Tristan Tzara
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Poète français d'origine roumaine (Moinesti, Roumanie 1896 – Paris 1963).
Il est lié dès ses débuts littéraires à l'avant-garde roumaine (il fonde une revue éphémère, le Symbole, avec Ion Vinea et Marcel Janco). Ses Premiers Poèmes (publiés en 1965) sont influencés par le symbolisme, qu'il dévoie déjà par l'éclat d'images insolites. En 1915, il est à Zurich pour y poursuivre des études de mathématiques et de philosophie. Aussitôt il se jette dans la subversion, fondant avec ses amis Janco, Arp, Huelsenbeck, Ball, le mouvement dada. Après Cabaret Voltaire, il dirige la revue Dada, lance des manifestes (Sept Manifestes dada, 1924), organise des soirées, des expositions et sert de pôle d'attraction à l'avant-garde internationale, entretenant une abondante correspondance avec les artistes isolés par la guerre. Ses recueils poétiques (Ving-Cinq Poèmes, 1918 ; De nos oiseaux, 1923), ses pièces (la Première Aventure céleste de M. Antipyrine, 1916 ; la Deuxième Aventure, 1920 ; le Cœur à gaz, 1922) se caractérisent par un traitement drastique du langage et une confusion délibérée des genres. La révolution poétique s'accompagne de la joie créatrice, de l'affirmation de soi au centre de la communication. Collaborateur des revues Sic et Nord-Sud, Tzara est accueilli à Paris en 1920 par Picabia et le groupe Littérature, qui s'agrège pleinement à dada pendant deux grandes saisons. Après divers scandales suscités par son mode d'irruption dans les institutions artistiques, il considère avoir mis fin, le premier, au mouvement dada et poursuit solitairement son aventure poétique, récapitulée dans l'Antitête (1933). La pièce Mouchoir de nuages (1926) qui lance le collage au théâtre, des recueils plus intimes comme l'Arbre des voyageurs, l'Indicateur des chemins de cœur (1928) et surtout l'Homme approximatif (1931), vaste épopée de l'homme élémentaire accédant à la conscience d'être, amènent le surréalisme à le compter parmi les siens. Il contribue alors à en définir l'action et l'idéologie (1930-1935), collaborant au Surréalisme au service de la Révolution. Un « rêve expérimental » (Grains et Issues, 1935) apporte une solution personnelle au problème de l'écriture automatique en éclairant les rapports de la pensée onirique et de la pensée dirigée. Dans la même perspective, l'Essai sur la situation de la poésie (1931) rend compte de l'évolution poétique qui fait du surréalisme l'aboutissement de la tradition révolutionnaire. En 1935, Tzara quitte le surréalisme pour se tourner vers l'action militante : il dirige le comité de soutien aux intellectuels espagnols (1936-1939). Contraint de se cacher durant l'Occupation, il publie quelques poèmes dans la clandestinité (Une route seul soleil, 1944), organisant le Comité national des écrivains dans le Sud-Ouest. Sa conférence le Surréalisme et l'après-guerre (1947) est un réquisitoire contre ses anciens amis qui ont abandonné la lutte, et une affirmation de la liberté poétique. Contre Sartre, il refuse la notion de poésie engagée, lui opposant l'engagement total du poète. Ses recueils (Midis gagnés, 1939 ; Terre sur terre, 1946 ; la Face intérieure, 1953 ; le Fruit permis, 1956 ; la Rose et le Chien, 1958 ; Vigies, 1962) rejoignent les préoccupations de l'époque en disant simultanément l'angoisse et l'espérance. Un poème dramatique (la Fuite, 1947), une autobiographie lyrique (De mémoire d'homme, 1953), suivie d'À haute flamme (1955), renouent avec les racines de l'enfance et conduisent le poète à un état d'apaisement (Juste Présent, 1961), amusé par les contradictions de la vie (40 Chansons et Déchansons, 1972). Ses articles sur la poésie (les Écluses de la poésie) et sur l'art (le Pouvoir des images), rassemblés dans ses Œuvres complètes (1975-1982), éclairent l'acte créateur dans ses rapports avec la société. À la base se trouve la lycanthropie, c'est-à-dire la révolte inhérente à la jeunesse dans son besoin de transformer le monde et la vie. Ses dernières années sont consacrées à percer le Secret de Villon (édition posthume) à l'aide des anagrammes qui devaient, selon lui, permettre au poète de s'exprimer en dépit de tous les obstacles. La trajectoire curieuse de Tzara, de la révolte à l'érudition, témoigne que la poésie est aussi un mode de vie et un moyen de connaissance.
L'Homme approximatif, recueil poétique (1931), apparu, dès sa publication, comme un des textes majeurs de la poésie surréaliste, bien que la plupart des dix-neuf chants qui le composent aient été écrits avant son adhésion au mouvement. Frappant par son ampleur et par l'originalité d'une voix tendue et rocailleuse, retrouvant les procédés lyriques de la poésie orale traditionnelle, il saisit l'être au sein des éléments primitifs. Quête de l'humanité en même temps que de soi, le poète y découvre un vaste champ métaphorique, accordé à la nature.
Où boivent les loups, recueil poétique (1932). Quatre sections (« Pièges en herbe », « la Fonte des ans », « Où boivent les loups », « le Puisatier des regards ») prolongent la méditation de l'Homme approximatif en un lyrisme de plus courte haleine. C'est l'illustration parfaite de la « poésie-activité de l'esprit » dont Tzara dresse au même moment la théorie : expression d'une sensibilité au mouvant, sans aucune entrave rationnelle ni formelle.
L'Antitête, recueil poétique (1933), rassemblant des pièces composées, entre 1916 et 1932, en trois parties qui marquent les trois étapes d'une démarche dialectique : 1. Monsieur Aa l'antiphilosophe, regroupe les textes dada, attribués à un personnage s'opposant aux systèmes de pensée actuels ; 2. Minuits pour géants, formé essentiellement d'un collage de l'unique roman de Tzara, Faites vos jeux (1923), occupe une position charnière entre la déconstruction dadaïste et la libre inspiration surréaliste ; 3. le Désespéranto mêle le rêve et la réalité, explorant les territoires de l'imaginaire collectif. L'ensemble fait de la poésie un moyen de connaissance.