Nikolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov
Compositeur russe (Tikhvine, Novgorod, 1844-Lioubensk, près de Saint-Pétersbourg, 1908).
La vie et l'œuvre
À sa naissance, son père – un ancien gouverneur démis de ses fonctions en raison de sa tolérance – a atteint la soixantaine ; sa mère est âgée de quarante-deux ans ; son frère, Voïne, officier de marine, a vingt-deux ans. Dès sa sixième année, Nikolaï reçoit ses premières leçons de piano. S'il s'intéresse plus aux récits de voyages, à la mer, aux étoiles qu'aux études musicales, il n'en compose pas moins un duo vocal en 1855. L'année suivante, il est inscrit à l'École navale de Saint-Pétersbourg. Il assiste à des représentations d'opéras de Mozart et de Weber, mais apprécie davantage Lucie de Lammermoor de G. Donizetti et surtout la Vie pour le tsar de M. Glinka. En 1859, il suit les cours de piano de F. A. Canille, qui lui fait découvrir les œuvres de Bach et de Schumann, l'incite à composer et le présente à Balakirev. Ce dernier, avec Cui, Moussorgski, Borodine et Rimski-Korsakov, constitue le « groupe des Cinq ». Tous repoussent l'académisme et les œuvres de Bach (qu'ils opposent à Händel), préférant une musique issue du folklore national, comme le prônait Glinka.
Alors que Rimski-Korsakov ébauche la première symphonie de l'histoire de la musique russe, il est contraint de faire un voyage de trois années sur un bateau-école (1862-1865). À son retour, officier de marine, il termine son œuvre et retrouve Balakirev. Il fait la connaissance de Tchaïkovski (qui lui donnera des cours théoriques par correspondance) et élabore un tableau symphonique, Sadko. Après Antar, inspiré par des airs arabes, une Ouverture sur des thèmes russes et une Fantaisie sur des thèmes serbes, il entreprend la Pskovitaine, son premier opéra. Ses amis accueillent avec joie sa nomination comme professeur au conservatoire de Saint-Pétersbourg (1871). Un an après, il épouse la pianiste Nadejda Nikolaïevna Pourgold (1848-1919), dont il aura quatre enfants, et abandonne la chambre meublée qu'il partageait avec Moussorgski. Devenu inspecteur des Musiques des équipages de la flotte, directeur de l'École musicale gratuite de Saint-Pétersbourg et après des débuts de chef d'orchestre, il éprouve le besoin de parfaire sa culture musicale, tout en composant sa troisième symphonie et un quatuor. Rompant avec Balakirev, il étudie la clarinette et la flûte ainsi que les partitions de Palestrina et de Bach : trente-six fugues et seize canons datent de cette époque. Un morceau pour hautbois, un autre pour trombone s'ajoutent à quarante chansons russes, qu'il prend en note en 1876. Cette date marque le début du Journal qui nous renseigne sur la vie du compositeur jusqu'en 1906. Réconcilié avec tout le « groupe », Rimski-Korsakov compose néanmoins une Fugue sur le thème de B. A. C. H.. Il accède au poste de directeur adjoint de la Chapelle impériale (1883) après la composition de Snegourotchka. Il aime alors se retrouver avec Anatoli Konstantinovitch Liadov (1855-1914) et Aleksandr Konstantinovitch Glazounov (1865-1936) chez le mécène-éditeur Mitrofan Petrovitch Beliaïev (1836-1903). Hormis un Traité d'harmonie, nous notons durant cette période, où l'auteur se spécialise dans l'écriture pour le violon, trois œuvres maîtresses : Schéhérazade, la Grande Pâque russe et le Capriccio espagnol.
Les Nibelungen de Wagner, qu'il entend, vont modifier ses conceptions. Les 22 et 28 juin 1889, Rimski-Korsakov dirige à Paris, à l'occasion de l'Exposition universelle, deux concerts. Les rares auditeurs peuvent entendre, entre autres, Antar, le concerto pour piano et le Capriccio espagnol. Le musicien, lui, s'attache aux musiques hongroise et algérienne jouées à l'Exposition et s'en inspire dans Mlada. En 1890, il se rend à Bruxelles. Revenu dans son pays, il voit disparaître sa mère, puis deux de ses enfants en bas âge.
À partir de 1896, une période féconde s'annonce avec Sadko (dans sa version scénique), un trio, un quatuor et l'opéra Mozart et Salieri, d'après Pouchkine. Deux de ses élèves Nikolaï Nikolaïevitch Tcherepnine (1873-1945) et Aleksandr Tikhonovitch Gretchaninov (1864-1956), ainsi que Sergueï Vassilievitch Rakhmaninov (1873-1943) et Aleksandr Nikolaïevitch Skriabine (1872-1915) sont inclus dans le groupe des amis de Beliaïev. À l'occasion du centenaire de Pouchkine, Rimski-Korsakov s'inspire de nouveau de l'écrivain dans la Légende du tsar Saltan. Il assure alors la formation de Stravinski et de Prokofiev. Quatre ans après son chef-d'œuvre Kitège (1903), il revient à Paris, où il participe aux « Cinq Concerts historiques russes » organisés par Serge de Diaghilev. Un an après le Coq d'or, qui se heurte à la censure, il meurt, âgé de soixante-quatre ans.
l'homme et son esthétique
Quoique foncièrement honnête et bon, Rimski-Korsakov a été critiqué pour avoir corrigé les partitions de ses amis. Certaines ont été terminées après la mort de leur auteur (Borodine ou Moussorgski). Rimski-Korsakov a souvent été victime de l'incompréhension du public et de la censure du gouvernement. De fait, il aime la liberté et, en 1905, il prend parti pour les étudiants révoltés au Conservatoire. Il a des attaches profondes avec le peuple, que symbolisent les chœurs de ses opéras. Il puise son inspiration dans les chants folkloriques ou de l'église orthodoxe (la Grande Pâque russe) et dans les mythes slaves païens. Il choisit des livrets dans lesquels on retrouve les deux thèmes qui l'ont toujours fasciné : le ciel et l'eau. Le Coq d'or met en scène un astronome ; dans la Nuit de mai, des étoiles filantes apparaissent ; des chants d'oiseaux sont reproduits dans Snegourotchka, cet hymne au « Dieu-Soleil ». Ce marin reprend le rythme du bercement de l'eau ou de son déferlement. Mais, comme pour bien des poètes, « l'eau est le véritable support matériel de la mort » (l'Eau et les rêves, G. Bachelard). Le jeune Nikolaï n'est-il pas lui-même tombé d'un mât à quatorze ans ? Sadko sera entraîné par « la fille de l'Océan » ; Simbad, le marin de Schéhérazade, fera naufrage ; Kitège, la ville morte, devient visible dans un lac ; la mer sert de décor à la Légende du tsar Saltan. La mer incite aussi l'auteur, séjournant dans Odessa, à reprendre l'épisode de Nausicaa d'Homère.
Quatre musiciens ont surtout influencé Rimski-Korsakov : tout d'abord Glinka, dont il reprend la devise « Il faut unir le chant populaire russe et la bonne vieille fugue d'Occident », et dont il s'inspire aussi en divisant ses opéras en parties distinctes (airs, duos, chœurs). Rimski-Korsakov conserve parfois cette même formule de chant, mêlant le récitatif et l'arioso pour aboutir à « une mélodie motivée par le sens ». À Liszt, il emprunte la forme du poème symphonique. De Berlioz, il retient les procédés d'orchestration ; il y ajoute un goût prononcé pour les soli d'instruments (violon ou flûte en général) et rédige aussi un traité d'orchestration. Enfin, Wagner l'attire par ses leitmotive – mais Rimski-Korsakov n'en abusera pas –, par son « orchestre renforcé » et par sa mélodie ininterrompue. Rimski-Korsakov demeure moins célèbre par ses symphonies et ses mélodies que par ses quinze opéras et ses poèmes symphoniques. Dans l'opéra Sadko, où se mêlent la réalité historique et la fiction, on retient le motif de la mer, construit sur une cellule de trois notes, la féerie du quatrième tableau avec la foule du marché de Novgorod et la pêche des poissons d'or, la puissance des chœurs a cappella et les unissons du cinquième tableau, qui contrastent avec le finale inspiré par la polyphonie d'un Bach. Le « Vol du bourdon » extrait de la Légende du tsar Saltan conte l'histoire d'un tsarévitch transformé en bourdon qui vient piquer les coupables d'une intrigue montée contre lui. « Il n'y a pas un détail, pas un mot du texte qui ne se réfère à quelque légende, verset, chant ou incantation de source authentiquement populaire », écrit le compositeur à propos de Kitège. On prend conscience de multiples couleurs de la palette sonore du musicien et de sa richesse rythmique en entendant Schéhérazade, inspiré des contes des Mille et Une Nuits. De même, le Capriccio espagnol, avec ses soli de cor ouvert ou bouché, de flûte, de violon, de clarinette et de harpe, auxquels s'oppose une orchestration chatoyante, mais traditionnelle, utilise une percussion bondissante dans les danses.
Rimski-Korsakov et la France
Rimski-Korsakov parlait le français. Il écrivit sa première symphonie en s'inspirant du Grand Traité d'instrumentation et d'orchestration de Berlioz ; ce dernier donna des concerts à Saint-Pétersbourg en 1867-1868. Cette influence non négligeable de notre pays devait s'arrêter là. En revanche, Debussy n'a jamais précisé ce que lui avait apporté Rimski-Korsakov. Ces deux amoureux de la mer se sont-ils rencontrés en Russie en 1881 ? Les thèmes littéraires et musicaux se confondent : de Sadko, on rapprochera Sirènes ou la Mer ; de Kitège, la Cathédrale engloutie … En 1889, à Paris, Rimski-Korsakov paraît déçu des conversations avec A. Messager, J. Massenet et L. Delibes ; pourtant le Ménestrel note : « La jeune école française et l'école russe se sont reconnues du premier coup et ont fraternisé. » À son deuxième séjour en France, nous savons que le compositeur se montre réservé quant à l'œuvre de Debussy. Il entretient des rapports amicaux avec C. Saint-Saëns, G. Enesco, F. Chaliapine et Wanda Landowska. Les arabesques de la danse dans la Péri de P. Dukas nous rappellent celles de la reine de Chemakha du Coq d'or, sans que nous puissions savoir si la ressemblance est fortuite. Par contre, Ravel découvre Schéhérazade en 1895 et projette de réaliser trois ans plus tard un opéra féerique sur le même thème. Il n'en a conçu que l'ouverture. Si Rimski-Korsakov apparaît comme un lien entre la musique russe et la musique française, l'Orient et l'Occident, il demeure la clé de voûte entre le xixe s. et le xxe s., entre le passé et l'avenir. Stravinski, qu'il guidera pour la rédaction de son premier opéra, écrira un Chant funèbre à la mort de son maître.
les œuvres principales de Rimski-Korsakov
(Signalons que certaines ont été remaniées par l'auteur lui-même, que d'autres ont été écrites en collaboration avec des amis.)
Musique instrumentale
6 Variations sur le thème de B.A.C.H. pour piano (1878) ; Quatuor sur le nom de B-la-F (1886), avec Liadov, Borodine et Glazounov.
Musique pour orchestre
3 Symphonies (la deuxième, Antar, date de 1868 ; 2e version, 1875 ; 3e version, 1897 ; elle est également intitulée Suite symphonique). Épisode de la légende de Sadko (1867). Concerto pour piano (1882). Capriccio espagnol (1887). Schéhérazade (1888), suite symphonique. La Grande Pâque russe (1888), ouverture sur des thèmes liturgiques.
Musique vocale
15 Chants populaires russes (1879). Tiré d'Homère (1901), prélude-cantate.
Musique théâtrale
La Pskovitaine (également connue sous le titre d'Ivan le Terrible [1868-1872 ; 1re représentation, 1873]). La Nuit de mai (1877-1879) [1re représentation, 1880]. Snegourotchka (« Flocon de neige ») [1880-1881 ; 1re représentation, 1882, conte printanier]. Mlada (1889-1890) [1re représentation, 1892, opéra-ballet féerique]. Sadko (1896) [1re représentation, 1898]. Mozart et Salieri (1897) [1re représentation, 1898, scènes dramatiques]. Légende du tsar Saltan (1899-1900) [1re représentation, 1900]. Légende de la ville invisible de Kitège et de la vierge Fevronia (1903-1905) [1re représentation, 1907]. Le Coq d'or (1906-1907) [1re représentation, 1909].
Ouvrages théoriques
Traité d'harmonie pratique (1884). Éléments d'orchestration (2 volumes, 1913 ; traduction française, 1914).
Arrangements
Khovanchtchina, Boris Godounov, Nuit sur le mont Chauve, de Moussorgski. Le Prince Igor, de Borodine.