Hannibal ou Annibal
Général et homme d'État carthaginois (247-Bithynie 183 avant J.-C.), fils d'Hamilcar Barca.
Introduction
Fils d'un général, Hamilcar Barca (?-229 avant J.-C.), qui combattit brillamment Rome pendant la première guerre punique, Hannibal avait passé son enfance dans les camps d'Espagne et s'était distingué de bonne heure par ses qualités d'intelligence et de bravoure. Il avait été élevé dans la haine des Romains, traditionnelle dans sa famille. Il est impossible de savoir d'où vint l'initiative de la grande expédition qu'il entreprit contre Rome : était-ce le plan de Carthage ? L'idée venait-elle de son père ou de son entourage ? Ou bien était-ce un projet purement personnel, imposé à un État dont les grands chefs établis en Espagne n'étaient pas totalement dépendants ? Autre question : qui prit l'initiative de la guerre ? Hannibal attaqua la petite ville de Sagonte (aujourd'hui Sagunto, appelée Murviedro par les Arabes), près de l'Èbre. C'était violer l'esprit du traité entre Rome et Carthage. Rome pouvait s'en irriter, mais Hannibal pouvait avoir ainsi cherché le conflit. On est tenté, en cette matière controversée, de se rallier à l'opinion de J. Carcopino, attribuant la pleine responsabilité de la guerre à Hannibal. Sagonte tombée après un long siège (219 avant J.-C.), la guerre déclarée avec Rome, Hannibal prit le parti de gagner l'Italie par la voie de terre. J. Pernoux a pensé trouver l'explication de cette entreprise téméraire dans l'absence de cartes exactes de la Méditerranée : le général pouvait avoir fait une comparaison erronée des itinéraires possibles vers Rome.
La marche vers Rome
Hannibal emmenait avec lui une armée hétérogène, comprenant au départ Africains et Ibères, en attendant d'entraîner ultérieurement avec lui des peuples entiers. Il aurait quitté le pays punique avec une centaine de milliers d'hommes et trente-sept éléphants. Il devait perdre la moitié de cette armée avant de rencontrer les Romains. Ceux-ci, en effet, manquèrent les rendez-vous. Publius Cornelius Scipion arriva trop tard pour arrêter Hannibal sur l'Èbre. Mais il y eut de rudes combats contre les naturels du nord de l'Espagne. En Gaule, il fallut éviter quelques troupes de Gaulois inquiets et, en particulier, passer le Rhône en leur échappant. Là aussi, les Romains manquèrent l'occasion : Scipion arriva de Marseille quelques jours plus tard. Quel itinéraire Hannibal suivit-il ensuite pour franchir les Alpes ? Toutes les hypothèses ont été émises par les historiens. Aujourd'hui, l'itinéraire de l'Isère et du Mont-Cenis rallie de nombreux suffrages. C'était, quel que soit le chemin exact, un itinéraire détourné, de nature à surprendre l'adversaire. Mais aussi un itinéraire difficile : l'étroitesse des passes, la neige, les embuscades des montagnards… L'armée apparut en Italie épuisée, amoindrie, mais elle débouchait dans une plaine dont Rome n'avait guère prévu la défense.
Hannibal fut vainqueur sur les rives du Tessin et de la Trébie (218 avant J.-C.) non sans nouvelles pertes. Il ne lui restait plus qu'un éléphant. Mais il trouva dans les Gaulois de Cisalpine, brusquement soulevés contre Rome, des alliés qui lui apportèrent un renfort considérable. Ceux qui ne se rallièrent pas furent d'ailleurs rudement traités, et le pillage fut fructueux (mines d'or de Verceil, magasins romains). Une armée romaine gardait l'Apennin à Arezzo : pour la contourner, Hannibal empêtra son armée dans la plaine inondée de l'Arno en crue. Ses troupes souffrirent beaucoup, et les bêtes de somme se noyèrent en masse. C'est à ce moment qu'une ophtalmie fit perdre un œil à Hannibal. Celui-ci alla piller la campagne sous les yeux des Romains, qui ne purent résister à la provocation évidente et se laissèrent entraîner, puis massacrer par les Puniques, conduits par un maître de la stratégie, dans une étroite passe bordant le lac Trasimène (217 avant J.-C.).
Rome était sans défense, mais Hannibal ne l'attaqua pas. Il préféra restaurer son armée, remanier ses méthodes à la lumière de ce qu'il avait appris de l'infanterie romaine, piller à l'occasion et attendre peut-être la défection des Italiens, qui auraient pu, comme les Gaulois, se retourner contre Rome. Rien ne se produisit de ce côté. Hannibal passa dans le sud de la péninsule, tandis que Rome levait de nouvelles légions. À Cannes, il réussit à décimer une armée romaine deux fois supérieure à la sienne (216 avant J.-C.). Rome se retrouvait sans défense. Pourquoi Hannibal n'a-t-il pas attaqué Rome et ainsi totalement exploité sa victoire ? Certains historiens l'excusent et trouvent des raisons : l'attente de renforts espérés de Carthage – Hannibal les attendit dix ans ! –, le peu d'empressement de l'allié macédonien, la difficulté, à cette époque, de prendre une ville d'assaut, la fidélité de l'Italie centrale à Rome, contrairement à l'Italie méridionale, qui se ralliait alors massivement à la cause punique.
Les délices de Capoue
Quoi qu'il en soit, Hannibal laissa d'abord ses troupes séjourner à Capoue, où elles goûtèrent aux délices de la civilisation grecque. Puis vint le jour où les Romains assiégèrent Capoue. Hannibal chercha à les attirer sur un autre terrain, les battit en plusieurs occasions, prit entre-temps des villes de la côte (Tarente, Héraclée, Thurium, Métaponte), mais il n'arriva pas à faire lâcher prise aux assiégeants de Capoue. C'est dans le cadre de ces opérations de diversion qu'il faut situer sa marche sur Rome, en 211 avant J.-C.
Hannibal apparut sous les murs de la ville, campa quelques jours au bord de l'Anio et alla reconnaître les murailles. Une violente ondée fit tourner court les préparatifs d'un combat en rase campagne, et Hannibal n'insista pas. Son apparition devait laisser aux Romains le souvenir d'une terreur légendaire, mêlée d'estime pour l'adversaire. Capoue tomba peu après au pouvoir des Romains, qui traitèrent la ville avec barbarie. Hannibal en fut très affecté, toutes ces opérations ayant eu pour objet de détourner ses adversaires de Capoue. La guerre se poursuivit sans but précis, mais non sans ravages : en 210 avant J.-C., Hannibal aurait pris et saccagé quatre cents localités de l'Italie méridionale (car les Italiens se ralliaient de nouveau à Rome). Dans l'ensemble, il perdait pied et se voyait repoussé graduellement vers le Bruttium. Malgré la fidélité chancelante des Latins, en 209 avant J.-C., malgré l'arrivée tardive des renforts envoyés par Carthage (Hasdrubal Barca, puis Magon, frères d'Hannibal), il ne put que se maintenir sur un territoire de plus en plus restreint. Quand, en 203 avant J.-C., Carthage le rappela, à la suite du débarquement de Scipion en Afrique, il n'occupait plus que Crotone et ses abords immédiats. C'est alors qu'il fit graver au temple d'Era Lacinia ses exploits, qu'il pouvait croire achevés.
Il quitta donc le Bruttium, non sans l'avoir saccagé, débarqua en Afrique, rencontra Scipion dans un espoir de négociation et engagea la bataille de Zama dans des conditions qui lui étaient défavorables. Le désordre fit le reste, et Carthage fut vaincue (202 avant J.-C.).
L'après-guerre
Hannibal fit accepter les dures propositions de paix de Scipion, puis, devenu suffète, accomplit d'importantes réformes dans le gouvernement de Carthage et restaura l'activité économique. Son activité inquiéta à la fois Rome et ses ennemis politiques. Aussi, en 195 avant J.-C., il jugea bon de fuir et de se réfugier à la cour du roi de Syrie, Antiochos III Mégas (223 avant J.-C.-187 avant J.-C.), dont il devint le conseiller. Mais les intrigues de cour, son échec à la tête d'une escadre, lors de la bataille navale qui eut lieu à l'embouchure de l'Eurymédon (190 avant J.-C.), et la paix d'Apamée (188 avant J.-C.), qui le contraignit à fuir en Bithynie, où il rendit de nombreux services au roi Prousias (?-vers 182 avant J.-C.) et où il continua à intriguer contre Rome, ont fait de ses vieux jours une période de déceptions sans fin : Rome était partout victorieuse, et Carthage le traitait en suspect. Menacé d'être livré aux Romains, Hannibal s'empoisonna.
Nous ne connaissons que les actions d'Hannibal et nous nous efforçons d'en tirer ses intentions, ce qui est difficile. Il est certain qu'il fut aussi un grand politique et qu'il a cherché à recruter des alliés contre Rome. Il n'a pas réussi à former une coalition avec Syracuse et la Macédoine. Il a guerroyé avec opiniâtreté contre Rome, comme en une croisade, médiocrement soutenu par Carthage. Il a été servi par sa connaissance de la tactique macédonienne, l'un des éléments de sa culture hellénique. Il gardait sur son armée toute son autorité, tout son ascendant dans les pires circonstances. Mais peut-être mêlait-il, comme l'a observé C. Jullian, ses qualités de réflexion à l'entêtement et à l'imagination aventureuse. Il avait aussi certains défauts : la cruauté, le goût immodéré du pillage et du butin, la ruse et même la perfidie, et Michelet n'a pas eu tellement tort de le considérer comme un condottiere.