibilité d'une expérience de l'éternité. En regard, le concept traditionnel de temps, qui sépare la forme et le contenu, l'idée et l'existence, n'est qu'un auxiliaire de l'imagination pour penser la durée. C'est également à partir de cette distinction d'avec le temps formel du sens commun et de la science que Bergson développe une conception encore plus radicale de la durée, comprise à la fois comme expérience psychologique et comme seul fondement de l'ontologie(4). La durée se confond avec la vie de l'esprit, en tant qu'elle est un mouvement indéfini de création d'une multiplicité qui s'accroît et se différencie en ses rythmes, sans pluraliser les substances. Toute réalité n'est qu'une certaine manière de durer, et les notions de temps et d'éternité dépendent d'un même primat de l'instant abstrait, qu'il faut dénoncer pour établir, dans la variété des modes de la durée, un monisme différencié qui articule les degrés de l'être, de l'esprit à la matière, sans les opposer de façon réifiée.

La durée est, d'abord, le temps vécu par le sujet en tant qu'il offre la révélation progressive à la conscience d'un sens immanent qui se développe, sans être subordonné à la réalisation d'une essence préalable, mais où se lient la forme et le contenu dans une vie humaine comprise comme bios, trajet orienté qui décrit une histoire non réductible à une signification dernière et univoque. Au-delà de ce sens psychologique, le concept de durée peut être compris comme le support d'une ontologie qui, certes, accorde la hiérarchie des genres de l'être aux formes de leur temporalité, mais sans déterminer cet accord en fonction des essences, ce qui induit un dualisme contraire aux formes d'articulation de l'un et du multiple que permet le concept de durée. Il suppose, en effet, que l'essence est une forme dynamique, qui se perd ou se gagne selon l'épreuve temporelle qu'elle fait d'elle-même dans l'existence. La temporalité n'est plus synonyme de finitude : si la réalité dure et n'est pas, ses moments ne sont pas discrets ni successifs, ses régions ne sont pas essentiellement distinctes, mais intégrées dans une totalisation indéfinie qui est créatrice de sens, qui lie les « moments » du temps hors des oppositions statiques du même et de l'autre, de l'immémorial et de l'événement, de l'instant et de l'éternité. Tout surcroît de durée modifie le sens de ce qui le précède et ouvre à un futur qui n'est ni indéfini (puisqu'il est porté par la durée) ni prédéterminé (puisqu'il n'obéit à la prescription d'aucune essence qu'il se bornerait à développer, et qu'il modifie activement le sens de ce qui le précède).

Raynald Belay

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Aristote, Physique, IV, 223-224.
  • 2 ↑ Plotin, Ennéades, III, 7.
  • 3 ↑ Spinoza, B., Éthique, I, proposition XXIII, démonstration.
  • 4 ↑ Bergson, H., Essai sur les données immédiates de la conscience, passim ; Matière et Mémoire, passim ; la Pensée et le Mouvant, « La perception du changement ».
  • Voir aussi : Husserl, E., Leçons sur la phénoménologie de la conscience intime du temps.

→ essence, éternité, existence, temps

Physique

Newton définit la durée, comme le temps absolu, par opposition au temps relatif et vulgaire : « Le temps absolu, vrai et mathématique, sans relation à rien d'extérieur, coule uniformément, et s'appelle durée. Le temps relatif, apparent et vulgaire, est cette mesure sensible et externe d'une partie de durée quelconque (égale ou inégale) prise du mouvement : telles sont les mesures d'heures, de jours, de mois, etc., dont on se sert ordinairement à la place du temps vrai.(1) » Par la définition a priori de ce temps exprimant l'uniformité de son écoulement par rapport à lui-même, Newton marque définitivement son extériorité au monde et se donne ainsi les moyens d'une mesure d'un temps théorique à partir duquel il devient possible de comparer toutes les mesures effectives du temps. D'un certain point de vue, ce temps absolu correspond à la variable t de la mécanique classique. La critique de ce temps absolu commencée avec Berkeley, et Mach trouvera sa conclusion avec la construction de la relativité einsteinienne.

Michel Blay

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Newton, L., Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, Londres, 1687.
  • Voir aussi : Descartes, R., Règles pour la direction de l'esprit.
  • D'Alembert, J., Essai sur les éléments de philosophie.