Mikhaïl Aleksandrovitch Bakounine
Anarchiste russe (Priamoukhino, gouvernement de Tver, 1814-Berne 1876).
Un des pères de l'anarchisme
Bakounine, le plus grand des révolutionnaires russes du xixe s., a joué un rôle important dans les mouvements démocratiques et les révolutions de l'Europe de l'Ouest. Fichte d'abord, puis Hegel ont influencé sa pensée, tandis que Feuerbach lui fournissait les bases de son athéisme. Formulant dès 1864 ses conceptions anarchistes, fédéralistes et athéistes, il les propagea, à partir de 1868, dans la Ire Internationale. En France, en Russie, en Suisse romande, en Italie et surtout en Espagne, ces idées furent répandues et firent des adeptes. L'importance historique de Bakounine est d'avoir rattaché les idées libertaires de l'anarchisme au mouvement émancipateur de la classe ouvrière, et jeté les bases du socialisme antiautoritaire, de la théorie et de la pratique de l'anarcho-syndicalisme.
Durant sa vie, Bakounine a beaucoup écrit, en général sans grand souci de la cohésion, s'appuyant principalement sur son expérience de participant aux mouvements politiques révolutionnaires de 1840 à 1870 en Europe. La plupart de ses écrits, en majorité posthumes, sont liés à son action révolutionnaire et à son travail d'organisation. Par ses contacts personnels et sa correspondance, il a exercé une grande influence.
Bakounine et Marx
Bakounine emprunta à Karl Marx le matérialisme historique, mais en soulignant que les institutions politiques, juridiques et religieuses, déterminées par les facteurs économiques, agissent à leur tour sur la structure socio-économique, comme d'ailleurs sur le caractère particulier de chaque race et de chaque peuple, ce caractère étant aussi les effets d'une multitude de causes ; Marx, russophobe, et Bakounine, germanophobe, avaient des vues divergentes sur l'évolution de l'Europe. Tandis que Marx voyait dans l'unification de l'Allemagne et la centralisation économique une phase du processus historique vers le socialisme, Bakounine prédisait un développement accéléré de grands États nationaux et rivaux. Le conflit entre ces deux protagonistes de la Ire Internationale portait essentiellement sur la question de l'État. Bakounine rejetait la théorie marxienne, selon laquelle la conquête de l'État par la classe ouvrière organisée en parti politique ouvrirait la voie au socialisme. Quand, au nom de la révolution, soulignait-il, on veut constituer un État, même provisoire, on travaille pour le despotisme et non pour la liberté. Bien que la révolution ne puisse réussir que dans la mesure où elle aurait l'appui des masses, Bakounine préconisait néanmoins la formation d'organisations secrètes (« noyaux ») pour orienter les révolutions spontanées dans un sens antiautoritaire.
La révolution achevée et après l'abolition de toutes les institutions de l'État et l'expropriation de la bourgeoisie, des organismes sociaux-révolutionnaires seraient chargés de la vie économique et sociale.
Pour mettre fin à la fois à l'exploitation économique et à l'oppression politique, Bakounine visait à l'organisation d'une société socialiste par la formation, de bas en haut, de confédérations englobant les fédérations, les communes, groupées en fédérations régionales, et les syndicats ouvriers et paysans. Au xxe s., ces idées se retrouvent très nettement dans les « soviets » du début de la Révolution russe, ainsi que dans les « conseils ouvriers » et les « collectivisations » en Espagne pendant la guerre civile.