Max Weber
Économiste, sociologue et philosophe allemand (Erfurt 1864-Munich 1920).
Contemporain d'Émile Durkheim, Max Weber fait aussi partie des fondateurs de la sociologie moderne, qui analyse le mode de fonctionnement et la finalité de la société industrielle. Son œuvre maîtresse, l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, rayonne depuis un siècle sur l'histoire des idées.
Le penseur engagé en politique
Aîné de huit enfants, Max Weber est élevé dans un milieu protestant aisé et cultivé. Après d'excellentes études secondaires, il suit des cours de droit, d'histoire, de philosophie et de théologie aux universités de Heidelberg, Berlin et Göttingen. Docteur en droit en 1889, il devient lui-même professeur d'université en 1893, d'abord à Berlin, puis à Fribourg (1894-1897) et, après une longue période d'interruption due à une dépression nerveuse, à Munich (1919), où l'on crée pour lui la chaire de sociologie. Parallèlement, il mène une intense activité de chercheur, publiant ses travaux dans la première revue de sociologie fondée en Allemagne.
Membre de la délégation allemande qui signe le traité de Versailles en 1919, Weber participe aussi à la commission chargée de rédiger la Constitution de la République de Weimar. Mort à 56 ans des suites d'une pneumonie, il laisse une œuvre théorique considérable, dont font partie l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme (1904-1905 ; réédité en 1920), Sociologie de la religion (1920) et Économie et société (posthume, 1922). Deux importantes conférences, « la Science, profession et vocation » (1917) et « la Politique, profession et vocation » (1919), exposent la problématique dont est issu l'ensemble de cette œuvre.
La « science compréhensive »
Max Weber opère une séparation radicale entre le monde de l'action et le monde de la pensée ou de la connaissance. Sa sociologie sera une « science de l'homme en tant qu'être agissant » et, à ce titre, sera dite « science compréhensive ». Aux positivistes, comme Durkheim, qui considèrent que la science de l'homme doit être construite à l'exemple des sciences de la nature, il répond que l'homme qui agit ne peut être étudié comme une pierre qui tombe, précisément parce que l'homme est doué de conscience : il a une volonté et un but. Là où le physicien ne peut expliquer les faits que par des propositions vérifiables, le sociologue doit être capable de comprendre le sens subjectif que les hommes donnent à leurs conduites.
L'action étant définie comme « action rationnelle par rapport à un but », c'est-à-dire comme l'effet d'une volonté choisissant une fin et d'un entendement appréciant les moyens les meilleurs pour y parvenir, la compréhension sera d'abord celle de la fin qui est choisie, puis celle des moyens qui sont mis en œuvre. En un mot, comprendre un acte, c'est comprendre sa rationalité par rapport à sa fin. Rien qui ne soit plus objectif, rien qui ne soit moins psychologique. Celui qui vise en permanence à l'« optimisation » de ce rapport est l'entrepreneur capitaliste, dont l'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme fait un célèbre portrait. Weber soutient l'idée que le capitalisme naît au xvie s. dans les milieux calvinistes. La morale puritaine favorise la recherche du rendement et du profit, parce que ceux-ci sont perçus comme des signes de la bénédiction divine : la réussite économique est la marque d'une vocation.
Le primat de l'individu
Comprendre un acte, c'est donc également comprendre les valeurs auxquelles les hommes adhèrent. Mais comment constituer une science objective prenant en compte des actions qui ne se définissent qu'en termes de valeurs ? Weber oppose le « jugement de valeur » au « rapport aux valeurs ». Le premier est une affirmation existentielle et morale, que le savant doit écarter ; le second est un instrument de sélection et d'organisation des faits qu'on étudie.
C'est peut-être la principale originalité de Weber de vouloir construire la sociologie sur l'individu, et non sur la société conçue comme une entité en soi, car, pour lui, l'élément caractéristique de l'activité sociale ne réside pas dans « la simple similitude du comportement d'une pluralité d'individus ». La sociologie s'intéresse donc explicitement au comportement vécu des acteurs sociaux : il s'agit de comprendre les hommes tels qu'ils ont été, tels qu'ils ont agi et pensé. On ne s'étonnera pas que cette science de l'action individuelle soit étroitement liée à l'histoire – toute action humaine étant, d'une certaine manière, unique et l'histoire étant une collection d'actions uniques.
Weber veut que la science ainsi acquise soit utile au politique. Il est à l'origine de concepts essentiels, comme ceux de « domination » et de « bureaucratie ». Mais, selon lui, si la science peut éclairer l'homme d'action, les décisions politiques sont toujours fondées, en dernier recours, sur des jugements de valeur, c'est-à-dire sur des propositions non démontrables. Il en arrive à la conclusion pessimiste que, d'une science, on ne peut rien tirer qui permette d'enseigner aux hommes comment ils doivent vivre et s'organiser en société.
Un concept méthodologique : l'idéal-type
Le sens de l'action varie chez les individus en fonction de leur degré de conscience. Pour apprécier cette action, Weber reprend un concept qui se trouve déjà chez Karl Marx (1862) et chez Durkheim (1893) : celui d'« idéal-type ». Il s'agit d'une construction intellectuelle dont, par définition, on ne rencontre aucun exemple dans la réalité, mais qui fonctionne comme modèle pour comprendre cette réalité : l'idéal-type permet au sociologue de saisir les relations entre des phénomènes concrets, donc leur causalité et leur signification. C'est le plus rationnel, ou le plus intelligible, qui contribue à la compréhension du moins rationnel, ou du moins intelligible.
L'idéal-type revêt quatre formes, selon que l'action de l'individu est fondée sur la coutume, sur le sentiment, sur une conviction ou sur une confrontation rationnelle des moyens et des buts. Il n'y a pas de loi en sociologie, il n'y a que des types d'action sociale.