Arthur Schopenhauer
Philosophe allemand (Dantzig 1788-Francfort-sur-le-Main 1860).
Élevant le « vouloir-vivre » au rang de principe métaphysique, Arthur Schopenhauer en fait la « clef de l’énigme du monde ». Par là s’explique le tragique de la condition humaine, réduite à être le jouet de cette force vitale qui lui échappe. La pensée de Nietzsche se formera par opposition à cette conception pessimiste.
Un parcours intellectuel syncrétique
Issu d'une famille de riches banquiers, Arthur Schopenhauer passe une partie de sa jeunesse à voyager en Europe, notamment en France et en Angleterre. Influencé par Platon et par Kant, il l’est aussi par Fichte, dont il suit les cours, et obtient en 1813 son doctorat de philosophie à Iéna, avec une thèse intitulée De la quadruple racine du principe de raison suffisante. Également marqué par la lecture des Upanishad, il se plonge dans la pensée de l’Inde, brahmanisme et bouddhisme confondus. Après la publication, en 1818, de son œuvre maîtresse, le Monde comme volonté et comme représentation (laquelle n’acquerra de vraie audience qu’après la réédition de 1844), Schopenhauer est chargé de cours à l'université de Berlin en 1819 (en même temps que Hegel), mais on ne lui confie pas de chaire. En 1831, il se retire à Francfort-sur-le-Main, où il rédige les Deux Problèmes fondamentaux de l’éthique (1841), puis Parerga et Paralipomena (1851), contenant des aphorismes spirituels qui faciliteront la diffusion de sa doctrine.
Schopenhauer demeure le représentant d’un pessimisme métaphysique absolu. Outre Nietzsche (« Schopenhauer éducateur », troisième des Considérations inactuelles [ou intempestives], 1874), l’écrivain Thomas Mann (les Buddenbrook. Le déclin d’une famille, 1901) comptera parmi les intellectuels le plus fortement marqués par sa pensée.
La force de la volonté universelle
Schopenhauer professe que le monde est tel que nous le connaissons, du fait même que ses phénomènes ne sont rien d'autre que nos sensations et que ses lois sont nos idées. Ce phénomène, Schopenhauer le renomme représentation ; ainsi, « le monde est ma représentation ». Mais il y a plus : la pensée elle-même n'est qu'un phénomène.
Toute la philosophie de Kant consiste dans la distinction entre phénomène et noumène. Le phénomène est ce qui nous apparaît, c'est-à-dire la représentation que nous nous faisons des choses. Le noumène est la chose en soi, inaccessible à notre connaissance. Or, Schopenhauer déclare que la grande découverte de sa vie est celle de la chose en soi. Cette réalité nouménale, il la trouve en lui-même, en faisant l’expérience de ce qu’est la tendance, le désir, la volonté, en un mot le « vouloir-vivre » érigé en volonté universelle.
Toute action du corps n’est que l’objectivation de cette volonté universelle. Le monde lui-même ne se compose que des manifestations de cette volonté, puissance aveugle qui travaille sans but et sans repos, qui s’élève par degrés de la matière inorganique à la raison humaine, en passant par l'irritabilité des plantes et la sensibilité des animaux, puisque la vie est une lutte pour l'existence où l'on est sûr d'être vaincu, c'est-à-dire de mourir. L'intelligence n'est qu'un agent de la volonté chargé de pourvoir à la vie de l'individu.
L'art et la pitié
Le fond de la conscience humaine elle-même ne serait que la tendance irrésistible au vouloir-vivre, illusion fatalement déçue. Le premier moyen pour s'affranchir de cette illusion est l'art, ce frère aîné de la philosophie. Par l'art – et notamment par la musique, d’où l’intérêt de Wagner pour Schopenhauer –, le génie contemple les Idées éternelles et sait les exprimer ; et, par la contemplation, il échappe aux dures nécessités de la vie.
Mais il n'est que peu de génies. Pour l'homme ordinaire, la voie du salut le plus à sa portée est la morale. L'existence n'est qu'une souffrance, puisque l'homme ne peut guider sa destinée. Mais par l'amour (tel que Jésus-Christ l'a enseigné) et par la pitié, qui lui révèle la fraternité humaine, l'homme peut se délivrer de l'égoïsme. La seule libération véritable et totale est le « quiétisme » de la volonté individuelle, qui laisse toute sa valeur à la volonté universelle. Il faut abolir en soi le vouloir-vivre, il faut « sortir du monde de la vie et entrer dans l'inconscience », dans le néant du nirvana pour parler le langage de l'hindouisme. Le suicide ne représente pas une solution, car il est encore inspiré par la passion.
Dans cette philosophie pessimiste, l'essence de l'être n'est donc qu'un effort douloureux, dont la libération n'est point dans le plaisir, répit négatif qui résulte de l'interruption momentanée de la souffrance, mais dans l'effort de l'intelligence, dans l'art, dans l'ascétisme et dans la pitié. Au final, c'est la pitié, « principe réel de toute justice spontanée et de toute vraie charité », qui constituera le fondement de la morale.