Abel Gance

Cinéaste français (Paris 1889-Paris 1981).

Premières expériences

Dès 1909, Abel Gance commence à écrire ses premiers scénarios, d'abord pour la Gaumont, puis pour la S.C.A.G.L. À cette époque, il hésite encore sur sa vocation : il se sent attiré à la fois par la poésie (il écrit un recueil : Un doigt sur le clavier), le théâtre (parmi ses essais, une pièce en cinq actes et en vers, la Victoire de Samothrace, plaira beaucoup à Sarah Bernhardt) et le cinéma (il interprète un rôle important dans le Molière de Léonce Perret [1909]). Mais l'envie de réaliser des films l'emporte bientôt.

Une œuvre dominée par un monument

En 1911, Gance fonde une société de production, « le Film français », pour laquelle il dirige ses premières œuvres (la Digue, 1911 ; le Nègre blanc, 1912).

Avec la Folie du docteur Tube (1915), son originalité apparaît. Déjà il entrevoit les immenses possibilités du cinéma et se passionne pour certaines recherches techniques. À une époque où le cinéma n'est pas encore considéré en France comme un art majeur, il fait figure d'avant-gardiste avec la Zone de la mort (1917)- « un événement du cinéma français », dira Louis Delluc-, Mater dolorosa (1917), la Dixième Symphonie (1918) et J'accuse (1919). Après avoir produit l'Âtre de R. Boudrioz (1921), il tourne la Roue (1922), qui déchaîne par ses innovations- scènes de montage rapide accompagnées d'une partition spécialement composée par Arthur Honegger- des mouvements divers. Mais les admirateurs ont vite raison des persifleurs, et Germaine Dulac pourra écrire : « L'ère de l'impressionnisme commençait, ramenant au mouvement par le rythme, cherchant à créer l'émotion par la sensation. » En 1926, Gance donne les derniers tours de manivelle d'un film qui marquera profondément son époque : Napoléon. Dans cette fresque puissante qui ne craint ni la démesure ni l'emphase, ayant parfaitement assimilé les leçons d'un Griffith, il se livre à des audaces formelles (allant par exemple jusqu'à superposer 16 images dans un même plan, inventant la polyvision grâce au triple écran, créant par un montage nerveux et intelligemment rythmé un art de l'image qui rappelle par son lyrisme les envolées visionnaires d'un Victor Hugo). Ce sens de l'épique, ce débordement fougueux, cette ivresse cosmique charriant à la fois le sublime et le contestable (emporté par ses élans, Gance frôle parfois la naïveté et dirige ses comédiens sans craindre les écueils des effets hyperboliques et une certaine propension à l'art déclamatoire) auraient demandé, pour s'exprimer totalement, un encouragement moral (et aussi un indiscutable appui financier) que l'industrie cinématographique française n'offrit que fort chichement à ce créateur d'exception. L'utopie de ce dernier allait longtemps souffrir de l'incompréhension et de la mesquinerie des professionnels du cinéma et des pouvoirs publics.

Dès l'avènement du parlant, Gance signe un film, la Fin du monde (1930), qui brille encore d'outrancières beautés, puis s'acharne à remodeler certaines de ses œuvres anciennes qui lui tiennent particulièrement à cœur : Mater dolorosa en 1932, Napoléon Bonaparte en 1934 version écourtée, restaurée, sonorisée du film de 1926, qu'il reprendra en 1970 dans une troisième version de 4 h 30, formant un nouvel ensemble « architectural » intitulé Bonaparte et la Révolution et J'accuse en 1938. On le voit encore signer le Roman d'un jeune homme pauvre (1935), Lucrèce Borgia (1935), Un grand amour de Beethoven (1936), la Vénus aveugle (1941), le Capitaine Fracasse (1942), qui apparaissent avec le recul du temps plus comme des objets de curiosité que comme des réussites. En 1954, après un long silence, Gance revient à la mise en scène avec la Tour de Nesle. Il propose en 1956 un programme expérimental, Magirama, puis réalise Austerlitz (1960) et Cyrano et d'Artagnan (1962). Ce remarquable inventeur (outre la polyvision, dont s'inspirera vingt-cinq ans plus tard le Cinérama, on lui doit la découverte de la perspective sonore [brevet Gance-Debrie, 1929] et du Pictographe [brevet Gance-Angénieux, 1938]) écrivit également plusieurs textes importants sur le septième art (notamment le livre Prisme, édité en 1930).

Une locomotive puissante sur des rails fragiles

L'esprit d'Abel Gance ne pourrait mieux se définir que par deux textes qui le dépeignent avec force et justesse. L'un est un appel placardé à la porte du studio de Billancourt avant l'exécution de son Napoléon de 1926 : « À tous, collaborateurs de tous ordres, premiers rôles, seconds plans, opérateurs, peintres, électriciens, machinistes, à tous, surtout à vous humbles figurants qui allez avoir le lourd fardeau de retrouver l'esprit de vos aïeux et de donner par votre unité de cœur le redoutable visage de la France de 1792 à 1815, je demande, mieux j'exige, l'oubli total des mesquines considérations personnelles et un dévouement absolu. Ainsi seulement vous servirez pieusement la cause déjà illustre du plus bel art de l'avenir à travers la plus merveilleuse des leçons de l'histoire. » L'autre est une définition à la fois orgueilleuse et désabusée de ce que fut sa carrière : « J'ai été perpétuellement en équilibre instable sur les rails d'un petit train Decauville. À quoi bon une locomotive puissante si elle ne peut rouler vite sur des rails peu solides. Rongeant mon frein, j'ai dû laisser pendant des années ma locomotive au garage et il me faudrait des rails robustes pour y lancer la polyvision, cette locomotive surcompressée du cinéma futur. »

  • 1927 Napoléon, film d'A. Gance.