Edgar Pierre Jacobs
Dessinateur et scénariste belge de bandes dessinées (Bruxelles 1904-Lasne 1987).
En images mais aussi en musique
Né à l’aube du xxe siècle, Edgar Pierre Jacobs connaît, après des études à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles entamées en 1917, une première carrière, presque une première vie, marquée à la fois par les deux conflits mondiaux et par près de vingt ans consacrés aux arts lyriques (avec un premier contrat signé en 1922 pour le Casino de Paris).
En effet, bien qu’il dessine décors et costumes pour l’opéra, c’est vers le chant que l’entraîne sa vocation première. Une vocation à laquelle la Seconde Guerre mondiale mit fin faute de financements.
Des planches aux planches... de BD
Il décide alors d’exploiter sa formation initiale, dans un premier temps en réalisant des publicités pour des vêtements. Employé comme illustrateur par le magazine Bravo, au début des années 1940, il dessine les planches de Flash Gordon (Gordon l’Intrépide) que la censure européenne refuse d’importer durant le conflit.
Marqué par cette influence américaine forte, teintée d’aventure, et par les lourdes menaces que les innovations scientifiques ont fait peser sur les deux guerres mondiales, il concentre dans sa première histoire, le Rayon U (1943), ses craintes et ses espoirs. Il y esquisse également les prototypes des trois personnages qui ne le quitteront plus : le savant enthousiaste, le militaire rigoureux et le traître raffiné.
Incarnés par le professeur Philip Edgar Angus Mortimer, le colonel Francis Percy Blake et le colonel Olrik (auquel Jacobs prête ses traits), ces archétypes se retrouvent dès leur première aventure, le Secret de l’Espadon (1946), dessiné pour le magazine Tintin, que Jacobs a rejoint en 1943 à la demande de Hergé.
Aux côtés du père de Tintin, Jacobs participa également à la transformation de plusieurs albums du jeune reporter (dont Tintin au Congo et Tintin en Amérique) et à la création de plusieurs autres (notamment le Sceptre d’Ottokar). Une collaboration qui cessa toutefois en 1947, peut-être pour permettre à Jacobs de se consacrer uniquement à son œuvre, peut-être aussi à la suite de son manque de reconnaissance pour ses travaux sur Tintin.
La saga Blake et Mortimer
Le Secret de l’Espadon, qui fut redessiné en 1951 pour sa sortie en album, fut suivi de sept autres aventures réalisées à un rythme régulier. Jacobs s’y plut à mêler les genres : aventure et occultisme dans le Mystère de la Grande Pyramide (1950-1955), policier et fantastique dans la Marque Jaune (1953-1956) – et à mettre en scène une science souvent dangereuse (S.O.S. Météores [1958-1959] ; le Piège diabolique [1960-1962]).
Toujours fortement épris d’arts lyriques, le « baryton du neuvième art » fait prendre à ses personnages des poses souvent très théâtrales, dramatiques, et les longs récitatifs dont il garnit bien des cases ne sont pas sans rappeler la musique et le chant qui lui sont chers. Quant à la plupart des opposants qu’il met en scène, à commencer par l’inévitable colonel Olrik, ils semblent tous porter en eux une part du très faustien Méphistophélès…
Très affecté par le décès de son épouse, Jacobs laissa passer près de dix ans entre la parution de l’Affaire du collier (1965-1967), rare œuvre à ne lorgner ni vers la science-fiction ni vers le fantastique, et les Trois Formules du Professeur Satô (1977 pour le premier tome), qui entraîne Mortimer dans une complexe histoire de robots japonaise.
Il travaille alors en parallèle sur le deuxième tome de cette histoire et sur son autobiographie, qui parut en 1981 sous le titre Un opéra de papier. Troublée par de nombreux ennuis financiers, sa fin de carrière fut difficile. Ainsi Jacobs n’acheva finalement pas le second volet des Trois Formules. C’est son collaborateur de longue date Bob De Moor qui s’en acquitta, à l’aide des carnets de croquis et des découpages déjà réalisés.
Les successeurs
Ancrées dans un réalisme minutieux qui conféraient aux inventions dont il truffait ses histoires une grande crédibilité, les aventures de Blake et Mortimer permirent à Jacobs de se livrer durant toute sa carrière à des expérimentations graphiques, afin de s’affranchir de l’étiquette « ligne claire » dont on l’avait affublé à la suite de sa collaboration avec Hergé.
Le souffle épique et mystérieux qui balayait ces récits inspira éditeurs et auteurs qui décidèrent de poursuivre les aventures de l’immortel trio. Ainsi Jean Van Hamme et Ted Benoît (l’Affaire Francis Blake, 1996 ; l’Étrange rendez-vous, 2001), puis Yves Sente et André Juillard (la Machination Voronov, 2000 ; le Sanctuaire du Gondwana, 2008), ont rouvert le rideau et permis aux acteurs de monter de nouveau sur scène.