dignité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin dignitas, « fait de mériter », « mérite ».

Morale

Qualité de ce qui a du mérite, de l'importance, et plus spécialement : 1) fonction, titre ou charge éminente de l'État ou de l'Église (les dignités ecclésiastiques et temporelles). 2) respect qu'on doit à une personne, à soi-même, à l'humanité en général.

L'affirmation de l'éminente dignité de l'homme et la réflexion sur ce qui est la marque de cette dignité est un thème développé à la Renaissance (voir l'article Dignité de l'homme) et que l'on retrouve chez de nombreux auteurs de l'âge classique, époque où le sens (2), à partir d'un emploi plus général du terme (on dit de quelqu'un qu'il parle, qu'il agit, qu'il marche avec dignité, qu'il soutient la dignité de son sujet) et du sens (1), se précise dans son usage actuel. C'est souvent dans la pensée qu'on fait alors consister la dignité de l'homme. Pascal souligne ainsi combien il est paradoxal que cette pensée, qui fait tout le mérite de l'homme, ne s'occupe que de sottises et soit toute consacrée au divertissement, au lieu de s'attacher à méditer sur la condition humaine et sur Dieu(1).

C'est dans la philosophie morale de Kant que la notion de dignité prend une importance philosophique décisive. Kant oppose ce qui a un prix, c'est-à-dire une valeur relative, à ce qui a une valeur intrinsèque, la dignité. Il n'y a que ce qui est fin en soi, et non moyen pour autre chose, qui possède une dignité : « La moralité, ainsi que l'humanité, en tant qu'elle est capable de moralité, sont donc les seules choses qui aient de la dignité.(2) » C'est en tant qu'il possède une raison pratique qui fait de lui un être autonome, à la fois législateur moral et soumis à la moralité, que l'homme a une valeur inconditionnée, une dignité. En tant que tel, il mérite le respect. La dignité se mérite autant qu'elle se possède : elle suppose un certain nombre de devoirs, en particulier le respect de l'humanité qui doit toujours être considérée comme fin et jamais simplement comme moyen, en sa propre personne (ce qui interdit par exemple le suicide ou la prostitution) aussi bien qu'en la personne de tout autre homme (ce qui interdit par exemple l'esclavage, mais aussi le mensonge). « L'humanité elle-même est une dignité ; en effet, l'homme ne peut être utilisé par aucun homme (ni par d'autres, ni même simplement par lui-même) simplement comme moyen, mais doit toujours être traité en même temps comme fin, et c'est en cela que consiste précisément sa dignité (la personnalité) grâce à laquelle il s'élève au-dessus de tous les autres êtres du monde qui ne sont point des hommes et peuvent donc être utilisés.(3) »

Dans un monde marchand généralisé, où des entreprises peuvent fermer des usines entières pour les reconstituer ailleurs, où les employés sont une « masse salariale » et les ménagères de moins de quarante ans des cibles commerciales, la revendication, au delà de la simple application du droit, de la dignité humaine ainsi comprise, reste une des valeurs de résistance aux excès tant économiques que technologiques (et biotechnologiques en particulier) du capitalisme contemporain.

Colas Duflo

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Pascal, B., Pensées, Le Seuil, coll. Points essais, Paris, 1962. Voir par exemple L. 620 - Br. 146, p. 273 ou L. 200 - Br. 347, p. 110.
  • 2 ↑ Kant, E., Fondements de la métaphysique des mœurs (AK, IV, 435), in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1985, t. II, p. 302.
  • 3 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, Doctrine de la vertu (AK, VI, 462), in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III, pp. 758-759.

→ autonomie, fin et moyen, morale, respect