contradiction
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin contradictio, décalque du grec antiphasis, de anti ou contra, « contre », et phasis ou dictio, « énoncé ».
La contradiction a été interprété de deux façons dans l'histoire de la philosophie. Formellement, elle est la fausseté même, stérile et propice, lorsqu'elle n'est pas aperçue, à l'introduction de raisonnements subreptices, ceux dans lesquels Kant voyait l'origine des querelles sans fin de la métaphysique. Ontologiquement, cependant, de l'agôn présocratique à la science de la logique hégélienne (tout comme dans la théorie kantienne de l'histoire), la contradiction est productrice de mouvement et de vie. Elle est même, pourrait-on dire, la forme normale des processus qui se font dans le temps.
Philosophie Antique
Opposition de deux propositions ou énoncés dont l'une affirme ce que l'autre nie. On appelle principe de contradiction (ou de non-contradiction) le principe selon lequel deux énoncés contradictoires ne sont pas tous les deux vrais.
Même si c'est Aristote qui a le premier énoncé précisément le principe de contradiction, Platon, dans un passage du Sophiste, explique qu'une réfutation doit porter sur l'assertion d'une même chose à propos des mêmes objets et en même temps (230b-d), posant ainsi les conditions d'une contradiction. Dans la République (IV, 436b), il affirme à propos de l'âme qu'« il est évident que le même ne consentira pas en même temps à produire ou à subir les contraires selon le même et relativement au même », ce qui est une formulation du principe.
Aristote définit la contradiction dans le traité De l'interprétation (17a33-37) et dans les Seconds Analytiques (I, 2, 72a13-14) comme l'opposition entre deux assertions dont l'une affirme ce que l'autre nie. Il ne discute pas cette définition dans ces traités et n'y énonce pas le principe de contradiction. C'est en effet l'objet du livre gamma de sa Métaphysique(1), qui contient trois formulations du principe : logique, ontologique et psychologique. Selon la formulation psychologique, il est impossible de croire en même temps deux énoncés contradictoires (3, 1005b23-26). Selon la formulation logique, il est impossible que deux énoncés contradictoires soient vrais en même temps (6, 1011b13-14). Selon la formulation ontologique, « que le même en même temps appartienne et n'appartienne pas, c'est impossible pour le même et selon le même » (3, 1005b19-23).
Le principe psychologique dépend du principe ontologique, qui entraîne le principe logique. Mais ce principe est indémontrable : pour Aristote, ceux qui en demandent une démonstration manquent de formation aux Analytiques car « tous ceux qui démontrent se rapportent à cette ultime opinion » (1005b32-34). En effet, toute démonstration suppose que l'on admette des prémisses : on ne peut donc pas à la fois refuser le principe de contradiction et en demander une démonstration car il faudrait pour cela accepter des prémisses non contradictoires. Aristote se contente donc d'indiquer qu'on peut réfuter ceux qui refusent le principe et qui en demandent la démonstration en leur montrant qu'ils ne peuvent pas parler sans admettre ce principe, car, dès qu'ils disent quelque chose, ils admettent que ce qu'ils disent a une signification et n'en a pas une autre en même temps, ce qui est une forme minimale du principe.
Aristote réfute ensuite ceux qui récusent le principe dans le cadre du relativisme, comme Protagoras et Héraclite. Ce relativisme s'appuie sur des sensations contradictoires pour en tirer la conséquence que toutes nos sensations sont vraies et qu'il n'y a pas de substance. Ni nos sensations ni la réalité ne seraient donc soumises au principe de contradiction. Aristote récuse l'existence de sensations contradictoires (5, 1010b18-19).
Ainsi, pour Aristote, le principe de contradiction n'est pas un principe logique, mais il est d'abord d'ordre métaphysique car ceux qui refusent le principe refusent aussi la notion de substance.
Le principe de contradiction ne doit être confondu ni avec le principe du tiers exclu, dont Aristote le distingue, ni avec le principe de bivalence (toute proposition est vraie ou fausse), qu'il semble bien rejeter dans le traité De l'interprétation (9, 19a36-39). Si les stoïciens n'ont pas formulé le principe de contradiction, ils ne le rejettent pas, puisque, selon eux, chaque proposition a une contradictoire, sa négative. Mais ils ont préféré formuler le principe de bivalence(2), qui entraîne le principe de contradiction.
Le bien-fondé des arguments d'Aristote dans sa discussion du principe a été critiqué par les logiciens qui ont remis en cause ce principe, notamment dans les logiques plurivalentes, mais la discussion d'Aristote reste sur ce point la référence incontournable.
Jean-Baptiste Gourinat
Notes bibliographiques
→ aristotélisme, métaphysique, tiers exclu
Logique, Philosophie Cognitive
Situation créée par l'admission simultanée de deux propositions dont l'une est la négation de l'autre.
Le premier philosophe à avoir affirmé qu'une proposition pouvait être vraie en même temps que sa négation est sans doute Héraclite, qui écrit : « Nous entrons et nous n'entrons pas dans les mêmes fleuves ; nous sommes et nous ne sommes pas »(1). Aristote, au contraire, considère comme « le plus certain de tous les principes » qu'« il est impossible pour la même chose en même temps d'appartenir et de ne pas appartenir à une même chose sous le même aspect »(2). Le principe de non-contradiction défendu par Aristote a été généralement retenu, au motif que d'une proposition et de sa négation prises ensemble, toute proposition peut être déduite (ex contradictione quodlibet). Demeurent cependant de nombreux cas où il semble qu'une contradiction puisse être acceptée sans qu'il en découle que n'importe quoi doive l'être également. Ainsi des propositions relatives aux objets inexistants, comme le cercle carré (à la fois carré et non carré), de celles qui sont en jeu dans un paradoxe comme celui du Menteur (la phrase « ce que je dis est faux » semble à la fois vraie et fausse), ou encore de celles qui contiennent des termes vagues, sans « bords » nettement définis (un adolescent est, et n'est pas, un adulte).
La solution apportée au problème posé par des cas de ce genre consiste, le plus souvent, à « désambiguïser » les termes utilisés en introduisant quelque paramètre supplémentaire, dont l'explicitation est supposée montrer que la contradiction n'est qu'apparente : s'il est midi, et qu'il n'est pas midi, c'est qu'il est midi à ta montre, et qu'il n'est pas midi à la mienne ; si un adolescent est un adulte et n'en est pas un, c'est qu'il l'est en un certain sens et qu'il ne l'est pas en un autre sens. Compte tenu du caractère souvent artificiel de cette stratégie de « paramétrisation » (est-il si clair que le mot « adolescent » soit ambigu ?), une autre perspective est parfois adoptée, qui consiste à admettre la réalité de certaines contradictions, mais à éviter qu'elles « prolifèrent » : ce qui est alors en cause est le principe ex contradictione quodlibet, qui autorise à conclure n'importe quoi d'une contradiction. Les logiques, dites « paraconsistantes », dans lesquelles ce dernier principe fait défaut, sont aujourd'hui l'objet d'études très actives.
Jacques Dubucs
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Héraclite, Fragments (133 ; 49a), PUF, Paris, 1986, p. 455.
- 2 ↑ Aristote, Métaphysique, t. iii (1005b 18-23), trad. J. Tricot, J. Vrin, Paris, 1970.
- Voir aussi : Priest, G., In Contradiction. A Study of the Transconsistent, Dordrecht, Martinus Nijhoff Publ., 1987.
- Priest, G., Routley, R., et Norman, J. (éd.), Paraconsistent Logics. Essays on the Inconsistent, Philosophia Verlag, Munich, 1989.