Alain Juppé
Homme politique français (Mont-de-Marsan 1945).
1. Le « meilleur » des Chiraquiens
Pur produit de la méritocratie des Trente Glorieuses, Alain Juppé naît au sortir de la Seconde guerre mondiale dans un milieu agricole modeste des Landes. Brillant élève, il intègre l’École normale supérieure, décroche l’agrégation de lettres classiques puis entre à l’ENA dont il sort parmi les premiers, « dans la botte », pour devenir inspecteur des Finances. Dès 1976, il rejoint le groupe des collaborateurs du jeune Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, le gaulliste Jacques Chirac, dont il partage les convictions et admire la détermination.
Il fait partie des premiers membres et cadres du Rassemblement pour la République (RPR) que ce dernier fonde après son départ de l’exécutif en 1976 et, dès la fin de la décennie, le retrouve à la mairie de Paris dont il devient un des principaux adjoints de 1983 à 1995. Il gagne auprès de celui-ci non seulement ses galons politiques (premier mandat européen en 1984 puis législatif en 1986) mais aussi une réputation d’excellence qui lui vaut le surnom d’« Amstrad », une marque d’ordinateur de l’époque. Il est d’ailleurs selon les dires de J. Chirac « le meilleur d’entre nous », tant pour ses capacités d’analyse que pour le caractère indéfectible de sa loyauté.
A. Juppé devient ministre délégué au Budget et porte-parole du gouvernement de cohabitation Chirac après la victoire de la droite aux législatives de 1986. Conformément aux vues de la nouvelle majorité soucieuse de favoriser l’offre et l’investissement, il œuvre à l’allègement de la pression fiscale, supprimant l’impôt sur les grandes fortunes, abaissant ceux pesant sur les sociétés et réduisant les taux de TVA.
Secrétaire général et numéro 2 du RPR quand celui-ci repasse dans l’opposition en 1988, il fait, de concert avec V. Giscard d’Estaing, arriver en tête la liste de droite aux européennes de 1989, mais il renonce très vite à son mandat pour privilégier ses activités de parlementaire et de chef politique national. À ce titre, il fait face à la fronde des rénovateurs contre J. Chirac et parvient à maintenir l’unité du mouvement autour de son fondateur et leader. S’opposant notamment au tandem Pasqua-Séguin, il conseille à ce dernier de se prononcer en faveur de la ratification du traité de Maastricht en 1992.
Après le raz-de-marée législatif de 1993 en faveur de la droite, il obtient le prestigieux poste de ministre des Affaires étrangères dans le cabinet de cohabitation d’Édouard Balladur et s’acquitte de sa tâche avec un brio salué au-delà des frontières partisanes. Il est vrai qu’il est amené à composer avec le président de la République, le socialiste François Mitterrand. En tout état de cause, il acquiert au Quai d’Orsay une popularité qui fait de lui plus que jamais le principal lieutenant de J. Chirac. En effet, contrairement à nombre de ministres estampillés RPR, il choisit de rester fidèle à ce dernier, de ne pas se rallier à la candidature à la présidentielle de 1995 du chef du gouvernement et d’animer la campagne, en définitive et contre toute attente victorieuse, de son mentor.
Aussi est-ce presque tout naturellement qu’il devient Premier ministre quand ce dernier accède à la magistrature suprême et le préfère à l’orageux Philippe Séguin. À la tête d’un cabinet de crise, il est amené à revenir sur les promesses électorales de remédiation de la « fracture sociale » et à promouvoir rigueur et réformes de structure, en particulier à propos du système de sécurité sociale et des régimes spéciaux de retraite. Le puissant mouvement de protestation et de grève qui s’ensuit à l’automne le conduit à faire en partie machine arrière. Sa popularité s’étiole, cependant qu’à partir de 1996, d’autres contentieux, au sujet des sans-papiers notamment, ternissent un peu plus son aura. La difficulté à présenter un budget compatible avec les critères de Maastricht et l’échec pour la droite de la dissolution de l’Assemblée nationale voulue par le président de la République le conduisent à démissionner au printemps 1997 et à céder son poste au vainqueur des élections, le socialiste Lionel Jospin.
2. Éclipse, retraite et implantation bordelaises
Après avoir été député du 18e arrondissement de Paris, A. Juppé succède en 1995 à Jacques Chaban-Delmas à la mairie de Bordeaux (jusqu’en 2004, puis à nouveau depuis 2006) et représente le cœur de ville à l’Assemblée nationale à partir de 1997. À la tête de la cité puis de la communauté urbaine (jusqu’en 2004), il s’emploie à réveiller la « Belle endormie », multipliant les projets d’envergure : lignes de tramway, aménagement des quais de la Garonne, réhabilitation des friches industrielles et quartiers de la rive droite, animations artistiques et politique culturelle. Cette action est consacrée par l’inscription de la ville au patrimoine universel de l’Unesco en 2007 et par sa reconduction en tant que maire dès le premier tour en 2008, alors qu’à l’échelle nationale la droite subit un revers cinglant et encaisse la perte sèche de près d’une cinquantaine de villes de plus de 30 000 habitants.
Après avoir été secrétaire général du RPR de 1988 à 1994 puis président de ce mouvement jusqu’en 1997, il en laisse les rênes à P. Séguin et, après un intérim assuré par Nicolas Sarkozy, à Michèle Alliot-Marie. Mais en 2002, dans le contexte de la présidentielle, il œuvre à sa transformation en Union en mouvement (UEM) puis en Union pour un mouvement populaire (UMP), c’est-à-dire une grande formation de la droite et du centre destinée à mettre fin au caractère bicéphale de cette aile de l’échiquier politique français et à fournir au chef de l’État réélu une majorité à sa convenance. Il en assure la présidence jusqu’en 2004, quand il est rattrapé par des affaires liées à la gestion de la capitale au temps de J. Chirac.
Condamné en 2004 à dix-huit mois d'inéligibilité politique (peine commuée à un an l'année suivante) dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, il quitte ses fonctions parlementaires, municipales et partisanes et se retire momentanément à Montréal, au Québec, où il enseigne à l’université avant de revenir sur le devant de la scène politique en 2006. Retrouvant le fauteuil de maire de Bordeaux (octobre 2006), il prend la tête d’un grand ministère de l'Écologie, du Développement et de l'Aménagement durables au sein du gouvernement Fillon en mai 2007, mais, conformément à la régle édictée par le président Sarkozy, doit renoncer à ce poste à la suite de sa défaite aux élections législatives de juin.
3. Une figure tutélaire de la droite
Détaché de tout devoir d’allégeance, A. Juppé fait bientôt figure de « sage de la majorité ». Il parvient de fait rapidement à renforcer aussi bien sa position locale, en tant que maire de Bordeaux, que sa stature nationale. Malgré les critiques qu’il n’hésite pas à asséner, au compte-goutte certes, à l’endroit de l’exécutif et notamment du chef de l’État, il finit par revenir par la grande porte au gouvernement en tant que ministre d'État, ministre de la Défense et des Anciens combattants (novembre 2010), puis ministre des Affaires étrangères et européennes (2011-2012). Dès lors, faisant fi des tensions passées, N. Sarkozy l’érige en interlocuteur privilégié au sein de l’équipe qu’il préside.
Après l’échec de ce dernier à la présidentielle de 2012 et devant les menaces d’éclatement de l’UMP liées tant à la concurrence du Front national, qu'aux tentations d’alliance avec l’extrême droite qui se font jour chez certains élus et de nombreux électeurs du mouvement, ou à la guerre des chefs qui se dessine entre F. Fillon et Jean-François Copé, A. Juppé se voit obligé de rappeler les grands principes qui structurent l’action de sa famille politique. Il est par ailleurs plus que jamais tenté de se poser en arbitre, en rassembleur et, progressivement, en recours possible. L’affaire Bygmalion de fausses factures et dépassement du plafond des dépenses de campagne de la présidentielle de 2012 décapite en juin 2014 la direction de la formation et le conduit, ainsi que les deux autres Premiers ministres Jean-Pierre Raffarin et François Fillon, à en assurer de concert l’intérim. Les révélations qui éclaboussent N. Sarkozy n’en précipitent pas moins son retour en politique : en septembre, celui-ci se porte candidat à la présidence de l'UMP, qu’il conquiert à la fin de novembre. Non sans quelque peine : alors que l’ancien chef de l'État compte sur le soutien des militants dans la perspective des futures primaires à droite, il observe avec inquiétude la popularité grandissante d’A. Juppé, qui a officialisé son entrée en lice au cours de l'été et ne cesse depuis de marquer des points.
Pour en savoir plus, voir l'article France : vie politique depuis 1958.