complexe

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin complexus, « embrassement, enchaînement ». En allemand, Komplex.


Le complexe est abordé dès la période présocratique, au sein de la physiologia élémentaire afin d'articuler le principe unique d'où dérive toute chose (apeiron, l'« illimité ») et l'infinie production des choses dissemblables dans le monde. Mais c'est avec la biologie cartésienne que se pose de façon cruciale la question du complexe, qui devient aussi celle de l'organisation. Comment une partie est-elle disposée en vue d'un tout ? Kant, qui réfute dans la période critique toute spéculation sur l'origine radicale des phénomènes, est contraint d'admettre une finalité relative dans l'organisation des corps complexes. Dans les sciences physiques, la complexité, qui avait jusqu'alors été anéantie par la confiance orgueilleuse de la science newtonienne, revient à la faveur de la physique statistique puis dans la suite des avancées liées à la seconde loi de la thermodynamique. L'étude des systèmes stochastiques conduit à la volonté de donner au chaos des formes organisées. La science contemporaine, selon une thèse défendue par Ilya Prigogine dans La nouvelle alliance, se définit par une relation étroite aux phénomènes au caractère complexe, affirmé et posé comme tel. En cela, la science actuelle se distingue de la science classique, qui réduisait tout complexe à un simple et procédait ainsi à des réductions sans commune mesure avec la complexité du réel lui-même.

Épistémologie, Philosophie Cognitive

1. Se dit de ce qui est composé d'éléments distincts. – 2. Système constitué de parties liées entre elles par des processus d'interaction qui induisent l'émergence de différents niveaux d'organisation ; phénomène engendré par ce type de système.

En philosophie de la connaissance, les idées complexes sont celles qui peuvent être analysées en éléments irréductibles, ou être engendrées par l'esprit. Elles sont composées d'idées simples qui, elles, sont connues immédiatement : par l'intuition chez Descartes, par la seule expérience chez les empiristes à la suite de Locke. En mécanique classique aussi le complexe s'opposait au simple par sa multiplicité : par exemple, la complexification d'un système fluide jusqu'à l'état turbulent était comprise comme une accumulation de modes indépendants. Mais la physique non linéaire a fait apparaître une distinction très forte entre « complexe » et « composé », et qui s'est généralisée : est complexe ce qui, n'étant pas simple, n'est pas non plus réductible à la réunion de ses composants. La non-linéarité traduit une complexité de type relationnel, organisationnel, posant à la connaissance un obstacle qui apparaît comme essentiel, contrairement à un système compliqué où la difficulté est quantitative (complexité algorithmique). L'impuissance de la méthode analytique à réduire le complexe pour déterminer son comportement le place hors du champ de connaissance scientifique : « c'est bien l'un des accomplissements majeurs de la physique que de réussir à traiter de vastes pans de l'univers comme s'ils n'étaient pas complexes(1) ». Mais la complexité du réel se manifeste par une codépendance entre les différents niveaux d'investigation qui ressortissent à des disciplines distinctes.

Face au paradigme de la simplification et de la séparation, E. Morin milite pour une science du complexe qui assume les rapports d'interaction entre parties ou processus(2). Ces rapports font qu'un système complexe est ouvert, physiquement, du fait d'une relation de couplage essentielle avec un milieu extérieur ; et épistémologiquement, du fait d'une dynamique auto-organisatrice induite par des relations causales circulaires et rétroactives entre les niveaux d'organisation. Un système complexe réunit ainsi des caractères contradictoires, dépendance et autonomie, déterminisme et imprédictibilité, qui doivent être pensés ensemble par une approche dialogique.

Isabelle Peschard

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Lévy-Leblond, J.-M., « Une science sans complexe ? », les Théories de la complexité, Autour de l'œuvre de H. Atlan (colloque de Cerisy), Seuil, Paris, 1991.
  • 2 ↑ Morin, E., Introduction à la pensée complexe, ESF éditeur, Paris, 1990.

→ autonomie, chaos, complexité, interaction

Psychanalyse

Ensemble organisé de représentations, en partie inconscientes et investies d'affect.

D'emploi intermittent en psychiatrie allemande, dans le xixe s., le terme est précisé par Jung comme « la totalité des idées en relation, un événement particulier doté d'une coloration émotionnelle »(1), séparé en partie du conscient et responsable de troubles psychologiques. Par les « expériences d'association », l'élément central du complexe peut être dégagé et traité.

Freud restreint d'abord l'usage de la notion aux parties inconscientes refoulées des représentations, puis la limite aux complexes d'Œdipe et de castration.

Ferenczi a critiqué la notion(2). Elle néglige, en effet, la dynamique des processus inconscients et paraît trop vague pour être pertinente. Son succès dans la langue courante achève de la discréditer dans la mesure où elle fait accroire, comme chez Jung, qu'existent des types ou des personnalités psychologiques rigides.

Jean-Marie Duchemin

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Jung, C.G., 1906, Diagnostische Assoziationsstudien, G. W., t. II, Olten-Freiburg, Br., Walter.
  • 2 ↑ Ferenczi, S., Perspectives de la psychanalyse (1924), in Œuvres complètes, 3, Payot, Paris, 1977.

→ association, fantasme, Œdipe