Walter Elias, dit Walt Disney
Dessinateur, cinéaste et producteur américain (Chicago 1901-Burbank, Californie, 1966).
Le 23 août 1986, le Sénat et la Chambre des représentants des États-Unis votaient une loi désignant le 5 décembre 1986 comme « Walt Disney Recognition Day ». Cette reconnaissance, qui introduisait au panthéon des grands Américains un homme que le monde entier identifie à l'univers enfantin de Mickey, peut paraître paradoxale. Elle souligne pourtant, vingt ans après sa mort, la place occupée dans la vision américaine du monde par celui qui a hissé le dessin animé au rang des grandes productions hollywoodiennes et créé une véritable mythologie et un empire industriel et commercial dépassant, de loin, les frontières de l'Amérique et du cinéma.
L'apprentissage d'un créateur
Walter Elias Disney, né le 5 décembre 1901 à Chicago, est le quatrième et avant-dernier fils d'Elias Disney, Canadien d'origine irlandaise, et de Flora Call, originaire de l'Ohio. L'enfant a cinq ans quand son père emmène sa famille vivre dans une ferme du Missouri. Des quatre années passées dans cet univers, Disney conservera une durable nostalgie : ce sera l'une de ses principales sources d'inspiration.
De Kansas City à Los Angeles
En 1910, la famille déménage à nouveau, pour Kansas City, où Walt suit les cours de l'Institute of Art à partir de 1915. En 1918, engagé comme ambulancier dans la Croix-Rouge, il débarque en France, d'où il adresse, sans succès, quelques dessins humoristiques à des journaux américains. Revenu à Kansas City en 1919 et embauché, grâce à son frère Roy, dans une agence de publicité, il rencontre un autre jeune dessinateur de talent, Ub Iwerks, qui dès lors sera son plus proche collaborateur ; ayant créé son propre studio en 1930, Iwerks reviendra définitivement chez Disney en 1940. De même, Roy, d'abord employé de banque, deviendra dès 1923 l'associé avisé de toutes les entreprises de son frère ; il lui succédera à la tête de la firme en 1966, son fils assurant la continuité de la dynastie après sa mort en 1975.
En 1920, Walt se fait embaucher avec Iwerks à la Kansas City Film, productrice de dessins animés publicitaires. Deux ans plus tard, l'entreprenant jeune homme fonde sa propre société, la Laugh-o-Grams Films, avec la collaboration d'Iwerks, auquel s'ajoutent les frères Harman et Rudolf Ising. L'équipe réalise alors des dessins animés inspirés de contes : Cendrillon, le Chat botté, les Musiciens de Brême. Puis commence une nouvelle série, Alice in Cartoonland, où une fillette, filmée en prises de vues réelles, évolue au milieu de personnages et de décors de dessins animés.
Mais, en 1923, la faillite de son entreprise amène Walt à rejoindre Roy à Los Angeles ; avec son frère, grâce au financement d'un oncle, il ouvre un modeste studio. Bientôt rejoint par son ancienne équipe, renforcée de Friz Freleng et des frères Clark, il relance la série des Alice pour une société de distribution de New York. En 1923, il applique son fameux graphisme en O à la création d'Oswald le lapin, héros d'une nouvelle série, qui remporte d'emblée un vif succès. Mais un conflit avec son distributeur lui fait perdre la réalisation d'Oswald et son équipe d'animateurs.
Mickey
Repartant une nouvelle fois de zéro, Walt crée en 1928, avec Iwerks, resté seul fidèle, un nouveau personnage baptisé Mortimer, qui connaîtra l'année suivante la célébrité sous le nom de Mickey. Les deux premières bandes réalisées ne sortiront qu'après la troisième, en versions sonorisées. Dans la première, Plane Crazy, le souriceau, enthousiasmé par l'exploit de Lindbergh, qui vient de traverser l'Atlantique en avion, embarque dans une folle équipée aérienne sa fiancée Minnie et les animaux de la ferme. La deuxième, Gallopin'Gaucho, pastiche avec drôlerie les performances du célèbre Douglas Fairbanks. Mais c'est avec la troisième, Steamboat Willie, que Disney réussit son coup de maître.
Dessins animés parlants
Dès 1927, le cinéma sonore avait conquis les salles américaines avec le célèbre Chanteur de jazz d'Alan Crosland. Disney, ayant compris l'irréversibilité du phénomène, met au point un système de synchronisation et imagine un scénario qui fait la part belle aux gags et aux effets sonores ou musicaux (comme celui où Mickey joue du xylophone sur les dents d'une vache). Steamboat Willie, véritable comédie parodique et musicale du Showboat, alors très en vogue à Broadway, sort en première à New York le 18 novembre 1928 et connaît un triomphe.
Ce succès ouvrait pour dix ans l'âge d'or des courts métrages de Disney : les Mickey Mouse Cartoons et les Silly Symphonies, dont la première, en 1929, est une fantastique sarabande de squelettes illustrant la Danse macabre de Saint-Saëns. L'univers de Mickey s'enrichit cependant de nouveaux personnages : Pluto, puis Goofy en 1932, Donald en 1934. Très vite, ils font cavaliers seuls, chacun devenant la vedette de sa propre série. Ils concurrenceront même Mickey dès la fin des années 1930, surtout Donald, l'irascible et pétulant canard, entouré de ses propres comparses : Daisy sa fiancée, les trois facétieux neveux et, plus tard, le fameux oncle à héritage, Uncle Scrooge, alias Picsou.
Dessins animés en Technicolor
Poursuivant la recherche d'innovations techniques qui avait présidé à son premier succès, Disney aborde, dès 1932, le Technicolor avec Fleurs et Arbres, couronné par un premier Oscar. De nombreux films suivent, notamment les Trois Petits Cochons en 1933, dont le célébrissime refrain, « Who's afraid of Big Bad Wolf? » (« Qui a peur du grand méchant loup? »), fut chanté par toute l'Amérique plongée alors dans la grande dépression. En 1934, ce sera le Lièvre et la Tortue, inspiré de la fable de La Fontaine. Le septième et dernier Oscar des courts métrages de cette décennie est décerné en 1938 à Ferdinand the Bull, le taurillon destiné, par son impressionnante stature, à la corrida, mais qui, doué d'une sensibilité de poète, préfère la paix des pâturages en fleurs à la frénésie des arènes.
Le dessin animé : un genre à part entière
L'année 1937 marque une nouvelle et importante étape dans l'essor des activités de Disney. Elle voit, en effet, la sortie de son premier long métrage, Blanche-Neige et les sept nains, qui consacre l'accès aux productions hollywoodiennes et rencontre un immense succès mondial. Le film réunit tous les ingrédients esthétiques et dramatiques d'un grand succès populaire : profusion des couleurs composées d'une palette de 1 200 nuances ; variété des effets dramatiques mêlant le suspense, le fantastique et le comique ; originalité des personnages, notamment des nains – chacun d'entre eux acquiert une personnalité qui n'existait pas dans le conte de Grimm.
Dans la même période, la compagnie Disney se transporte à Burbank, dans ce qui va devenir le plus gigantesque studio de dessins animés. Celui-ci s'organise sur un mode de production industriel avec une division technique poussée des activités et une multiplication des effectifs, qui passent de 187 personnes en 1937 à 1 600 en 1940. Chaque étape du processus de réalisation est désormais strictement définie et confiée à des équipes spécialisées (story-board, intervallisme, traçage, encrage, gouachage) qui affinent les croquis initiaux. L'ambition de Disney est axée sur une recherche de perfection technique répondant aux exigences d'un réalisme de plus en plus naturaliste : la fantaisie créative des débuts tend à disparaître.
C'est l'époque où Disney crée à l'Institut Chouinard des classes d'art pour former ses animateurs. Il exigera bientôt que leurs animations soient un véritable décalque de modèles vivants. C'est encore dans le même esprit qu'il met au point la fameuse caméra multiplane, qui permet la prise de vues en trois dimensions et l'effet de relief. Elle est employée pour la première fois à la réalisation du Vieux Moulin, qui lui vaut son sixième Oscar, en 1937.
Mais, fort du succès de Blanche-Neige, Disney poursuit la réalisation des longs métrages avec Pinocchio, sorti en 1939 et suivi de Fantasia, en 1940. Ce dernier film était construit en huit séquences, chacune illustrant un morceau célèbre du répertoire musical classique, de Bach et Beethoven à Moussorgski et Stravinski. La critique jugea sévèrement ce film, le style du graphisme de certaines séquences jurant profondément avec les œuvres de référence (seule l'animation de l'Apprenti sorcier de Paul Dukas, avec Mickey, fut approuvée). Après Dumbo l'éléphanteau volant (1941), Bambi (1942) marque un sommet dans le style naturaliste cher à Disney : le jeune faon était paradoxalement, à la fois plus humain et plus vrai que nature.
Mais le contexte international, s'ajoutant à des difficultés propres à la firme, interrompt brutalement l'essor entamé cinq ans plus tôt et entraîne dès 1940, une reconversion des productions. De plus en 1941, une grève éclate chez les animateurs pour des motifs à la fois salariaux et de liberté de création. L'affrontement avec celui qu'ils surnomment alors « Big Bad Walt » se solde par le licenciement de certains des plus brillants d'entre eux, qui s'en vont, dans des studios concurrents, développer un style « anti-disneyen ». Enfin, l'entrée en guerre des États-Unis, en décembre 1941, et la fermeture des marchés européens qui en découle incitent Walt Disney à opérer un repli sur les valeurs nationales.
Patriotisme et conquête commerciale du monde
De 1943 à 1945, la plupart des réalisations des studios Disney serviront, plus ou moins directement, l'effort de guerre et la propagande des États-Unis. Elles prennent la forme, d'une part, de films d'instruction militaire – comme Victory through Air Power (« Victoire par l'aviation ») de 1943, premier d'une longue série commanditée par les forces armées – et d'autre part, de films de propagande destinés au grand public : en 1943, deux belles réussites, Der Füehrer's Face et Education for Death, corrosives satires du nazisme, accompagnent un autre film plus contesté, soutenant le « panaméricanisme » en direction des pays latino-américains, Saludos amigos, que suivront les Trois Caballeros en 1945. Dans ces quatre films, Donald Duck, porte-parole de l'idéologie officielle, tient la vedette. Il va désormais se tailler la part du lion jusqu'en 1961, dans des séries de courts métrages de plus en plus orientés vers une fonction éducative ou didactique. Mickey ne figurera plus que dans un ou deux films par an, jusqu'à sa dernière apparition en 1953 dans The Simple Things, en compagnie de Pluto ; la série des Goofy, elle, se maintiendra en bonne place jusqu'en 1955.
Du documentaire à Mary Poppins
L'après-guerre est cependant marqué par un nouveau tournant avec l'élargissement des productions disneyennes aux films « non animés ». D'abord avec les documentaires de la série des True Life Adventures, pour laquelle Disney fonde sa propre compagnie de distribution, Buena Vista. Certains longs métrages « animaliers » comme le Désert vivant et la Grande Prairie (Oscars 1953 et 1954) ou Lions d'Afrique, en 1955, rencontrent un vif succès.
Cette diversification des genres comprend aussi la réalisation de fictions en action réelle confiées à de bons metteurs en scène : la Rose et l'Épée (1953) à Ken Annakin, ou Vingt Lieues sous les mers (1954) à Richard Fleisher, et surtout Mary Poppins (1964), grande réussite d'un genre alors presque éteint, la comédie musicale, mêlée ici à l'animation : le film, qui sera couvert d'Oscars, dont ceux décernés à son réalisateur Robert Stevenson et à son interprète Julie Andrews, reste l'un des succès les plus populaires de Disney.
De Cendrillon aux Aristochats
Toutefois, cette diversification n'empêche pas Disney de reprendre la réalisation de longs métrages animés dès 1950 : Cendrillon puis Alice au pays des merveilles en 1951 ; Peter Pan en 1953 – trois films dont le graphisme était calqué sur une mise en scène préalable avec des acteurs réels. La critique fut assez cruelle pour ces adaptations de contes célèbres, dont elle estimait la valeur poétique trahie.
Après la Belle et le Clochard (1955), la Belle au bois dormant (1959), coûteuse adaptation déficitaire, se vit reprocher sa « perfection glacée ». Mais cet échec fut compensé par la sortie des 101 Dalmatiens en 1961 et de Merlin l'Enchanteur en 1963, dirigés par Wolfgang Reitherman qui, après la mort de Walt Disney, reprendra la direction du département animation avec l'équipe des « vétérans » : il réalisera, avec une parfaite fidélité aux projets laissés par Walt, deux grands succès, le Livre de la jungle (1967) et les Aristochats (1970).
L'empire Disney
Il est encore deux domaines où l'esprit d'entreprise de « Big Walt » s'est exercé dans la dernière période de sa vie. Tout d'abord, celui de la télévision, à laquelle il fut le premier producteur de cinéma à s'intéresser : il créa en 1954 un premier programme sur ABC (The Disneyland Story), suivi en 1955 du Mickey Mouse Club TV Show, diffusé quotidiennement. Ces émissions permirent la multiple rediffusion des stocks de cartoons, mais elles assurèrent aussi la promotion des fameux parcs d'attractions.
C'est là, sans doute, que s'exprime la part la plus personnelle de l'œuvre de Disney à cette époque. Il conçoit et fait édifier un monde en trois dimensions, peuplé des créations les plus diverses de sa mythologie, qui est aussi celle de l'Amérique populaire.
À Disneyland, ouvert en 1955 à Anaheim en Californie, s'ajoute le gigantesque Disneyworld en Floride, inauguré par Roy en 1971. Le centre Epcot (« Cité expérimentale du futur »), sa dernière œuvre posthume, vient compléter, en 1975 à Disneyworld, ce mélange baroque où voisinent Mickey, la Belle au bois dormant, les pirates des mers du Sud, les saloons de l'Ouest et les indigènes polynésiens... 10 millions de visiteurs par an se pressent dans ces « royaumes enchantés » qui, à partir des années 1970, ont assuré à la firme 70 % de son chiffre d'affaires.
La firme Disney après Disney
Depuis la mort de Walt Disney, la firme continue à « faire du Disney » : bien entendu, elle poursuit la production de grands dessins animés, inspirés notamment des classiques du conte, comme la Petite Sirène (1989) d'après Andersen, la Belle et la Bête (1992), Aladdin (1993) d'après les Mille et Une Nuits, ou qui retrouvent la thématique animalière et allégorique comme le Roi lion (1994) ; inaugurant un certain renouvellement thématique, Pocahontas (1995) s'inspire d'un récit quelque peu mythologique visant à réconcilier les origines indiennes et européennes des États-Unis et Hercule ( 1997) de la mythologie grecque, tandis que le Bossu de Notre-Dame (1996), librement adapté du célèbre roman de V. Hugo Notre-Dame de Paris, tire des effets heureux des nouvelles techniques de graphisme par informatique qui dynamisent l'action en donnant de la profondeur à l'image ; enfin, la firme confie à de grands metteurs en scène la réalisation de fictions à succès, comme la Couleur de l'argent (1986) de Martin Scorsese, avec Paul Newman, qui y reprend le rôle qu'il tenait en 1961 dans l'Arnaqueur ; et elle crée une chaîne de télévision à péage, Disney Channel, en 1983.
Depuis quelques années, Disney renouvelle son image, notamment grâce aux studios Pixar, spécialisés dans l'animation par ordinateur. En 1995, ceux-ci produisent Toy Story, le premier dessin animé à être réalisé en images de synthèse. Suivront avec succès : Monstres et Cie (2002), le Monde de Nemo (2003), les Indestructibles (2004), Cars – Quatre Roues (2006), Ratatouille (2007), Wall-E (2008).
Par ailleurs, Disneyland continue d'essaimer ; ses « colonies » s'installent à travers le monde : Tokyodisneyland (1983), Eurodisney (renommé ensuite Disneyland Paris) à Marne-la-Vallée (1992), Hong Kong Disneyland en Chine sur l'île de Lantau (2005).
Et l'empire sans frontières de Disney n'a pas fini de populariser, avec le « merchandising », l'effigie des « petits Mickey » à travers bandes dessinées, jouets, t-shirts, montres et gadgets divers, qui depuis un demi-siècle envahissent l'univers quotidien des enfants (petits et grands) de la culture de masse du xxie s.