Abd el-Kader

en arabe ‘Abd al-Qādir ibn Muḥyī al-Dīn

Abd el-Kader vers 1835
Abd el-Kader vers 1835

Émir algérien (près de Mascara [aujourd'hui Mouaskar] 1808-Damas 1883).

1. Introduction : le fondateur de la nation algérienne

L'émir Abd el-Kader, l'homme qui défia les armées françaises de 1832 à 1847 avant de créer les bases d'un véritable État algérien, est aujourd'hui considéré par l'Algérie indépendante comme l'une des figures les plus marquantes de son histoire. La noblesse de son attitude après sa capture et la protection très efficace qu'il apporta aux chrétiens de Damas à la fin de sa vie lui valurent aussi un très grand prestige chez ses anciens adversaires.

2. Les années d'enfance et d'initiation

2.1. Le moine soldat

Sa famille, originaire du Rif, s'était établie dans la région de Mascara, où son père, Mohieddine, était devenu, au début du xixe siècle, le chef spirituel d'une communauté qui manifestait son hostilité à la domination turque.

Abd el-Kader vient au monde dans un domaine de la plaine d'Erhis, sur l'oued al-Hammam, au sud-ouest de Mascara. Son éducation très pieuse ne néglige pas l'exercice des armes et, surtout, l'équitation, pour laquelle le jeune homme acquiert une grande réputation.

À vingt ans, il effectue avec son père le traditionnel pèlerinage à La Mecque. Puis les pèlerins vont jusqu'à Bagdad vénérer le tombeau d'un saint, leur lointain ancêtre. Là, Mohieddine a une vision : son aïeul lui prédit qu'Abd el-Kader régnera sur le Maghreb. Le père et le fils regagnent leur pays en 1829. L'année suivante, les Français s'emparent d'Alger.

3. La lutte contre les Français

3.1. De la proclamation de la guerre sainte au traité de la Tafna (mai 1837)

Combattant sous les murs d'Oran

Abd el-Kader seconde de plus en plus efficacement son père, qui, tout en reconnaissant la suzeraineté du sultan marocain, regroupe les tribus des régions de Mascara et de Tlemcen, et prépare la résistance aux chrétiens : le 27 avril 1832, le vieux chef proclame le djihad, et, en mai, il tente de s'emparer d'Oran. C'est un échec, mais le jeune Abd el-Kader se fait remarquer par sa vaillance.

Proclamé émir (1832)

En novembre, les tribus décidées à combattre se réunissent aux portes de Mascara. Une nouvelle apparition de son ancêtre incite Mohieddine à demander le pouvoir pour son fils. L'assemblée choisit avec enthousiasme Abd el-Kader comme sultan : le jeune chef se contente, en fait, du titre d'émir, car il reconnaît comme son père la suprématie du sultan du Maroc.

En lutte contre les Français

Dès 1833, Abd el-Kader reprend la lutte contre les Français, commandés par un nouvel arrivé, le général Desmichels, qui veut « se donner de l'air » aux dépens de tribus situées dans la mouvance du jeune émir. Mais Desmichels, devant les critiques de plus en plus vives formulées en métropole contre les projets de conquête, en vient vite à rechercher l'entente avec son adversaire : le traité du 26 février 1834 reconnaît à Abd el-Kader le titre de « commandeur des croyants » et lui laisse encore son autorité sur tout l'ancien beylicat d'Oran, jusqu'à Miliana à l'est. L'année suivante, en avril 1835, l'émir étend même son pouvoir jusqu'à Médéa, aux dépens de tribus qui se sont soulevées contre les Français : ces derniers, en position difficile, ne peuvent guère s'opposer à cette expansion.

La victoire de la Macta (juin 1835)

Mais le général Trézel a remplacé, à Oran, le général Desmichels, jugé trop faible. Les conflits reprennent bientôt avec les Arabes, les Français voulant prendre sous leur protection des tribus qu'Abd el-Kader considère de sa dépendance. Le 28 juin, l'émir inflige à Trézel un rude échec à la Macta. Sous l'impulsion du maréchal Clausel, nommé gouverneur général de l'Algérie, la contre-offensive française aboutit à l'occupation de Mascara (6 décembre), puis de Tlemcen (13 janvier 1836). En fait, les forces de l'émir se reconstituent très vite et reprennent les territoires que les Français, trop peu nombreux, ne peuvent occuper.

Le traité ambigu de la Tafna (mai 1837)

Pour rétablir la situation, Louis-Philippe envoie en Algérie un chef réputé, Thomas Bugeaud, qui remporte un premier succès au ravin de la Sikkak (6 juillet 1836). En novembre, Bugeaud échoue cependant dans une tentative contre Constantine : Abd el-Kader en profite pour bloquer Oran, et le nouveau commandant en chef français doit signer avec l'émir, en mai 1837, le traité, conciliant mais ambigu, de la Tafna. Abd el-Kader voit son domaine étendu jusqu'aux confins du beylicat de Constantine. Celui-ci s'effondre après la prise de sa capitale par les Français en octobre 1837, ce qui ne résout pas les problèmes de souveraineté sur ce territoire.

3.2. La reprise des hostilités et la défaite (1837-1847)

La violation du traité de la Tafna

Dans le nouveau vide politique ainsi créé, les Français et Abd el-Kader vont s'affronter : des interprétations divergentes du traité conduiront à réactiver le conflit. Bugeaud veut faire signer à l'émir un traité additionnel pour fixer, de façon plus restrictive, la limite du domaine arabe. Les Français n'obtiennent que l'accord personnel de l'ambassadeur d'Abd el-Kader, et ce dernier estimera que l'expédition menée par le duc d'Orléans (fils aîné de Louis-Philippe) pour relier Constantine à Alger, constitue un acte de guerre, dans la mesure où il leur avait interdit de traverser ses territoires.

Les combats reprennent dans la Mitidja en novembre 1839. Les Français connaissent une période difficile. En décembre 1840, Bugeaud est nommé gouverneur général de l'Algérie pour rétablir la situation. Ses « colonnes mobiles » occupent les principales villes de l'intérieur qui étaient tenues par Abd el-Kader : dès 1841, Tagdempt (près de Tiaret), Mascara, Boghar et, en 1842, Tlemcen.

La destruction de la smala

En même temps, les Français s'attaquent à ce qui fait l'essentiel des richesses en possession des tribus alliées de l'émir : les troupeaux sont confisqués, les récoltes détruites. La guerre prend un caractère inexpiable, et les ressources d'Abd el-Kader diminuent avec la ruine sans cesse aggravée des régions qu'il parcourt. Enfin, le 16 mai 1843, un officier du duc d'Aumale (avant-dernier fils de Louis-Philippe) découvre par hasard l'immense campement formé par la capitale mobile de l'émir, la smala. Une charge de cavalerie la disperse. Le coup est très rude pour Abd el-Kader, qui doit se réfugier sur les confins marocains.

Traqué par le sultan du Maroc

Mais la défaite de l'Isly (→ bataille de l'Isly, 14 août 1844) oblige le sultan du Maroc Abd al-Rahman à refuser toute aide de son hôte, et même à le déclarer hors-la-loi. Dès lors, Abd el-Kader doit en revenir à une lutte de partisans, ce qui lui procure des succès, notamment à Sidi-Brahim et dans la région d'Aïn-Temouchent (→ combats de Sidi-Brahim, septembre 1845). Il opère même en 1846 sa jonction avec les Kabyles et n'est repoussé vers le Maroc qu'avec de grandes difficultés.

Contraint à la reddition

L'hostilité, cette fois ouverte, d'Abd al-Rahman va causer la perte de l'émir, rejeté en Algérie et auquel la voie du Sud est coupée par les Français. Abd el-Kader doit se rendre à Lamoricière le 23 décembre 1847, puis au duc d'Aumale le lendemain.

4. La reconnaissance de ses anciens adversaires

4.1. En captivité

Lamoricière, comme le duc d'Aumale, avait promis à l'émir, lors de sa reddition, de le conduire en terre d'islam à Alexandrie ou à Saint-Jean-d'Acre. En fait, on l'interne d'abord à Toulon, au fort Lamalgue. La IIe République n'exécute pas la promesse de la royauté et l'ancien chef arabe est transféré à Pau (avril 1848), puis, comme il proteste de plus en plus vivement contre les conditions déplorables de sa détention, au château d'Amboise (novembre 1848). Il y restera, ainsi que sa suite – une centaine d'hommes, de femmes et d'enfants soumis au froid et à l'isolement –, jusqu'en 1852.

4.2. L'estime de Napoléon III

Enfin, le 16 octobre, Louis Napoléon lui rend la liberté. Abd el-Kader lui écrit : « Vous m'avez mis en liberté, tenant ainsi, sans m'avoir fait de promesses, les engagements que d'autres avaient pris envers moi et n'avaient pas tenus. […] Je n'oublierai jamais la faveur dont j'ai été l'objet. » Abd el-Kader, lui, sera fidèle à son dernier engagement : doté d'une pension de 100 000 francs par an, il part pour la Turquie en décembre, après avoir visité Paris, et se retire à Brousse.

4.3. Le protecteur des chrétiens de Damas

Accueilli sans chaleur, il prend prétexte de la dévastation de la ville par un tremblement de terre pour gagner Damas, où vit une importante colonie algérienne. Il se montre désormais un ami des Français et des chrétiens maronites, contribuant notamment à en sauver plusieurs milliers en juillet 1860, lors de l'insurrection des Druzes musulmans (→ campagnes de Syrie). C'est à ce titre qu'il est décoré de l'ordre de Pie IX et qu'il reçoit la Légion d'honneur. Certains songent même à lui confier une sorte de vice-royauté de l'Algérie.

Pourtant, son rôle pendant la guerre de 1870 est controversé. Dans plusieurs lettres aux autorités françaises, il aurait vivement condamné l'un de ses fils qui tentait de reprendre la lutte en Algérie : ces documents sont considérés comme des faux par certains, qui y voient l'œuvre de l'administration coloniale. Il refuse obstinément de prendre la tête d'un royaume arabe sous protectorat français, tel qu'en rêvait Napoléon III.

En 1966, les cendres de l'émir Abd el-Kader ont été ramenées de Damas et inhumées au « carré des martyrs » du cimetière d'El-Alia, près d'Alger.

Pour en savoir plus, voir les articles Algérie : histoire, monarchie de Juillet, second Empire.