Steveland Judkins-Morris, dit Stevie Wonder

Chanteur, harmoniciste, pianiste et compositeur de soul américain (Saginaw, Michigan, 1950).

« Little Stevie Wonder » est l'un de ces artistes pour lesquels l'appellation « génie » ne semble pas usurpée. Né aveugle, il eut comme première idole « The Genius », Ray Charles, lui aussi aveugle. C'est à Detroit qu'il passe son enfance, apprenant dès cinq ans le piano et l'harmonica. En 1962, il rencontre Gerald White, frère de Ronnie White, chanteur des Miracles. Gerald présente Stevie à Brian Holland (l'un des trois membres de la fameuse équipe de songwriters Holland/Dozier/Holland),qui est tout de suite impressionné par le talent du jeune garçon. Holland convainc Berry Gordy de signer le prodige sur le label Motown. Le premier 45 tours sort en 1963 (Mother Thank You) ; quelques mois plus tard, Fingertips (Part 2), enregistré live, entre dans les charts. L'album Little Stevie Wonder, The Twelve Years Old Genius suit le même trajet. Le jeune harmoniciste accumule les singles, dans la grande tradition Motown, parmi lesquels Hey Harmonica Man, Sad Boy, High Heel Sneakers. En 1966, après avoir mué, Stevie reprend Blowin'In The Wind de Bob Dylan et trouve sa voix définitive avec Uptight (Everything Is Allright), chanté sans harmonica. Il aligne désormais les tubes : I Was Made To Love Her en 1967, Shooo-Be-Doo-Da-Day et For Once In My Life en 1968, My Chérie Amour et Yester-Me, Yester-You, Yesterday en 1969. Il sort un album instrumental en 1969, Eivets Rednow — son nom à l'envers —, mais celui-ci n'a que peu de succès, comme d'ailleurs tous les 33 tours qui précéderont Signed, Sealed And Delivered de 1970.

Musicien accompli. Stevie se marie cette année-là avec la chanteuse Syreeta Wright, qui participe à l'album Where I'm Coming From, premier exemple en 1971 de l'émancipation de Stevie (qui ne veut plus qu'on l'appelle « little »). Majeur, il touche ses royalties, jusqu'alors bloquées sur un compte bancaire, et monte Taurus Productions. Music Of My Mind sort en 1972 et révèle un compositeur adulte, adepte de technologie (il est homme-orchestre et y joue de tous les instruments). En 1972, Talking Book est un triomphe pop, le single You Are The Sunshine Of My Life lui valant un Grammy award et Superstition (repris en français par Eddy Mitchell) devenu un succès planétaire. Le 5 août 1973, il échappe à la mort lors d'un grave accident de voiture en Caroline du Nord. Il passe quatre jours dans le coma et sort pourtant l'année suivante l'imprononçable Fulfillingness'First Finale. En fin de contrat avec Motown, il renégocie avec Gordy et obtient 13 millions de dollars garantis plus 20 % des royalties pendant sept ans, de 1975 à 1982. L'album Songs In The Key Of Life en 1976 montre que Motown a sagement dépensé son argent et récolte une moisson de grammies.

De plus en plus perfectionniste, Stevie ne cesse de repousser les sorties de ses albums. Il faut attendre trois ans The Secret Life Of Plants, double album concept (le dada de Stevie) qui est aussi la B.O. d'un film, que personne n'a vu (a-t-il même existé ?). Avec Hotter Than July en 1980, il est disque de platine et affirme une fois de plus ses convictions politiques en utilisant le single Happy Birthday pour promouvoir la date du 15 janvier comme fête nationale (c'est la date anniversaire de Martin Luther King, en souvenir de qui la chanson a été écrite).

En 1982, il « duette » avec Paul McCartney pour un Ebony And Ivory très œcuménique. Deux ans plus tard, il est pour la première fois № 1 en Angleterre avec le générique du film Woman In Red, I Just Called To Say I Love You. Il est comme il se doit l'une des voix du groupe de stars USA For Africa pour We Are The World, sorti en 1985 tout comme son album In Square Circle, trois ans après son prédécesseur, Original Musiquarium I. Prévu pour être un double album, Characters sort finalement fin 1987. Il contient le single 2 titres Skeletons et Get It, avec un duo enregistré par satellite avec Michael Jackson (les artistes ne se sont pas rencontrés). Il faut attendre encore quatre ans pour un nouvel album, qui sera à nouveau une B.O., celle du film Jungle Fever de Spike Lee. Fun Day, Queen In The Black, Gotta Have You et Chemical Love sont les meilleurs moments de ce disque. Annoncé quasiment dès la sortie de Jungle Fever, l'album Conversation Peace sort en fait en 1995, après les réglementaires quatre ans d'attente. Pour la première fois, Stevie laisse les singles (For Your Love, Tomorrow Robins Will Sing) entre les mains de remixers dance. Il invite Ladysmith Black Mambazo (groupe vocal sud-africain), Sounds Of Blackness (chorale gospel produite par Jimmy Jam & Terry Lewis) et signe un texte fort : la chanson-titre, le regard d'un homme face aux crimes de l'humanité, des 6 millions de Juifs de l'Holocauste aux 150 millions de Noirs morts durant l'esclavage.

Le plus grand défaut de Stevie est aussi son plus grand atout : une propension à la générosité et aux discours humanistes (raillés dans un fameux sketch d'Eddie Murphy, son vieil ami qui l'invita à jouer de l'harmonica sur son album solo) le poussant à accomplir de grandes choses — ses dons et concerts de charité sont innombrables — mais aussi à sombrer dans les arrangements trop sucrés. Reste le plus extraordinaire : après trente ans de carrière, un enfant-star demeure à quarante-cinq ans un des musiciens les plus influents et les plus respectés du métier. Les concerts qu'il a donnés à l'occasion de la sortie de Conversation Peace ont montré que son statut envié ne lui ôtait pas le sens du groove (rythme fondamental de la musique afro-américaine) live.