Manuel Valls
Homme politique français (Barcelone 1962).
1. Des débuts dans l’ombre de l’appareil socialiste
Né à Barcelone d’un père peintre espagnol ayant fui le franquisme et d’une mère suisse, il grandit à Paris dans un milieu artiste et obtient la naturalisation française en 1982. Entré aux jeunesses socialistes à 17 ans puis au syndicat UNEF-ID, il se revendique de la deuxième gauche de Michel Rocard qu’il conseille pour les affaires étudiantes, tandis qu’il poursuit son cursus de licence d’histoire.
Résolument social-démocrate, il fait ses armes et obtient ses premiers galons successivement ou conjointement sur le terrain ; à Argenteuil, dont il finit par diriger la section socialiste et devenir adjoint au maire ; à la Région Île de France, où il est élu une première fois conseiller en 1986 ; à l’Assemblée nationale, en tant qu’attaché parlementaire puis au gouvernement, comme délégué interministériel adjoint aux Jeux Olympiques d’hiver de 1992.
Premier secrétaire du Val d’Oise, il gravit les échelons du parti socialiste (PS), dont il intègre les instances dirigeantes et se voit chargé de l’image. C’est à ce titre qu’il se fait remarquer de Lionel Jospin, qui le nomme conseiller à la communication et à la presse à Matignon, quand ce dernier devient Premier ministre en 1997. Membre de la vice-présidence de la Région Île de France après la victoire de la gauche aux élections de 1998, l’adjoint au maire d’Argenteuil (depuis 1989), qui a échoué à en remporter la circonscription aux législatives de 1997, décide de s’implanter dans l’Essonne, à Évry, dont il décroche la mairie en 2001 puis, après avoir quitté l’exécutif, la députation en 2002.
2. Une figure émergente de l’aile droite du PS
Loin de se replier sur un fief qui l’élit dès lors régulièrement, M. Valls entend incarner le courant « réaliste » que d’aucuns nomment « droitier » au sein d’un PS cantonné à l’opposition. Désireux d’en rénover l’image, il se signale par des prises de position souvent hétérodoxes – à propos de la sécurité, de l’immigration, des comptes publics – mais, dépourvu de véritable courant, ne pèse guère au sein de l’appareil.
Favorable au rejet du traité européen au nom du strict respect du principe de concurrence à l’échelle internationale, il fait campagne pour le « oui » au référendum par discipline en 2005, après le vote en ce sens des militants. Pressenti comme prise possible de la stratégie d’ouverture de Nicolas Sarkozy en 2007, il reste dans l’opposition et demeure fidèle à son parti.
Soutien de Ségolène Royal dans la campagne malheureuse de cette dernière pour la conquête de la tête du PS à la fin 2008, il se détache d’elle très vite, non sans mener de violentes charges contre la crise de sa formation, en appeler ouvertement à sa rénovation et se prononcer pour un changement de son appellation allant jusqu’à la suppression du mot « socialiste » ; ce qui lui vaut non seulement d’être sèchement recadré par la nouvelle Première secrétaire Martine Aubry, mais encore de se positionner un peu plus à la marge du mouvement, en refondateur potentiel.
Ses idées marquées au sceau du réalisme républicain, il trouve l’occasion de les défendre lors des primaires citoyennes d’octobre 2011 : règle d’or budgétaire, coupe dans les dépenses et hausse des impôts, TVA sociale, réforme des 35 heures et des régimes spéciaux des retraites, défense de l’ordre et de la laïcité républicaine, contrôle de l’immigration, autant de thèmes qui se rapprochent de ceux de la droite, mais qu’il n’hésite pas à afficher pour son propre compte. Réunissant derrière lui 5,6 % des voix au premier tour, il rallie aussitôt François Hollande, dont il devient le responsable de la communication et très vite le pivot dans la campagne présidentielle qui s’engage alors.
3. Un poids lourd du gouvernement
Une fois celui-ci président, M. Valls est récompensé de ses services par l’octroi du stratégique ministère de l’Intérieur. Là, suivant les traces d’un prédécesseur nommé N. Sarkozy, il se distingue par son activisme en tant que « premier flic de France », garant d’une politique ferme en matière de sécurité, et humaniste mais responsable sur le dossier de l’immigration. Il relâche la pression exercée par les précédentes politiques du chiffre, réforme les modalités d’évaluation de la délinquance dans le sens d’une plus grande sincérité des données, assouplit quelque peu les critères d’entrée des étrangers et renouvelle en profondeur une hiérarchie très liée aux gouvernements de droite précédents.
Soucieux de défendre l’institution qu’il dirige, il ne regimbe pas à croiser le fer avec Christiane Taubira au sujet de son projet de réforme pénale, qu’il juge trop laxiste. Ni à polémiquer avec Cécile Duflot sur sa propre politique de démantèlement des camps et ses propos sur les Roms. Mais, dans un contexte contraint par la rigueur et malgré la création de zones prioritaires de sécurité, il peine à obtenir des résultats significatifs en matière de délinquance. Aussi l’intransigeance professée à propos de l’ordre, du républicanisme et de la laïcité, qui lui vaut la bienveillance du corps des policiers ainsi qu’une remarquable cote de confiance dans l’opinion, peut-elle s’avèrer avant tout formelle.
Seul des ministres à rester populaire, il ne fait pas davantage mystère de ses critiques sur le leadership et la méthode de Jean-Marc Ayrault. C’est donc lui qui est chargé par le président de donner un second souffle à son quinquennat après la très sévère sanction des socialistes aux municipales de mars 2014. Placé à Matignon à la tête d’une équipe resserrée dominée par des « hollandais », il a pour mission de mener à bien les réformes engagées par son prédécesseur, d’imposer la discipline dans les rangs et d’obtenir très vite des résultats, sinon dans les faits du moins d’abord dans l’image.
4. À la tête du gouvernement
Sa popularité ne préserve toutefois pas le PS d’une déculottée au scrutin européen de la fin mai, avec moins de 14 % des suffrages. Et son autorité souffre de l’attaque conjointe en août de deux piliers de son équipe – Arnaud Montebourg (Économie) et Benoît Hamon (Enseignement) – envers la politique économique menée par l’exécutif. Cependant, de concert avec le président, il débarque les contestataires et leurs affidés et opère un remaniement qui affiche clairement l’orientation sociale-libérale privilégiée. Il affronte les frondeurs de son camp à l’Assemblée, avec lesquels il doit batailler pour obtenir la confiance et faire adopter budget et loi de finances, alors même que la croissance demeure au point mort, que le chômage poursuit son inexorable ascension et qu’une succession d’affaires écorne l’image du sommet de l’État.
Il sait trouver le ton et les mots au moment des attentats terroristes de janvier 2015 à Paris et en région parisienne, mais le crédit qu’il retire de la gestion des événements, la détermination dont il fait preuve lors du passage auprès de sa majorité à l’Assemblée, via la procédure du 49-3, d’un projet controversé de libéralisation de l’économie, et son implication personnelle contre le Front national lors des élections départementales de mars ne sont d’aucune aide pour sauver les meubles du PS et repousser la vague bleue qui submerge alors l’Hexagone : divisés, son parti et la gauche plus généralement sortent une fois de plus laminés du scrutin, avec une perte sèche de quelque 27 conseils, dont des bastions, au profit d’une droite qui se présente unie, et de surcroît dopée par ses conquêtes.
Ce scénario se répète en quelque sorte peu après la nouvelle salve d’attentats de novembre 2015 à Paris, quand, dans l’état d’urgence, se tiennent les élections régionales, qui placent le FN en tête du premier tour. Le désistement républicain des listes PS au profit de la droite dans le Nord et en PACA, que prône le Premier ministre, évite que ces conseils ne tombent dans l’escarcelle de l’extrême droite. Si la démission en janvier de la ministre de la Justice C. Taubira, hostile au projet de déchéance de nationalité des coupables de terrorisme appelé de ses vœux par le chef de l’État, permet à M. Valls de faire entrer dans son équipe un fidèle, J.-J. Urvoas, le mini-remaniement qui suit la nomination de L. Fabius au Conseil constitutionnel en février 2016 porte la marque de F. Hollande : J.-M. Ayrault prend la tête du Quai d’Orsay, et 3 écologistes reviennent au gouvernement, comme pour mieux refonder une majorité présidentielle en miettes.
M. Valls joue ensuite de son autorité et de la procédure du 49-3 pour faire passer un aménagement substantiel du droit du travail fortement contesté dans la rue comme sur les bancs de l’Assemblée, au sein de sa majorité. Non sans difficultés, blocages ou maladresses… Mais, de la sorte, il affiche clairement sa loyauté envers un président soucieux d’amplifier la timide reprise économique qui se dessine et d’imprimer sa volonté réformatrice, et il met en scène sa propre action modernisatrice et ses états de service, prenant date pour la suite.
Pour en savoir plus, voir les articles France : vie politique depuis 1958, Ve République.