Honoré Daumier
Peintre, lithographe, graveur, dessinateur et sculpteur français (Marseille 1808-Valmondois 1879).
Jeunesse et premières œuvres
Le père d'Honoré, Jean-Baptiste Daumier, ouvrier vitrier et fervent admirateur de Jean-Jacques Rousseau, a publié en 1823 les Veillées poétiques, recueil de vers dont l'esprit rappelle celui des Rêveries du promeneur solitaire. À Paris, où la famille Daumier est venue, en 1814, se fixer dans un petit logement de la rue de l'Hirondelle, près de la place Saint-Michel, Honoré épousera en 1846 une ouvrière en couture, Marie Alexandrine Dassy.
Daumier, dès ses premières années, a manifesté un goût très vif pour le dessin. Apprenti clerc chez un huissier (ce dont il se souviendra dans ses Gens de justice), puis apprenti commis chez un libraire, il se plaît surtout à crayonner les passants dans la rue, quand ce n'est pas au Louvre qu'il se rend pour y admirer les sculptures antiques, Rubens et Rembrandt… Son père, qui avait dédié une de ses odelettes à Alexandre Lenoir, obtient de celui-ci qu'il donne quelques conseils au jeune révolté, lequel, rétif aux principes davidiens, continue de s'inspirer des spectacles de la vie. C'est alors que Daumier fait la rencontre de Charles Ramelet (1805-1851), obscur peintre de genre, qui l'initie à la lithographie. Cette technique nouvelle va désormais lui fournir son activité favorite et lui permettre en même temps de gagner sa vie en collaborant aux journaux illustrés.
Il allait avoir quinze ans lorsqu'il présenta à l'imprimeur Godefroy Engelmann un de ses premiers essais lithographiques. Son œuvre dans ce genre est d'environ quatre mille pièces, parues pour la plupart dans la Caricature et le Charivari. Il a par ailleurs laissé quatre-vingt-quatorze peintures identifiées, des aquarelles souvent rehaussées de gouache et de traits de plume, ainsi qu'une quarantaine de sculptures et une centaine de bois gravés par des praticiens spécialisés, son célèbre frontispice pour les Châtiments, conservé au musée Victor-Hugo, devant être signalé à part.
L'œuvre dessiné
Parmi ses lithographies, il n'en est que peu, obtenues sur zinc et manifestement hâtives (jusqu'à huit en une nuit, afin de pouvoir peindre, le lendemain, à la lumière du jour), qui ne portent pas suffisamment la marque de sa haute maîtrise de dessinateur dont le trait fouille, perce, illumine, dont les modulations en noir et blanc émeuvent simultanément la sensibilité et la pensée. Autant que le grand artiste, elles font révérer en lui un citoyen courageux : militant républicain et caricaturiste politique sous Louis-Philippe et sous le second Empire, ce qui lui valut dès 1832 six mois de prison et cinq cents francs d'amende- somme énorme pour l'époque. Lorsque la puissante expression de ses convictions révolutionnaires fut interdite par la loi, il se livra à la satire des mœurs bourgeoises, judiciaires, conjugales, financières…, bref de la comédie humaine. Un de ses admirateurs a pu écrire, sans trop exagérer, qu'il lui arriva d'égaler, tout à la fois, Molière et Michel-Ange. Balzac, qui pourtant était loin de partager ses idées politiques, a aimé ce Daumier à qui Michelet n'a pas hésité à prédire que, par lui, le peuple, longtemps encore, « pourrait parler au peuple ». Mieux qu'un simple témoin, Honoré Daumier fut un polémiste, et aussi un honnête homme, qui mourut pauvre.
Parmi ses lithographies considérées comme des chefs-d'œuvre, il faut citer Un héros de juillet (1831), Gargantua (caricature de Louis-Philippe, [1831]), les Blanchisseurs (1832), le Ventre législatif (1834), Enfoncé, Lafayette (1834), Rue Transnonain (1834), le Gamin de Paris aux Tuileries (1848), La République nous appelle (1870). D'autres forment des séries, dont, sans compter les planches d'Actualités, voici l'essentiel :
Œuvres de Daumier
ŒUVRES D'HONORÉ DAUMIER | |
L'œuvre peint
Ce n'est qu'à partir de 1848 que Daumier a pu se consacrer à la peinture, chaque fois qu'il en eut le loisir. Ses tableaux sont caractérisés, à l'égal de ses lithographies, par une ardente volonté de donner du vrai, beau ou laid, une révélation totale, le vif du mouvement et la plénitude de la forme, non sans de subtiles nuances qui sont celles du sentiment intérieur de l'artiste. Il établit largement son sujet par masses synthétiques, avant de le revêtir de tons chaleureux, sur la base des ocres, des bruns, des terres, faisant valoir, où il le faut, la délicatesse des clairs. Il lui arrive, dans sa fougue, de triturer un peu trop la matière, qu'il veut généreuse, onctueuse, sensuelle.
Si, entre autres peintres du passé, Daumier fait songer à Goya pour la force, l'acuité de son dessin, autant que pour la puissance d'expression de ses couleurs, les simplifications de sa technique figurative font de lui un précurseur de la peinture moderne. Citons l'Amateur d'estampes, Crispin et Scapin, le Portrait de Théodore Rousseau, les Voleurs et l'âne, ainsi que ses vingt-huit Don Quichotte et ses très précieuses aquarelles : des scènes de Molière à celles du prétoire, des blanchisseuses aux gens de la rue parisienne, du joueur d'orgue de Barbarie aux mornes voyageurs du wagon de troisième classe. Cet acerbe contempteur laisse transparaître, en maints ouvrages pathétiques, sa tendresse et sa pitié.
L'œuvre sculpté
Si la vision naturelle de Daumier le portait, dans ses dessins aussi bien que dans ses peintures, à traduire le réel par le moyen de masses résumées, d'énergiques contrastes d'ombres et de lumières, il n'est pas surprenant qu'il ait été un sculpteur que Rodin et Bourdelle admirèrent. Charles Philipon, éditeur de la Caricature, lui avait demandé de petits bustes des hommes politiques de l'extrême droite. Il allait les observer à la Chambre et, de retour chez lui, modelait leur portrait charge. Trente-six de ces terres cuites (1832), d'un expressionnisme « fulgurant », ont pu être recueillies ; elles ont été coulées en bronze bien après la mort de leur auteur. Daumier fit aussi un Ratapoil (type de l'agent recruteur du bonapartisme, 1851), son propre portrait sculpté, et deux émouvants bas-reliefs des Émigrants.
Les dernières années
À la fin de sa vie, devenu presque aveugle à partir de 1873, il s'installa à Valmondois, où il subsista surtout d'une maigre pension que lui accorda le gouvernement de la République. Mais, si la faveur du public lui faisait cruellement défaut, il lui restait des amis vigilants, qui organisèrent en 1878, à la galerie Durand-Ruel, une première exposition récapitulative de son œuvre de dessinateur et de peintre. Corot, ayant appris que Daumier était menacé d'être expulsé de la maison dont il n'arrivait plus à payer la location, acheta cette maison pour l'offrir à son vieux camarade. D'abord enterrée à Valmondois, la dépouille d'Honoré Daumier fut transférée, selon son vœu, au cimetière du Père-Lachaise, où il repose entre Corot et Daubigny. Sur la simple pierre de sa tombe, on lit cette épitaphe : « Ci-gyt Daumier, l'homme de bien, le grand artiste, le grand citoyen. »