Nathalie Sarraute
Femme de lettres française (Ivanovo, Russie, 1900-Paris 1999).
Son refus du roman psychologique traditionnel, combiné à sa recherche des sensations imperceptibles qui régissent les rapports entre les êtres humains, font de Nathalie Sarraute l'un des initiateurs du nouveau roman.
Des débuts intimistes
Issue d'une famille juive bourgeoise et cultivée, Natacha (Nathalie) Tcherniak doit au divorce de ses parents de connaître une enfance partagée entre la Russie et la France. Après des études d'anglais et d'histoire à Oxford, puis des études de sociologie à Berlin, elle s'inscrit à la faculté de droit de Paris (1922). Trois ans plus tard, devenue avocate, elle épouse son condisciple Raymond Sarraute. En 1932, elle commence une série de textes brefs qui paraissent en volume sous le titre Tropismes (1939), dans l'indifférence générale. Elle continue de plaider de petites affaires en correctionnelle jusqu'à l'automne 1940, date à laquelle elle est radiée du barreau de Paris, par application des lois antijuives de Vichy.
Nathalie Sarraute traverse l'Occupation sous une fausse identité, retirée à la campagne. Elle abandonne alors définitivement le droit et entame, en 1942, la rédaction de son premier roman. Portrait d'un inconnu (1948) n'a guère de retentissement à sa publication, malgré le concours de Jean-Paul Sartre, qui préface l'ouvrage. Martereau (1953) ne retient aussi l'intérêt que de quelques initiés, attirés par une œuvre novatrice qui recherche « les sensations à l'état naissant » et se place en amont de l'observation psychologique caractéristique du roman moderne traditionnel.
La naissance du nouveau roman
De 1947 à 1956, Nathalie Sarraute publie une série d'articles critiques dans les Temps modernes et la Nouvelle Nouvelle Revue française, dans lesquels elle expose son intérêt pour les œuvres de Marcel Proust, de James Joyce et de Virginia Woolf, notamment, et critique le genre romanesque tel qu'il était conçu par Balzac ou Tolstoï. Bientôt regroupés pour former l'Ère du soupçon (1956), ces articles attirent l'attention de Michel Butor et d’Alain Robbe-Grillet. L'année suivante paraît l'édition revue et augmentée de Tropismes, dans laquelle l'écrivain et journaliste Claude Mauriac (1914-1996) voit un « nouveau réalisme ». La coïncidence de publication avec la Jalousie, de Robbe-Grillet, et un article qu'Émile Henriot (1889-1961) consacre à ces deux livres dans le Monde sous l'expression (péjorative) de « nouveau roman », ouvrent une période d'effervescence littéraire, dont l'Ère du soupçon est le premier manifeste.
De fait, tandis qu'à la fin du xixe siècle le positivisme triomphant prétendait connaître les lois de l'univers, le xxe siècle en général et l'après-Seconde Guerre mondiale en particulier sont l'époque d'un questionnement plus angoissé sur la signification du monde. On découvre non seulement que toute apparence n'est que l'aboutissement d'un processus obscur, mais surtout que celui-ci échappe à la cognition. Refusant toute théorisation, la romancière publie le Planétarium (1959), son premier succès, puis les Fruits d'or (1963), où des personnages tentent en vain, au milieu des banalités des objets et du langage quotidiens, d'établir une communication authentique.
Le langage de l'indicible
Après deux pièces radiophoniques (le Silence, 1964 ; le Mensonge, 1966), Nathalie Sarraute revient à l'écriture romanesque. À partir d'Entre la vie et la mort (1968), son inspiration se dégage progressivement de l'héritage proustien, très présent dans ses premiers textes narratifs. La phrase ample et complexe cède peu à peu la place à une syntaxe au rythme syncopé, entrecoupée de nombreux silences. Les points de suspension, caractéristiques de l'écrivaine, enjoignent le lecteur de déchiffrer l'implicite et l'indicible.
Continuant d'explorer « cette substance fluide qui circule chez tous, passe des uns aux autres, franchissant des barrières arbitrairement tracées » (« Ce que je cherche à faire », communication au Colloque de Cerisy, 1972), la romancière publie Vous les entendez ? (1972), « disent les imbéciles » (1976), l'Usage de la parole (1980), Enfance (1983), Tu ne t'aimes pas (1989), Ici (1995) et Ouvrez (1997), élargissant son audience internationale. Alors que ses Œuvres complètes paraissent dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1996, elle s'éteint trois ans plus tard, à l'âge de 99 ans. On lui doit également des pièces de théâtre (Isma ou ce qui s'appelle rien, 1970 ; C'est beau, 1973 ; Elle est là, 1980 ; Pour un oui ou pour un non, 1982).