Théodose Ier
en latin Flavius Theodosius, dit le Grand
(Cauca, en Galice, vers 347-Milan 395), empereur romain (379-395), fils de Théodose l'Ancien.
1. La politique impériale : unité et division
Si Théodose fut le grand empereur des dernières années du ive siècle, il n'en partagea pas moins le pouvoir avec divers personnages plus ou moins éphémères. Après avoir été duc de Mésie Première, il dut son ascension à Gratien, éventuel assassin de son père : Gratien le fit maître de la milice, puis le proclama auguste, à Sirmium en 379. Il devenait ainsi empereur d'Orient, y compris de l'Illyricum oriental. Après un bref passage à Thessalonique, il s'établissait à Constantinople. Gratien gouvernait l'Occident avec Valentinien II, qui lui était associé.
Les relations entre Gratien et Théodose durent être difficiles en 383 : Théodose proclama auguste son fils Arcadius, ce qui semblait lui attribuer les pouvoirs de Gratien. Gratien mourut peu après, de la main d'un des hommes de l'usurpateur Maxime (383-388), qui venait de se manifester en Occident et avait pris Trèves pour capitale. Maxime, qui avait chassé d'Italie Valentinien II, empereur romain de 375 à 392, fut tué par les soldats de Théodose (Aquilée, 388).
Valentinien II ne fut pas rétabli dans ses attributions antérieures, mais envoyé en Gaule, où il était confié à la surveillance du général barbare Arbogast (?-394), qui le fit étrangler (Vienne, 392). Théodose s'installa en Italie, dans la capitale impériale de Milan. Il avait presque rétabli l'unité de l'empire à son profit. Pour peu de temps, car, à l'instigation du même Arbogast, un usurpateur apparut encore en Occident, Eugène, avec la prétention de succéder à Valentinien. En 393, Théodose donnait à son autre fils, Honorius, le titre d'auguste. Eugène chercha à éviter le conflit avec Théodose, mais celui-ci se refusa à le reconnaître et se résigna à le combattre. Il massacra ses troupes en 394 au Fluvius Frigidus (Rivière froide), à Ajdovščina, vallée de la Vipava.
Eugène mort, Théodose se trouvait seul maître de l'Empire. Mais pour combien de temps ? Il mourait l'année suivante, et l'Empire fut alors partagé entre ses deux fils Honorius et Arcadius. Il fut le dernier empereur à détenir pendant quelque temps l'autorité effective sur l'ensemble de l'Empire romain. Les événements de son temps confirmaient la fatalité de la division impériale ainsi que le contraste entre la stabilité politique relative de l'Orient et le chaos auquel était voué l'Occident.
2. La politique barbare
Théodose a fait figure d'un ami des Barbares, face à une opinion publique qui leur était très hostile. L'infiltration pacifique desservait la cause des Goths autant que les combats. Occasionnellement, les soldats romains ou la foule se déchaînaient contre eux. Théodose, lui, n'avait pas le choix : pour défendre l'Empire, il en était réduit à s'entendre avec les Barbares eux-mêmes.
Ce progermanisme n'est pas germanophile : les Goths sont ariens, et l'arianisme est persécuté ; les Goths sont chefs militaires, mais ils n'ont jamais l'autorité reconnue aux Romains. La question est d'ailleurs embrouillée : faute d'autres soldats, Théodose a recruté massivement des Goths, mais avec le sentiment du danger qu'ils représentaient. Il a tout fait pour recruter des Romains, pour traquer tous ceux qui voulaient échapper au service. Il en était qui se coupaient le pouce pour ne pas servir.
Pendant ce temps (vers 380), les Barbares déferlaient sur les Balkans, saccageaient tout. Mais, pour Théodose, la guerre était un péché. Il préféra négocier, et cette négociation aboutit, en 382, à l'installation des Goths dans l'Empire, tout en leur conservant un statut national et des lois propres. Le rhéteur Thémistios (317-vers 388) fit l'éloge public de ce pacifisme.
Cependant, de 386 à 392, Théodose doit mener plusieurs opérations militaires contre des Goths. Mais l'expulsion de ces hordes au-delà des frontières est impossible. Du reste, la situation des Barbares évolue : d'une part, ils s'infiltrent de plus en plus, d'autre part, ils se querellent entre eux. Les questions barbares deviennent des affaires intérieures. Cela convient mieux à Théodose, qui n'aime pas les campagnes militaires et préfère légiférer du fond de son palais. Il se montre alors soucieux de moralité, d'équité dans la justice, mais aussi débordé par la bureaucratie et par la vénalité. La fiscalité demeure toujours aussi lourde : Antioche se révolte à l'annonce d'impôts nouveaux (387).
3. La politique chrétienne
3.1. Le christianisme, seule religion officielle
Théodose fut un empereur chrétien, mais baptisé tardivement, en 380, après une maladie qui pourrait avoir influencé profondément ses sentiments. Toutefois, dès 379, tout annonce les égards qu'il allait accorder à l'Église. En 380, l'édit de Thessalonique déclare que « tous nos peuples doivent se rallier » à la foi chrétienne. D'admis, le christianisme devint officiel. En même temps, l'empereur prit position dans les dissensions entre chrétiens, l'édit précisant qu'il s'agissait du christianisme catholique, foi professée par « le pontife Damase et l'évêque Pierre d'Alexandrie », les autres étant des hérétiques que Dieu devait châtier.
3.2. La condamnation hérétiques
Ces hérétiques ne manquaient pas : à Constantinople se rencontraient ariens, anoméens, pneumatomaques. Théodose se hâta d'expulser l'évêque arien, Demophilos (?-386), au profit de Grégoire de Nazianze, qui avait tonné contre les hérétiques. Il fit déporter Eunomius (vers 320-vers 392), champion des anoméens. La secte des novatiens (novatianisme) échappa à ses foudres. Un nouvel édit (381) compléta le précédent, en insistant sur la foi définie par le concile de Nicée et en précisant les modalités de lutte contre les hérétiques, qui devaient être expulsés des villes. Enfin, une série de conciles furent réunis, en grande partie à l'initiative de l'empereur.
Le concile de Constantinople (381), qui comprit surtout des évêques orientaux, intronisa Grégoire de Nazianze en qualité d'évêque de Constantinople, et, malgré un certain désordre qui présidait à sa composition et à son organisation, prit des décisions en matière de foi et d'administration ecclésiastique. L'hérésie macédonienne fut condamnée.
La hiérarchie des évêques et des territoires ecclésiastiques se précisa : l'évêque du chef-lieu du diocèse devait avoir la prééminence. Celui de Constantinople se plaçait immédiatement après celui de Rome. La conférence de 383 réunissant les chefs des diverses confessions se limita à une condamnation d'hérésies. Les dispositions civiles suivirent les vœux conciliaires : Théodose ordonna la confiscation des églises des hérétiques. Un édit donna la liste des évêques dont la foi faisait autorité (381). Certains hérétiques furent poursuivis avec plus d'énergie : les manichéens, groupe dans lequel figurent des catégories assez diverses, étaient passibles de peines sévères (→ manichéisme) ; les encratites étaient passibles de mort. Aux apostats, il était interdit de tester et de recevoir un héritage.
La théologie était plus mêlée que jamais à la vie publique, par la volonté de l'empereur. Mais celui-ci devait se heurter à une autre volonté, celle de saint Ambroise, évêque de Milan, qui savait manier la menace d'excommunication. À Thessalonique, une émeute s'était produite en 390 : Théodose ordonna de la réprimer. Le massacre inspira à Ambroise une lettre très ferme, demandant à l'empereur réparation et pénitence publique. Celui-ci s'inclina et fit pénitence à la fin de 391. L'évolution même de sa législation se trouva influencée par ces événements, car les mesures prises contre le paganisme s'aggravèrent en 391.
4. La politique païenne
La politique de l'empereur à l'égard des païens apparaît souvent timorée et indécise. Théodose a cherché certes à détruire le paganisme, mais, face à des institutions solidement établies, à des fêtes traditionnelles, à un culte impérial d'intérêt politique évident et au paganisme résolu, réactionnaire, de nombreux personnages de l'ordre sénatorial, il s'est avancé avec précaution. Il a été le premier empereur à ne pas prendre le titre de grand pontife. En 381 sont proscrits ceux qui font des sacrifices pour connaître l'avenir, en 385 les sanctions sont plus rigoureuses encore.
À l'époque de son conflit avec saint Ambroise, Théodose semble marquer une pause : de 388 à 391, les païens respirent un peu. Pourtant, il est une chose qui se fait lentement, mais inexorablement : c'est la fermeture des temples païens. Elle semble décidée dès le début du règne. En 382, le sénat de Constantinople obtient qu'on laisse ouverts les temples qui servent de galeries d'art. En 391, c'est l'ensemble des pratiques cultuelles qui est visé : interdiction de faire des sacrifices sanglants, de visiter les temples, de vénérer les statues. L'application de ces lois se fait de façon irrégulière, selon les lieux et les circonstances. À Alexandrie, la fermeture du Serapeum est inaugurée par une émeute destructrice qui oppose les chrétiens aux païens assiégés dans l'édifice. En 392, les sacrifices domestiques, les fleurs devant les pénates familiaux, les bandelettes attachées à l'arbre sacré deviennent des pratiques interdites. On sait que tout cela se fera encore longtemps dans les campagnes.
Même si cette politique religieuse a été parfois hésitante, elle a été assez généralement dans le sens des intérêts de l'Église. C'est de ce point de vue qu'est mérité le titre de Grand décerné a posteriori par les chrétiens. En regard de cela, il a été tout le contraire d'un champion de la romanité face aux Barbares, et il a commis un certain nombre de négligences, étalé une certaine inertie face à la bureaucratie, à la corruption, au brigandage et aux autres causes de ruine de l'Empire.
Pour en savoir plus, voir l'article Empire romain (27 avant J.-C.-476 après J.-C.).