Georges Remi, dit Hergé
Créateur belge de bandes dessinées (Etterbeek, près de Bruxelles, 1907-Bruxelles 1983).
S'il n'a pas inventé la bande dessinée, Hergé a donné à ce genre longtemps méprisé ses lettres de noblesse. Avec les aventures de Tintin, il a réalisé un chef-d'œuvre qui repose sur un équilibre parfait entre dialogue et action, réalisme et caricature, comique et suspense, spontanéité et exactitude.
Un pionnier de la bande dessinée
Sous le pseudonyme d'Hergé – d'après ses initiales R. G. –, Georges Remi publie ses premiers dessins dans le Boy-Scout belge et crée en 1926 une histoire en vignettes légendées, Totor, CP des Hannetons, première ébauche de Tintin. Entré en 1925 au journal le XXe Siècle, il devient rédacteur et dessinateur en chef du supplément jeunesse, le Petit Vingtième, où paraît en feuilleton, à partir du 10 janvier 1929, la première aventure du reporter Tintin et de son chien Milou : Tintin au pays des Soviets. Ce récit d'inspiration anticommuniste, improvisé au fil des planches, sera plus tard renié par son auteur, qui refusera toujours de l'intégrer à la série. L'album, paru en 1930, connaît un succès immédiat.
Hergé poursuit avec Tintin au Congo (1931), Tintin en Amérique (1932) et les Cigares du pharaon (1934). À partir du Lotus bleu (1936), il affine son style graphique, se documente plus minutieusement, élabore des scénarios plus construits. Se succèdent l'Oreille cassée (1937), l'Île noire (1938), le Sceptre d'Ottokar (1939), albums d'une grande richesse graphique et narrative. Parallèlement, sa verve fantaisiste s'épanouit dans d'autres bandes dessinées : Jo, Zette et Jocko, Popol et Virginie et Quick et Flupke (qu'il dessine et publie dès 1930).
L'épopée Tintin
La Seconde Guerre mondiale interrompt la publication de Tintin au pays de l'or noir. Rapidement démobilisé, Hergé fait paraître sous forme de brefs feuilletons quotidiens dans le Soir, dirigé par l'occupant allemand, le Crabe aux pinces d'or (1941). C'est dans cette histoire qu'apparaît pour la première fois le personnage du capitaine Haddock.
Avec l'Étoile mystérieuse (1942), le format définitif des albums est fixé : soixante-deux pages en couleurs. Pour s'y fondre, les volumes antérieurs seront entièrement redessinés par Hergé avec l'aide d'autres dessinateurs, dont Edgar Pierre Jacobs et Bob De Moor. La série s'étoffe avec le Secret de la Licorne (1943) et le Trésor de Rackham le Rouge (1944), où entre en scène le professeur Tournesol.
La Libération interrompt la publication des 7 Boules de cristal. Hergé est arrêté et privé du droit de publier, jusqu'à ce qu'un ancien résistant devenu éditeur, Raymond Leblanc (né en 1915), lui propose de créer en 1946 l'hebdomadaire Tintin, qui relance sa carrière. En 1950, il fonde les Studios Hergé, s'entourant d'une équipe qui lui permet de parachever son travail.
Les aventures continuent avec le Temple du Soleil (1949), la reprise de Tintin au pays de l'or noir (1950), puis le diptyque Objectif Lune (1953) et On a marché sur la Lune (1954), qui donne une vision plausible du voyage lunaire, quinze ans avant l'expédition américaine d'Apollo 11. Suivent les albums de la maturité, parfois considérés comme le sommet de son œuvre : l'Affaire Tournesol (1956), Coke en stock (1958), Tintin au Tibet (1960) et les Bijoux de la Castafiore (1963). Après Vol 714 pour Sydney (1968) et Tintin et les Picaros (1976), Hergé tombe malade en 1980. Lorsqu'il meurt trois ans plus tard, il laisse inachevé Tintin et l'Alph-Art, dont les brouillons seront publiés en 1986.
La richesse d'une œuvre
Traduites en 45 langues, vendues à 150 millions d'albums dans le monde, les aventures de Tintin ont suscité de multiples vocations et enchanté des générations de lecteurs « de 7 à 77 ans », selon le slogan du journal Tintin.
Héros infaillible, sans aspérité, Tintin est, dans sa perfection même, un personnage presque abstrait. Mais il s'est progressivement entouré d'une galerie de caractères contrastés qui forment une savoureuse comédie humaine. Ses aventures, souvent en résonance avec l'actualité, témoignent des bouleversements du xxe siècle : colonialisme, impérialisme japonais, révolutions latino-américaines, montée des totalitarismes, guerre froide, tensions au Moyen-Orient, mais aussi essor de la technique et de la communication.
Fortement influencée par les valeurs du scoutisme (courage, fidélité, défense des plus faibles), la vision « hergéenne » du monde n'a cessé de se nuancer et de s'enrichir. Elle révèle en définitive un imaginaire inquiet, hanté par la violence et le mystère, qui transparaît particulièrement dans les scènes de rêve. Les multiples interprétations qu'elle a suscitées attestent le caractère inépuisable de cette œuvre singulière, toujours soutenue par un trait d'une vivacité extraordinaire.
Le maître de la ligne claire
Le style graphique d'Hergé a évolué tout au long de son œuvre. Il subit d'abord l'influence de grands illustrateurs (Christophe, Benjamin Rabier), puis celle des pionniers français (Alain Saint-Ogan) et américains (Rudolph Dirks, George McManus) de la bande dessinée. En 1934, son ami Tchang Tchong-Jen (1907-1998) l'initia aux techniques de la peinture chinoise et l'orienta vers une simplification de son dessin. Plus tard, sa collaboration avec Edgar Pierre Jacobs le conduisit vers plus de réalisme, notamment dans le traitement des décors.
Comme dessinateur, Hergé procédait par étapes : d'abord il cherchait, dans le bouillonnement du crayonné, le trait juste. Ensuite, l'étape du calque permettait, selon sa propre expression, de « refroidir » le dessin, pour ne garder qu'une seule ligne, tracée en boucle, d'une épaisseur toujours égale. Enfin, les couleurs étaient disposées en aplat, soulignant encore le trait. Ce style, tout entier dévolu à la lisibilité du récit, fit école sous l'expression – inventée en 1977 par le dessinateur néerlandais Joost Swarte – de klare lijn : ligne claire.