Pink Floyd
Groupe britannique de rock psychédélique fondé en 1966 par Roger « Syd » Barrett (guitare, chant), Roger Waters (basse), Rick Wright (claviers) et Nick Mason (batterie), rejoints en 1968 par David Gilmour (guitare).
Le monument du rock psychédélique anglais, la machine à faire vibrer les quinquagénaires nostalgiques de leurs « années-fumette », le plus formidable tiroir-caisse que même leur hit mondial Money ne saurait décrire.
L'histoire commence lorsque Roger « Syd » Barrett et Roger Waters, les deux pères fondateurs du premier groupe psychédélique londonien, se rencontrent à la Cambridge High School. Ils partent ensemble à Londres, où ils étudient respectivement les beaux-arts et l'architecture. À l'université, Waters fait la connaissance de Nick Mason et de Rick Wright, avec qui il fonde les Architectural Abdads, puis les Screaming Abdads. Syd Barrett se joint à eux, et baptise le nouveau quatuor Pink Floyd, d'après le nom de deux bluesmen américains, Pink Anderson et Floyd Council. À son initiative, le groupe repousse ses propres frontières musicales (rhythm and blues, en particulier) pour plonger dans un univers sonore beaucoup plus risqué. À partir de 1966, Pink Floyd est, avec Soft Machine, le groupe de l'underground londonien. Il joue notamment au Marquee, une institution pop du Soho des années 1960. Peu à peu, Barrett engage le groupe dans une voie musicale de plus en plus expérimentale. Cris d'oiseaux, bruits industriels, éclairages aveuglants : l'univers du Floyd est à mi-chemin entre cauchemar et science-fiction. Son inspiration spatiale et mystique emprunte à l'imaginaire enfantin comme au symbolisme surréaliste, et à son expérience des hallucinogènes.
Acid Barrett. En janvier 1967 paraît le premier single, Arnold Layne, écrit par Barrett et produit par Joe Boyd, directeur de la filiale anglaise des disques Elektra et futur cofondateur du club UFO. Cette histoire de travesti volant des sous-vêtements féminins sur une corde à linge n'est pas du goût des stations de radio officielles. Grâce à l'appui de stations pirates, le titre parvient tout de même à se hisser dans le Top 20 anglais. Dès le mois de mai, le groupe a assez de fans pour faire l'affiche du Queen Elizabeth Hall de Londres, dans un show ambitieux baptisé Games For May qui inaugure un système de sonorisation quadriphonique. Rebaptisée See Emily Play, la chanson-titre du spectacle sort en 45 tours et atteint, cette fois, la cinquième place. Chose étonnante pour un groupe qui va devenir superstar, c'est leur unique place dans le Top 10 britannique jusqu'en 1980. Le premier opus du groupe, The Piper At The Gates Of Dawn (août 1967), donne le coup d'envoi du psychédélisme qui est déjà en Grande-Bretagne une culture underground, gravitant autour des magazines IT (International Times) et Oz, et du club branché UFO. Cet album constitue l'unique témoignage du génie évanescent de Syd Barrett : dix des compositions émanent partiellement ou totalement de lui. Astronomy Domine et Interstellar Overdrive, grandes virées furieuses, viennent témoigner d'un space rock en totale improvisation, tandis que Lucifer Sam ou Mathilda Mother s'efforcent d'être plus classiques. Les effets de distorsion et d'amplification appliqués auparavant à la guitare s'étendent désormais à tous les instruments. Pink Floyd devient ainsi le premier groupe psychédélique anglais, stupéfiant le public par la qualité du son, l'allure inspirée de ses textes et l'extrémisme de ses expériences, notamment en matière de drogues. C'est l'époque du LSD, et les consommateurs de cette substance qui provoque des illusions optiques sont les mêmes qui ne jurent que par le Floyd et ses thèmes envoûtants. À l'instigation du tandem Waters-Barrett, le groupe, lors des concerts, porte à son comble la sophistication visuelle de ses concerts : lumières hallucinantes, diapositives, fondus enchaînés, jeux de fumée et de brouillard. Musicalement, le groupe pose les bases du style planant, qui va influencer de nombreux groupes, allemands notamment (Tangerine Dream, Klaus Schulze …). Bientôt, le comportement de Barrett devient imprévisible ; lors de certains concerts, il daigne à peine jouer et reste immobile sur scène. En février 1968, David Gilmour, que Syd Barrett et Roger Waters ont rencontré ensemble à Cambridge, rejoint le groupe, qui, pendant sept semaines, joue avec deux guitaristes. En avril, à l'âge de vingt-deux ans, Syd se retire, mentalement anéanti par les acides absorbés en quantité. On peut entendre ses dernières créations sur le second album du groupe, A Saucerful Of Secrets (1968). Roger Waters devient le pilier créatif et le deuxième leader du groupe. Il excelle dans les innovations instrumentales et électroniques, comme par exemple Set The Controls For The Heart Of The Sun. L'espace donné aux claviers permet des effets innombrables, et Wright, en plus d'être un excellent pianiste et organiste, s'affirme comme l'un des claviéristes les plus doués de sa génération, maîtrisant à la perfection les premiers synthétiseurs.
La face cachée du rock planant. Les tournées américaine et européenne de 1968 leur permettent d'améliorer leur show démesuré. Outre les lumières, les effets spéciaux sont grandioses. Pink Floyd se produit au Royal Albert Hall de Londres, dans un spectacle baptisé More Furious Madness From The Massed Gadgets Of Auximenes. Pendant les quatre années suivantes, le groupe sacrifie à son goût pour les musiques de films : More, de Barbet Schroeder (1969), lui procure une caution intellectuelle indiscutable, tout comme Zabriskie Point, de Michelangelo Antonioni (1970). Pink Floyd pratique alors une musique atmosphérique faisant se côtoyer les extrêmes : des climats apaisants (Cirrus Minor, Cymbaline) s'entrechoquent ou chutent abruptement dans un heavy rock violent (Nile Song). Obscured By Clouds, en 1972, reprend quelques-unes de leurs compositions pour le film More et leur vaut un premier succès aux États-Unis. Avec Ummagumma (1969), double album mi-studio mi-public, Pink Floyd, fasciné par les perspectives de la musique contemporaine de Sibelius et de Pierre Henry, se lance plus loin dans le rock expérimental. Sur le disque en public, considéré comme le témoignage fidèle d'un concert du groupe durant les années 1960, les improvisations et les expérimentations diverses (Careful With That Axe Eugene) sont de la même veine que celles que l'on peut entendre dans le film Pink Floyd à Pompéi d'Adrian Maben. Sur le disque studio, chacun des membres dispose d'une moitié de face pour ses propres délires. Pour Atom Heart Mother (1970), qu'ils jouent en avant-première au Festival de Bath (Grande-Bretagne), le groupe utilise un orchestre symphonique et collabore avec le sorcier de l'électronique Ron Geesin. Le disque atteint la première place des hit-parades d'albums outre-Manche. La même année, assisté de Gilmour et Waters, Syd Barrett réalise deux étranges albums solo, The Madcap Laughs et Barrett. En 1971, Pink Floyd investit le Concert Bowl de Crystal Palace pour une « garden party ». Ils y font entendre pour la première fois Return To The Son Of Nothing, une longue improvisation, presque symphonique, qui engendre finalement Echoes. En rappel, le groupe interprète une version apocalyptique de Astronomy Domine. Meddle (1971), avec One Of These Days I'm Gonna Cut You Into Little Pieces et Echoes, consacre la domination du groupe anglais sur la scène rock mondiale. Parallèlement, le film musical Pink Floyd à Pompei démontre que le quatuor maîtrise parfaitement le nouveau style instrumental, qui semble définir son travail. Le leadership conquis par le groupe aux yeux de l'intelligentsia rock mondiale se concrétise par un public sans cesse grandissant. Après une tournée au Japon, en Australie, en Extrême-Orient et aux États-Unis, Pink Floyd passe neuf mois à préparer l'album suivant. Dark Side Of The Moon (1973), enregistré par Alan Parsons aux studios Abbey Road, est un modèle d'utilisation totale des techniques de studio, qui devient immédiatement une référence de la rock music. Les compositions et les textes de Waters, qui évoquent la peur, la solitude et la cupidité, racontent la difficulté de vivre sous le joug de la pression sociale. Certains thèmes deviennent de véritables standards : la longue introduction de Time, Breathe, The Great Gig In The Sky et Money, tube mondial sur fond de tiroir-caisse. Et vingt ans après sa sortie, Dark Side Of The Moon est toujours classé dans les hit-parades d'albums.
À la pointe du son hi-fi. Planétairement adulé, Pink Floyd prend peur. Le groupe panique, met à la poubelle le successeur de Dark Side Of The Moon et, sous la pression, sort Wish You Were Here (1975), dédié à Syd Barrett. Avec ses longues plages planantes, l'album, où figure Shine On You Crazy Diamond, séduit le public, mais pas la critique, qui reproche au groupe de s'être trop confortablement installé dans un son à la pointe de la hi-fi. Pink Floyd est devenu le maître du rock planant. Les tournées de 1976, en Europe et en Amérique, précèdent la sortie d'Animals en 1977. L'album, enregistré dans le studio personnel du groupe, au nord de Londres, est, cette fois, applaudi par la presse, surtout pour les paroles de Waters qui expriment un pessimisme grandissant. C'est un concept-album cynique sur le genre humain, visé au travers d'un bestiaire tripartite : les chiens, les cochons et les moutons. Au même moment, Mason suit l'exemple de Gilmour et se lance dans la production (Robert Wyatt et les Damned). Les rumeurs de séparation se font plus persistantes. En 1979, pourtant, paraît le double album The Wall, produit avec Bob Ezrin (qui travaillera en 1990 avec Kiss) et considéré par certains comme leur œuvre la plus achevée. C'est une prise de position sans équivoque sur l'éducation des enfants et sur ses conséquences sociales, plongée vertigineuse dans la paranoïa, qui, succès aidant, gagne les membres du groupe — et Waters en particulier. En single, Another Brick In the Wall est l'occasion d'un premier № 1 en Grande-Bretagne (où le groupe n'a jamais été l'objet du culte dont il jouit dans d'autres pays, en France notamment). Le disque est censuré en Afrique du Sud à cause de ses connotations politiques. En tournée, le spectacle culmine par l'édification symbolique d'un mur, brique par brique, entre le public et les musiciens. En 1982, The Wall devient un film, réalisé par Alan Parker, avec Bob Geldof dans le rôle du schizophrène Pinky. Après une série d'albums solo, Gilmour, Mason et Waters réintègrent le groupe en 1983, sans Rick Wright, pour un album au titre ambigu, The Final Cut, particulièrement sombre et désespéré, dans la veine de The Wall. Après quoi, Waters annonce la dissolution de Pink Floyd, déjà mutilé par le départ de Wright.
Procédures. De féroces batailles juridiques vont suivre, opposant Waters aux trois autres. Le contrôle d'un empire en constitue l'enjeu : plus de 150 millions d'albums vendus à travers le monde. Pour mémoire, la tournée du groupe aux États-Unis en 1994 lui a rapporté plus de 103 millions de dollars, soit presque autant que les Rolling Stones la même année (121 millions). En 1987, le groupe renaît quand même de ses cendres, réactivé par Gilmour, troisième leader du groupe, et Mason, mais sans Waters ni Wright. Un nouvel album est enregistré, Momentary Lapse Of Reason. Rick Wright est finalement récupéré in extremis pour la tournée suivante, crédibilité oblige. Côté musique, force est de reconnaître que l'imagination du Floyd n'est plus aussi acérée, mais le public s'en moque : il achète et vient en masse aux concerts. En 1993, Division Bell déçoit un peu plus les critiques mais pas les fans. Innombrables, ceux-ci n'ont plus besoin de mélodies ni de lignes musicales affirmées pour s'y retrouver. Les effets spéciaux leur suffisent. Sur scène, contrairement à ce qui se passe pour les autres artistes, les écrans géants ne montrent jamais les musiciens, cachés dans les fumées et la pénombre. Leur présence-absence suffit là encore. C'est la magie du Floyd.