Edmund Husserl

Edmund Husserl
Edmund Husserl

Philosophe et logicien allemand (Prossnitz, aujourd'hui Prostějov, Moravie, 1859-Fribourg-en-Brisgau 1938).

Dans la lignée de Descartes, Edmund Husserl chercha à établir les conditions d’une connaissance rigoureuse. Il fut à l’origine de la phénoménologie, dont le but était de fonder la possibilité de l’objectivité scientifique. Selon lui, il n’était pas légitime de faire comme si la science de la nature était indépendante de la vie de l’esprit.

Un « fonctionnaire de l'humanité »

Fidèle à la définition qu'il donne du philosophe dans la Crise des sciences européennes, Husserl a su identifier la majeure partie de son existence aux principales étapes de sa recherche. Après des études d'astronomie, de physique et de mathématiques à Leipzig, il présente à Vienne sa thèse de doctorat Sur le calcul des variations (Beiträge zur Theorie der Variationsrechnung, 1883) et devient privatdocent à l'université de Halle. En 1891 paraît le premier volume de la série inachevée Philosophie de l'arithmétique (Philosophie der Arithmetik). Le même esprit qui préside aux Recherches logiques (Logische Untersuchungen, 1900-1901) prend un tour plus définitivement husserlien dans les leçons sur la Phénoménologie de la conscience interne du temps (Vorlesungen zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins, publié en 1928) et dans le cours professé à Göttingen sur « l'Idée de la phénoménologie », que préciseront, en 1913, les Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen zu einer reinen Phänomenologie). Nommé professeur à Fribourg-en-Brisgau (1916), il prend sa retraite en 1928. Ses conférences en Sorbonne (1929) formeront la matière des Méditations cartésiennes (Cartesianische Meditationen). En dépit de l'hostilité que lui manifeste le nazisme, Husserl tente une sorte de synthèse de sa pensée dans la Crise des sciences européennes (Die Krisis der europäischen Wissenschaften, 1936). Après sa mort, ses textes et manuscrits, recueillis par le R. P. H. L. Van Breda, seront réunis à l'université de Louvain, où ils constituent les « Archives Husserl ».

Connaissance de la vérité et vérité de la connaissance

Mathématicien avant de devenir philosophe, Husserl se propose de transformer la philosophie en science exacte et de dévoiler les fondements essentiels de toute réalité. Sa recherche passe par trois périodes successives, aussi distinctes qu'inséparables. S'interrogeant d'abord sur l'analyse mathématique, il en vient à reconnaître le primat de la logique sur l'ensemble des sciences, de même que sur les méthodes de la psychologie. Il constate ensuite que la logique pure est initialement phénoménologie, c'est-à-dire qu'elle se pose comme description des actes de la conscience, comme démarche pour saisir les significations et comme procédé pour accéder à la vision des essences. Enfin, il tente de traiter en termes d'historicité de la conscience les problèmes du monde des êtres et des choses, de la culture.

L'itinéraire de Husserl part donc de la crise des sciences et y aboutit de nouveau, mais en montrant qu'il s'agit là d'une crise de la conscience. La phénoménologie apparaît dès lors comme une méthode, dans le meilleur style cartésien, pour fonder sur des certitudes la réalité du monde et la réalité de l'homme dans le monde. Au niveau le plus simple, elle se veut l'étude des phénomènes, de ce qui surgit à la conscience, de ce qui est donné. Elle s'identifiera, en fin de compte, à la manière dont la conscience vit le monde et exprime cette vie.

L'intentionnalité

Où prend appui la connaissance scientifique ? Pour l'empiriste, la démarche logique s'explique par l'analyse psychologique du sujet qui raisonne. Or, constate Husserl, le sujet reste soumis à la contrainte des connexions et des enchaînements objectifs : les propriétés des nombres sont les mêmes pour un homme du xxe s. et pour un Grec de l'Antiquité.

Faut-il, en suivant Kant, distinguer le monde de l'expérience ou des phénomènes, seul connaissable, et celui de la « chose en soi », inaccessible ? Ce serait consacrer la rupture entre le sujet et le monde, entre la conscience qui perçoit et l'objet perçu. Au contraire, la notion de visée intentionnelle abolit une telle séparation.

Chez Husserl, l'intentionnalité est le mouvement où se résout la contradiction entre l'être et la conscience : elle scelle le pacte de la conscience et du monde. Il n'y a donc pas de monde qui ne soit pour une conscience et pas de conscience qui ne se détermine comme une façon d'appréhender le monde. Au noème (connaissance comme résultat) correspond une certaine noèse (acte de connaissance). Le phénomène est donc l'apparaître de la réalité, ce qui se donne au sujet ; sa connaissance ne consiste pas à le rejoindre mais à le dévoiler, à obtenir qu'il se donne directement tel qu'il est : unité de l'acte de conscience et de l'objet, unité réalisée par la visée intentionnelle.

Mais les actes de conscience ne visent pas leurs objets de la même manière et, simultanément, les objets ne se donnent pas de façon identique. C'est à la phénoménologie qu'il appartient de dégager les distinctions et la certitude logique en permettant la description du vécu, des actes de conscience et des essences qu'ils visent.

La réduction ou mise entre parenthèses

La perception ne nous livre le réel que par esquisses et profils successifs. Un objet reste soumis au déroulement indéfini des profils sans jamais permettre une exploration exhaustive ; l'essence de ce perçu est d'être inépuisable. Et pourtant, la perception a ceci de paradoxal qu'elle nous donne l'absolu d'un apparaître qui se développe sans cesse dans une synthèse toujours plus grande et toujours inachevée.

Mais, si la chose émerge ainsi à travers des retouches sans fin, au contraire le vécu est donné à lui-même dans une perception immanente ; la conscience de soi donne le vécu comme un absolu. Une analyse précise implique que soient pleinement dissociés le monde comme totalité de choses, d'une part, la conscience et le vécu, d'autre part. Cette opération qui, mettant le monde entre parenthèses, dégage le phénomène d'existence dans sa pureté, Husserl l'appelle la réduction, ou « épokhê ».

Au premier stade, la réduction phénoménologique distingue donc le monde et un sujet non mondain ; une analyse plus poussée conclut ensuite à la contingence de la chose (le modèle du mondain) et à la nécessité du moi pur, résidu de la réduction. C'est ce que Husserl exprime, dans les Idées directrices, par : « Toute chose donnée » en personne « peut aussi ne pas être, aucun vécu donné » en personne « ne peut pas ne pas être ».

Le moi pur n'a donc pas besoin du monde pour être. Grâce à la réduction, à la mise hors d'action du monde, le concret de la vie subjective se révèle dans son authenticité, la conscience réussit à être consciente d'elle-même. Autrement dit, le moi qui est dans le monde se double, par l'acte phénoménologique, d'un moi spectateur désintéressé. En somme, réduire, c'est transformer tout donné en phénomène et révéler du même coup les caractères essentiels (eidétiques) de l'ego : fondement radical, source de toute signification, lieu d'intentionnalité avec l'objet.

Ego radical et intersubjectivité

Puisque tout sens est fondé dans la conscience individuelle donatrice de sens, la démarche du philosophe ne va-t-elle pas aboutir fatalement au solipsisme ? Husserl tourne aisément l'objection. Pour lui, « autrui soi-même m'est donné dans une expérience absolument originale. L'altérité de l'autre est un moi pur, il est une existence absolue et un point de départ pour lui-même comme je le suis moi-même ».

Ainsi, l'analyse intentionnelle d'autrui fait passer la radicalité du moi dans l'intersubjectivité, c'est-à-dire dans l'histoire. Par ce biais, Husserl a beau jeu d'aborder la crise des sciences. Ce qui est en cause, ce ne sont plus les sciences en particulier, c'est l'objectivisme qui a prétendu les fonder. Leur crise se situe dans leur absence de signification pour la vie elle-même. Seul l'ego fondamental, donateur de sens, vivant d'une vie préobjective et immédiate, peut réconcilier, dans un rapport de vérité toujours précisé, le savoir abstrait et le vécu.

La vérité ne peut se définir que comme expérience vécue de la vérité, comme l'évidence que consacre le moment où la chose dont on parle se donne « en personne » à la conscience. Et Husserl précise : « Même une évidence qui se donne comme apodictique peut se dévoiler comme illusion, ce qui présuppose néanmoins une évidence du même genre, dans laquelle elle“ éclate ”. »

Ainsi, la vérité se corrige toujours dans une expérience actuelle, et si tel vécu se donne maintenant à moi comme une évidence passée et fausse, cette actualité même constitue un nouveau moment qui exprime dans le vécu à la fois l'erreur passée et la vérité présente qui la corrige.

La vérité selon Husserl n'est pas un objet mais un mouvement, et un mouvement qui n'existe que s'il est effectivement fait par moi. Seule l'analyse intentionnelle, revenant au monde au sein duquel le sujet reçoit les choses comme synthèses passives antérieures à tout savoir, dévoile le fondement radical de toute vérité.

De sorte que, après avoir écarté le monde par la réduction pour rendre à l'ego son authenticité de donateur de sens, Husserl le retrouve comme la réalité même du constituant. Bien entendu, il ne s'agit plus du monde où l'homme s'abandonne comme existant, objective naïvement la signification des objets et s'aliène, mais bien du monde primordial, matière initiale des expériences vécues sur lesquelles s'élève la vérité théorique.

D'une recherche sur les bases de la logique, le philosophe en vient à fonder toute rationalité et toute vérité sur le vécu immédiat d'une évidence par laquelle l'homme et le monde se trouvent originairement d'accord.

Sur l'anté-rationnel du subjectif, dont certains disciples et en particulier Heidegger vont faire abusivement un anti-rationnel, Husserl élabore une nouvelle objectivité. Son rationalisme « totalisant », qui tire du vécu le principe d'intelligibilité du monde, comme Descartes le tirait de Dieu, a quelque chance d'apparaître aujourd'hui, dans la crise de la culture, comme le dernier état de la bonne conscience philosophique. S'il est vrai que la catégorie existentielle, en sauvant ici la mise de l'abstraction pure, écarte à la fois la séduction du mysticisme et la dichotomie entre être et conscience, elle n'en reste pas moins étrangère à l'histoire concrète, telle que « les hommes la font dans certaines conditions ».

Quelques mots clés de la philosophie husserlienne

eidétique

Qui concerne l'essence.

intentionnalité

« Le mot intentionnalité ne signifie rien d'autre que cette particularité foncière qu'a la conscience d'être la conscience de quelque chose » (Husserl). Caractère propre à la pensée de tendre vers un objet de pensée.

intuition

Faculté qui permet de saisir directement les essences intemporelles. « Toute intuition qui nous donne son objet de façon immédiate et originelle est source de connaissance légitime » (Husserl).

noème (du grec noêma, objet pensé)

Objet intentionnel avec son sens, son caractère de réalité, ses modes d'apparaître, etc.

noèse (du grec noêsis, pensée)

Acte même de la connaissance, tourné vers l'objet.

phénoménologie

Méthode philosophique qui vise à saisir, par-delà les êtres empiriques et individuels, les essences absolues de tout ce qui est. C'est « la science descriptive des essences de la conscience et de ses actes » (Husserl).

réduction eidétique

Acte qui consiste à éliminer les éléments empiriques du donné pour n'en retenir que la pure essence.

réduction phénoménologique

Acte qui consiste à mettre entre parenthèses les existences empiriques.