bouddhisme
Religion et philosophie se réclamant de l'enseignement du Bouddha qui, bien que fidèle pour l'essentiel à la pensée du fondateur, s'est diversifiée dans l'espace asiatique au cours des temps.
Le bouddha shakyamuni
La vie
L'historicité du bouddha Shakyamuni, le Bouddha par excellence, n'est plus contestée ; les sources essentielles de sa biographie se trouvent dans les textes émanant des premières écoles du hinayana.
Le Bouddha naît au vie s. avant J.-C. à Kapilavastu, à 240 km au nord de Bénarès ; il est le fils de Shuddhodana, un roi de la lignée des Gautama et du clan des Shakya – d'où le nom de Shakyamuni, le moine des Shakya, souvent donné au Bouddha –, et de la reine Maya, morte sept jours après sa naissance.
Très vite, il a la révélation de la souffrance, quitte son foyer et mène une vie d'ascète errant ; il devient dès lors un bouddha, c'est-à-dire un « illuminé », l'homme qui renonce au monde pour chercher la voie de la délivrance et pour se libérer de l'emprise de la douleur.
Il s'entraîne d'abord aux pratiques enseignées par les brahmanes : mais leurs austérités effrayantes ne provoquent pas la lumière à laquelle il aspire. C'est, semble-t-il, à Gaya (Bodh-Gaya) que, au cours d'une longue période de recueillement, il achève son itinéraire spirituel : c'est le « suprême et complet éveil », l'« illumination » (abhisambodhi).
Son premier sermon, le Bouddha le prononce probablement dans la banlieue nord de Bénarès : c'est là qu'avec cinq moines il fonde la première communauté bouddhiste. Puis, pendant une quarantaine d'années, il parcourt l'Inde du Nord-Est, en prêchant sa doctrine et en faisant d'innombrables disciples. Il s'éteint à quatre-vingts ans, à Kushinagara (à 175 km de Patna) ; il entre alors dans le mahaparinirvana (la « grande totale extinction »).
Les documents sont d'accord sur les qualités exceptionnelles du Bouddha : noblesse de caractère, maîtrise de soi, fermeté tempérée par une immense bonté.
La doctrine
Le Bouddha ne prêche pas une religion – lui-même rejette tous les systèmes et tous les dogmes –, mais une morale, une éthique, une « philosophie vécue », également éloignée des plaisirs et des mortifications.
Quatre « nobles vérités » constituent l'essentiel de cette « voie ».
La première est que tout est douleur : la douleur tient à l'état même des choses ; elle imprègne et détermine la vie de tous les êtres, dont les éléments, de durée limitée, sont vides de tout principe personnel et éternel. La notion universelle de vacuité, qui constitue le fond de la pensée bouddhique, est incompatible avec la notion d'une âme individuelle, essence de la personnalité, et avec la croyance en un principe absolu et éternel. La mort entraîne nécessairement une nouvelle naissance, donne le branle à un nouveau cycle.
La deuxième vérité a trait à l'origine de la douleur, qui est la « soif », désir de jouissance, d'existence ou d'anéantissement, désir qui est inséparable de l'ignorance, et plus précisément de l'ignorance de la réalité telle que le Bouddha la dévoile. Cette soif et cette ignorance engendrent les « trois racines du mal » : la convoitise, la haine et l'erreur, qui, elles-mêmes, donnent naissance aux vices, aux passions, aux opinions erronées.
La troisième vérité est la suppression du désir, la cessation de la douleur, proche du nirvana (« état d'absence ») et de la délivrance absolue. Chacun atteint ce but différemment selon ses propres aptitudes. Le moine bouddhique, qui a parfaitement dominé la convoitise, la violence et l'erreur, l'atteint dès ici-bas ; aussi ne reviendra-t-il qu'une fois en ce monde, à moins que sa perfection ne lui octroie d'apparaître dans un monde supérieur. Le saint entre de son vivant dans le « nirvana de sainteté avec conditionnement restant » ; en mourant, il atteint le « nirvana sans conditionnement ». Quant au laïque converti au bouddhisme, il s'assure un nombre limité de re-naissances ici-bas en vénérant les « trois joyaux » (triratna) : le Bouddha, sa loi, sa communauté.
La quatrième vérité est la voie (marga) qui mène à la cessation de la douleur. Cette voie de la délivrance s'appelle aussi la « sainte voie aux huit membres », qui sont les huit aspects de la perfection de l'opinion, de l'intention, de la parole, de l'activité corporelle, des moyens d'existence, de l'effort, de l'attention et de la concentration mentale.
Une discipline morale, alliée à des exercices psycho-physiologiques favorables à la concentration spirituelle, est l'aide indispensable sur la voie de la sainteté, l'ultime étape étant l'« éveil » (bodhi).
Évidemment, cette discipline ne peut être pratiquée que par des hommes ayant quitté leur foyer. Tout en rejetant les mortifications inutiles, le Bouddha exige des moines une existence austère dans son déroulement journalier, dans la tenue, les ressources (mendicité), le rythme (prédication, itinérance). Cette existence a été précisée dans ses moindres détails par le Bienheureux, qui a, en outre, codifié les châtiments selon la responsabilité de chacun.
Le bouddhisme indien
L'évolution
Aucune transmission écrite ne se fait du vivant du Bouddha ; la première communauté bouddhique (sangha) ne possède ni canon ni règle stricte. Après le parinirvana (478 ? avant J.-C.), la nécessité d'unifier l'exposé des doctrines du Bouddha se fait sentir.
C'est pourquoi s'organisent alors différents conciles ; le plus important, qui se tient à Rajagriha (477 ? avant J.-C.), sous la direction du moine Kashyapa, rassemble les données tirées des discours du Bienheureux pour former le premier noyau des Écritures canoniques en pali. Il s'agit d'un triple exposé doctrinal sur la discipline monastique (vinaya), les paroles du Bouddha (sutra) et la métaphysique (abhidharma).
Des sectes se créent par la suite, dont plusieurs conciles (Vaishali au ive s. avant J.-C., Pataliputra au iiie s. avant J.-C.) ne peuvent endiguer la multiplication.
Les sectes bouddhiques se diversifient progressivement jusqu'à ce qu'un schisme intervienne au début de l'ère chrétienne. Alors, au bouddhisme traditionaliste, appelé le hinayana, s'oppose un bouddhisme réformiste, appelé le mahayana, qui prétend rester fidèle à l'enseignement du Bouddha. Quant au tantrisme bouddhique, il émerge tardivement vers le vie s. de notre ère.
Le hinayana
Le hinayana est, aux dires de ses adversaires, le « moyen inférieur de progression » (le « Petit Véhicule »). Les écoles anciennes qui s'y réfèrent appartiennent à deux branches sorties, au ive s. avant J.-C., du tronc primitif du bouddhisme : la branche sthavira et la branche mahasanghika. À la branche sthavira appartiennent trois rameaux majeurs : les theravada (« opinion des Anciens »), fidèles à la tradition palie, qui formeront l'Église de Ceylan et s'implanteront durablement dans l'Asie du Sud-Est ; les sarvastivadin, qui donnent la prééminence à l'abhidharma et sont illustrés surtout par Vasubandhu, lequel vécut au Cachemire au ive s. ou au ve s. après J.-C. ; les vatsiputriya, qui essaient de concilier la conception de l'atman avec celle de l'impermanence de la personnalité.
Quant aux mahasanghika, apparus au ive s. avant J.-C., ils affirment que les bouddhas possèdent une substance réelle. En cela ils annoncent le mahayana.
Le mahayana
Ce mouvement se veut réformiste et évolué : c'est le « grand moyen de progression » (le « Grand Véhicule »). À la « méthode pratique » pour l'arrêt de la douleur, proposée par le bouddhisme ancien, il veut substituer une « religion » de salut qui fait une large place au sentiment, à la spéculation et aussi à la dévotion. Autour de la théorie des « trois corps » du Bouddha (corps corruptible, corps d'esprit et corps de la loi), la bouddhologie devient métaphysique et philosophique.
Le mahayana, considérant qu'un grand nombre d'êtres peut aspirer au salut, peuple l'univers d'une multitude de bouddhas simultanés et surtout de bodhisattvas (êtres qui ont franchi plusieurs degrés dans la perfection et qui sont destinés à devenir bouddhas). Il conçoit la sainteté non comme un idéal individuel de perfection, mais comme une carrière visant à entraîner les autres créatures vers le salut.
Le mahayana, qui s'est surtout développé dans le nord de l'Inde (d'où il gagnera le Tibet, la Chine et le Japon), a donné un immense essor à la philosophie et à la dialectique indiennes ainsi qu'à toute une mythologie proche de celle du panthéon brahmanique.
Cette mythologie, repoussant à l'arrière-plan le Bouddha historique, se concentre sur les bodhisattvas Maitreya, Manjushri, Avalokiteshvara, etc., voire des divinités féminines auxiliatrices, les Tara.
Les écoles mahayaniques sont mieux connues que les écoles anciennes en raison de leur effort de propagande : l'école des madhyamika, fondée par Nagarjuna (fin du ier s. ou début du iie s. après J.-C.) et celle des vijnanavadin ou des yogacarin (« qui pratiquent le yoga »), fondée par Asanga, sont parmi les plus célèbres.
Le tantrisme
Le tantrisme est moins une doctrine qu'un mode de doctrine, superposant des éléments bouddhiques et brahmaniques. Tout en enseignant la dévotion à cinq bouddhas « vainqueurs » et aux bodhisattvas, il donne une grande importance à la mystique de « l'énergie » féminine (Tara bouddhique, Shakti shivaïte).
Le tantrisme, qui prend forme au vie s. de notre ère avec un ensemble de texte, les tantra, se distingue du bouddhisme traditionnel par ses méthodes propres dans la réalisation des rapports entre l'homme et l'univers. Ces méthodes ressortissent au yoga (« le fait de lier, d'atteler »), qui amène au contrôle des organes et du psychisme. Le tantrisme est mêlé aussi de magie et de cosmogonie ; son rituel, souvent fantastique, est fondé sur des rites ésotériques, la méditation et l'iconolâtrie.
Le tantrisme, qui influence le développement du bouddhisme en Asie du Sud-Est, se développe surtout au Bengale, d'où les invasions musulmanes le chassent au xiiie s., puis au Népal et au Tibet.
L'expansion du bouddhisme
Le bouddhisme indien reçoit une impulsion nouvelle du fait de la conversion de l'empereur Ashoka (vers 250 avant J.-C.). Dès lors, son expansion est favorisée par des missions tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Empire. C'est du règne d'Ashoka que date l'introduction du bouddhisme à Ceylan. Kanishka, monté sur le trône vers 145 après J.-C., pratique la même politique qu'Ashoka : sous son règne, un concile bouddhique se serait tenu au Cachemire.
Au début de notre ère, le bouddhisme est introduit en Chine par la route du Turkestan oriental. Déjà il a atteint la frange orientale du monde hellénistique et s'est étendu en Asie centrale.
L'apogée du bouddhisme indien se situe durant le règne de la dynastie Gupta (ive-ve s. après J.-C.). Jusqu'à la fin du règne d'Harsha de Kanauj (?-647), les sectes du mahayana s'épanouissent en même temps que l'hindouisme classique. Des lieux saints comme Nalanda et Gaya sont des centres très fréquentés de pèlerinage et de pensée.
Le bouddhisme s'installe au Viêt Nam, dans la presqu'île indochinoise et la presqu'île malaise à partir du iiie s. avant J.-C., en Corée en 372, en Insulinde au ve s., au Japon au vie s., au Tibet au viie s.
Parallèlement à sa diffusion en Asie, il subit dans sa patrie d'origine, l'Inde, un déclin irrémédiable, qui est dû notamment au foisonnement des sectes face à un hindouisme vigoureux, aux bouleversements consécutifs à la disparition des Gupta et surtout à l'avance de l'islam.
Le bouddhisme japonais
Introduction
Le bouddhisme japonais appartient pour l'essentiel aux philosophies religieuses des sectes du mahayana, lequel est parfois appelé « bouddhisme du Nord ». Cependant, le bouddhisme japonais diffère assez fortement des formes de bouddhisme élaborées sur le continent asiatique, tant dans ses conceptions de la philosophie que dans la représentation qu'il donne des divinités et des « forces » vénérées par ses nombreuses sectes et « écoles ». Ces dernières, après l'effort de syncrétisation fourni à partir du début du ixe s., attribuent aux images traditionnelles venues de l'Inde, par le truchement de l'Asie centrale, de la Chine et de la Corée, des valeurs quelque peu différentes de celles qu'elles avaient à l'origine. Les religieux des diverses sectes importées de Chine ou qui se créent par la suite au Japon ainsi que leurs fidèles conçoivent la divinité et son cortège divin de manières fort diverses. Une fois de plus confronté à un autre peuple et à un autre folklore, le bouddhisme prend au Japon des formes tout à fait particulières.
La plupart des formes, souvent théoriques, des diverses divinités du bouddhisme japonais se trouvent représentées sur des mandala (en japonais mandara), ou « diagrammes cosmologiques », ainsi que les formes divines peu courantes et, pour la plupart, non représentées au Japon, qui sont décrites dans toutes sortes de textes bouddhiques (sutra en sanskrit et kyo en japonais) indiens, tibétains, chinois ou japonais. Les représentations du bouddhisme japonais relèvent en grande partie (surtout à partir du ixe s.) de la tradition du bouddhisme ésotérique. Nombre d'entre elles se trouvent rassemblées dans les deux grands mandala de la secte shingon (Ryoka mandara ou « mandala des Deux-Mondes ») : le Kongokai mandara (Vajradhatu mandala, du « Monde de l'esprit ») et le Daihitaizosho mandara (ou Taizo-kai mandara), correspondant au Mahakarunagarbha mandala (Garbhadhatu mandala, du « Monde des manifestations »). Les divinités n'appartenant pas à ces deux mandala majeurs participent soit de la tradition du bouddhisme ancien (nous entendons par là celui des écoles introduites au Japon antérieurement au ixe s.), dans lequel on trouve déjà certains éléments ésotériques – on parle à ce sujet de komikkyo, ou « ésotérisme ancien » –, soit à des formes du bouddhisme ésotérique (amidisme, zen, etc.), soit encore du bouddhisme populaire, très souvent syncrétique et mêlé de shinto.
L'introduction du bouddhisme au Japon
Vers 538 de notre ère (certains préféreraient la date de 552), le roi de Kudara (du royaume de Paikche en Corée) envoya au souverain du Yamato (alors établi à Asuka, dans la préfecture actuelle de Nara) une lettre dans laquelle il exposait l'excellence des principes du bouddhisme et demandait de l'aide contre son trop entreprenant voisin, le royaume de Silla. Avec cette lettre, que présentait une délégation de lettrés et de religieux bouddhistes, se trouvaient plusieurs rouleaux des Saintes Écritures (rédigées en chinois), une image en bronze du Bouddha, peut-être d'autres en bois, des bannières et divers objets de culte… Ainsi, le bouddhisme pénétra-t-il, officiellement du moins, dans les îles japonaises. En fait, il est probable que des bribes de cette doctrine philosophique y avaient fait leur apparition bien avant cette date, apportées par des réfugiés coréens et des Japonais revenus du protectorat sur l'État de Mimana en Corée. Mais, manquant de soutien officiel, cette nouvelle religion n'avait pu se propager et ne comptait probablement que fort peu de fidèles en 538.
Certains clans locaux se convertirent à la foi nouvelle, y voyant un facteur de progrès capable de les aider à supplanter leurs rivaux, et commencèrent à utiliser le savoir et le talent des religieux, des artistes et des artisans revenus nombreux de Corée après que le Mimana eut échappé définitivement (en 562) aux souverains du Yamato.
Mais d'autres s'opposèrent farouchement à l'adoption du bouddhisme en tant que religion d'État, et deux partis se formèrent bientôt, plongeant le pays, déjà déchiré par les luttes d'influence opposant les clans entre eux, dans une confusion encore plus grande. Les uns, dirigés par le clan des Nakatomi, auquel appartenaient les prêtres shinto qui officiaient à la Cour, étaient de farouches partisans de la religion indigène, le shinto, tandis que les autres, à la tête desquels se trouvait le clan des Soga dirigé par le Premier ministre Iname, se montraient partisans des réformes « à la chinoise » et de l'adoption du bouddhisme. D'âpres luttes s'ensuivirent, qui se terminèrent en 587 par la destruction des clans tenant du shinto. La Cour se convertit alors au bouddhisme, ainsi qu'un certain nombre de familles nobles.
Un fils de l'empereur Yomei, le prince Umayado, devenu régent, devait devenir célèbre sous le nom de Shotoku Taishi. Fervent bouddhiste, Shotoku établit fermement sa religion à la Cour. Les autres clans se rallièrent alors de plus en plus nombreux et commencèrent d'embrasser la nouvelle religion – tout au moins de façon formelle. Les relations avec la Chine et la Corée de Silla furent renouées, et de nombreux missionnaires coréens traversèrent les détroits. Le prince Shotoku recommanda alors le bouddhisme dans sa « Constitution en dix-sept articles » (Jushichijo-no-Kempo), la première du Japon (probablement rédigée après sa mort en 622), en ces termes : « Vénérez de tout cœur les trois trésors que sont le Bouddha, le dharma (la loi bouddhique) et le sangha (la communauté des moines), car dans ceux-ci se trouvent la vie idéale et la sagesse de la nation. »
Le peuple japonais, encore quelque peu méfiant à l'égard du bouddhisme, au fur et à mesure des réformes apportées par l'esprit de cette nouvelle religion, commença d'y porter de l'intérêt. À partir de 607, Shotoku envoya en Chine plusieurs missions qui devaient rapporter les connaissances astronomiques, architecturales et administratives de l'époque des Sui (Souei [581-618]), ainsi que des œuvres littéraires et religieuses.
C'est ainsi qu'arrivèrent au Japon un grand nombre de textes bouddhiques ainsi, d'ailleurs, que nombre de pratiques taoïstes et de maximes confucéennes. Le prince-régent lui-même se voua à la propagation du bouddhisme et écrivit des commentaires fort savants sur trois sutra importants (Saddharmapundarika sutra, Hokke-kyo, Sutra du lotus de la Bonne Loi ; Vimalakirti sutra, Yuimakyo, Discussions de Vimalakirti sur la Doctrine ; Shrimala sutra, Shomangyo), lesquels illustraient la doctrine du salut et pouvaient ainsi fournir à son peuple les fondements d'une éthique. Enfin, il fit ériger plusieurs temples par des architectes venus de Corée, temples dont certains demeurent encore, comme ceux du Horyu-ji, près de Nara, et du Shitenno-ji, à Osaka, qui sont les témoins les plus admirables du génie de son gouvernement. Il multiplia également les fondations pieuses. À sa mort, en 622, si l'on ajoute foi aux dires du Nihongi (chronique historique rédigée en 720), il y avait au Japon 46 temples, 816 religieux et 569 religieuses… La promulgation, en 645, du code de l'ère Taika, code administratif calqué sur le modèle chinois, faisait une large part au bouddhisme. Par sa ferveur, l'empereur Tenchi (661-671) contribua encore à sa propagation dans les provinces. À cette époque, on ne pouvait encore parler de sectes au Japon. Le bouddhisme consistait alors, pour une bonne part, en adoration ou vénération de reliques (shari) et n'était pas tenu, en ce qui concerne ses applications pratiques, pour très différent du shinto : « Il était surtout apprécié pour ses pouvoirs magiques et de protection, particulièrement dans la prévention et la guérison des maladies » (E. W. Saunders). À la Cour, des sutra étaient lus afin de faire tomber la pluie, et les pratiques bouddhiques étaient souvent mêlées à des pratiques appartenant à des croyances populaires et au shinto.
Cependant, on continuait d'élever des temples pour abriter les saintes images de Shaka (le bouddha Shakyamuni), de Miroku (Maitreya, le bouddha du futur), de Kannon Bosatsu (Avalokiteshvara, le bodhisattva de miséricorde), de Yakushi Nyorai (Bhaisajyaguru, le bouddha-médecin des âmes et du corps), d'Amida Nyorai (Amitabha, le bouddha de l'au-delà), etc., et les moines commençaient à approfondir les diverses doctrines bouddhiques en étudiant les manuscrits religieux rapportés de Chine et de Corée.
Le bouddhisme « national », comme on appelait alors la doctrine prônée par le clan des Soga et par Shotoku Taishi, allait bientôt devenir, à l'imitation du bouddhisme de Chine, celui des sectes. Le changement de capitale, transférée d'Asuka et de ses environs à Nara en 710, allait, par le développement des temples et des monastères de la nouvelle ville impériale, favoriser la floraison de ces sectes. Le prince Shotoku avait étudié les doctrines du sanron (madhyamika) et du jojitsuron (satyasiddhishastra) sous la direction des maîtres coréens Eji, Eso et Kanroku. En 653, le religieux Dosho, appartenant au temple du Gango-ji, se rendit en Chine, où il fut l'élève du célèbre pèlerin chinois Xuanzang (Hiuan-tsang), appelé Genjo en japonais, et, à son retour, transmit la doctrine du hosso (madhyayana) au moine Gyogi (670-749). En 658, les Japonais Chitsu et Chitatsu allèrent à leur tour en Chine, où ils furent aussi les disciples de Xuanzang, et rapportèrent une traduction chinoise de l'Abhidharmakoshashastra. Mais aucune secte ne s'établit véritablement au Japon avant que la capitale ne fût définitivement installée à Nara.
Le bouddhisme des sectes de Nara (710-794)
Introduction
Toujours plus de religieux japonais se rendaient en Corée et en Chine, malgré les périls du voyage, et ils en revenaient chargés de textes nouveaux et d'objets de piété. Avec les temples régionaux (kokubun-ji) édifiés par ordre impérial à partir de 741, le bouddhisme se répandit dans tout le pays. En 749, à la suite d'une épidémie de variole qui avait ravagé la contrée et contre laquelle les prières aux kami shinto avaient été inopérantes, une colossale statue en bronze du bouddha Vairocana (Daibutsu, Dainichi Nyorai) fut fondue et installée dans le temple du Todai-ji à Nara, afin qu'il puisse la faire cesser, le bouddha étant alors considéré comme le protecteur de l'État.
Les cultes shinto n'étaient pas pour autant relégués au second plan : à la Cour, les cérémonies impériales étaient toujours faites par les prêtres, et une sorte de syncrétisme shinto-bouddhique commençait de naître. Une tradition (qui paraît tardive) rapporte que Gyogi avait été lui-même demander au grand kami shinto du soleil, Amaterasu Omikami, en son sanctuaire d'Ise, la permission d'élever le grand bouddha du Todai-ji… Dès le début du viiie s., cependant, des tendances diverses étaient apparues au sein du bouddhisme « national », et bientôt naquirent à Nara six sectes dont chacune fondait sa doctrine sur un ou plusieurs textes religieux.
Kusha-shu
La doctrine de cette secte appartenait encore au bouddhisme des écoles anciennes connu sous le nom de « Petit Véhicule » (hinayana). Fondée sur le texte de l'Abhidharmakoshashastra (Kusharon), composé par le moine indien Vasubandhu (Seshin en japonais) au ive s. ou ve s., elle enseigne un matérialisme admettant à la fois la matière et l'esprit, lesquels constituent selon elle une personnalité illusoire formée de cinq agrégats (skanda) : la forme (rupa), composant la matière, la sensation (vedana), la perception (samjna), le concept (samskara) et la connaissance, composant l'esprit. Selon cette doctrine, l'être consistant en ces cinq agrégats, il ne peut exister de « moi » en dehors de ceux-ci : il s'ensuit que seuls ces agrégats existent et sont réels, ainsi que les dharma, ou « conditions de l'être » …
Jojitsu-shu
Cette secte suit une école plus radicale que la précédente dans sa critique, qui refuse d'admettre l'existence des agrégats et les dharma. Sa doctrine est fondée sur le Satyasiddhishastra (Jojitsuron, « Livre de la perfection de la Vérité »), écrit vers le début du iiie s. par le moine indien Harivarman (Karibatsuma en japonais).
Ces deux écoles ne furent pas considérées au Japon comme des sectes véritablement indépendantes, celle du kusha étant identifiée à une branche de la secte hosso et celle du jojitsu étant une branche de la secte sanron.
Hosso-shu
École intermédiaire entre celles du hinayana et du mahayana, la secte hosso (madhyayana ou du « Moyen Véhicule ») enseigne que rien n'existe en dehors de la pensée, qui, seule, est réelle. Elle est fondée sur la philosophie de l'école indienne des yogacarin, créée au ve s. par Asanga (Muchaku), et sur le texte, écrit par ce dernier, du Yogacaryabhumishastra (Yugashijiron, « Traité sur le yoga »), traduit en chinois par Xuanzang, dont l'élève Dosho (628-700) transmit les enseignements au moine Gyogi.
Sarron-shu
Adepte de l'école du madhyamika (de la Voie du Milieu), fondée par le moine indien Nagarjuna (Ryuju) au iie s., la secte sanron fonde son enseignement sur quatre textes principaux : le Madhyamikashastra (Churon) de Nagarjuna, traduit en chinois en 409 par Kumarajiva ; le Dvadashadvarashastra (Junimonron, « Traité des onze portes »), traduit aussi par Kumarajiva ; le Satashastra (Hyakuron, « Traité des cent vers »), écrit par Aryadeva, élève de Nagarjuna ; le Prajnaparamitashastra (Daichidoron, « Traité de la grande sapience ») de Nagarjuna. La doctrine de cette école, dite encore « des enseignements de toute la vie du Bouddha » (ichidaikyo-shu), fut, en 625, importée au Japon, au temple du Gango-ji, par le moine coréen Ekan. Selon cette doctrine, « la vérité absolue n'est ni l'être ni le néant ; elle est indépendante de ce couple, c'est-à-dire qu'elle est insaisissable » (R. Fujishima).
Ritsu-shu
Cette secte, qui relève à la fois du Petit et du Grand Véhicule, entre lesquels elle semble jeter un pont, met principalement l'accent sur la nécessité de la discipline (vinaya, ritsu), qui, seule, selon elle, peut permettre au fidèle d'atteindre l'état de bouddha. Elle se développa surtout en Chine, se réclamant de la Dharmaguptavinaya (Shibunritsu, « Règle en quatre parties »), composée par Daoxuan (Tao-hiuan [596-667]), appelé Dosen ou encore Nanzan Rishi en japonais. Le moine Ganjin, venu de Chine en 754, introduisit au Japon le rite de l'ordination monastique de cette secte au monastère du Todai-ji, à Nara, à celui du Kanzeon-ji, à Tsukushi, et à celui du Yakushi-ji, dans la préfecture de Tochigi.
Kegon-shu
La « doctrine de l'argumentation fleurie » (kegon-shu) traite surtout de l'état non conditionné des choses, toute chose provenant, selon elle, de la nature absolue de la bhutatathata, « Nature absolue » ou encore « Nature du Bouddha ». Elle fut fondée en Chine par Fazhun (Fa-tchouen [557-640]) sur le texte de l'Avatamsaka sutra (Kegon-kyo). La secte kegon japonaise, quant à elle, se fonde sur une traduction du Dashabhumivibhashashastra (Jujibibasharon, « Shastra de l'explication en dix parties »). Elle fut introduite au Japon en 736 par le moine Dosen (703-762), un maître chinois de l'école de Discipline (vinaya), bien qu'une tradition assure que ce fut par Bodhisena, un brahmane indien.
Les doctrines philosophiques de ces six sectes ou écoles, très ardues, ne furent vraisemblablement comprises, en dehors du milieu des moines, que par quelques personnes appartenant à l'aristocratie japonaise ; le peuple, il va de soi, se sentait étranger à leurs spéculations. Certaines notions, cependant, indépendantes des doctrines purement philosophiques, s'imposèrent à lui, comme celle de la rétribution des actes par la loi nécessaire de cause (in) à effet (ka), « la cause et l'effet n'étant pas séparables », ainsi que celle de la croyance en la puissance salvatrice des divinités, principalement de celle des grands bouddhas (Tathagata, Nyorai en japonais) et des grands saints qui ont renoncé à l'état de bouddha pour aider l'humanité, les bodhisattvas (bosatsu).
Le bouddhisme de l'époque de Heian (794-1185)
Introduction
Lors de l'établissement de la nouvelle capitale de Heian-kyo (Kyoto) en 794, l'empereur Kammu, désirant peut-être s'affranchir de la pression qu'exerçaient sur la politique les moines de Nara, prit des mesures énergiques afin de limiter la prolifération des temples et des religieux. Afin de rénover le bouddhisme japonais et de le divulguer plus largement parmi les laïcs (le bouddhisme de Nara était surtout un bouddhisme de moines), il envoya en Chine des religieux dissidents pour y rechercher de nouvelles doctrines. En 805, Saicho (de son nom posthume Dengyo Daishi [767-822]) revenait du mont Tiantai en Chine, et fondait au Japon, sur le mont Hiei (où il avait, avant son départ, érigé un ermitage dont le dessein était de protéger la nouvelle capitale des mauvaises influences du Nord-Est), avec le patronage de la Cour, un monastère où il enseigna les doctrines de la secte du tendai (du nom japonisé de la montagne chinoise où il avait étudié). Un autre moine, Kukai (de son nom posthume Kobo Daishi [774-835]), revenu un an après, rapportait, lui aussi, les éléments doctrinaux d'une autre secte chinoise, celle du shenyan (shingon en japonais).
Dix ans plus tard, il fondait sur le mont Koga, au sud de Nara, une secte du bouddhisme ésotérique (mikkyo) dite « du mantra », ou « de la Vraie Parole » (shingon). Le bouddhisme des écoles de Nara, sans être abandonné, fut, cependant, obligé de céder progressivement la place aux deux nouvelles sectes qui, en marge de leur enseignement, prônaient le syncrétisme partiel du bouddhisme avec le rituel et les croyances du shinto. La divinité solaire shinto, le kami Amaterasu Omikami, ancêtre de la famille impériale du Japon, fut alors identifiée avec le grand bouddha solaire de Lumière et de Vérité Mahavairocana (Dainichi Nyorai), et les autres divinités du shinto furent considérées comme étant des « incarnations temporaires » ou « descentes » (gongen) des divinités bouddhiques. Le peuple était ainsi mis plus à même de se familiariser avec le bouddhisme. Alors que le syncrétisme shinto-bouddhique du shingon prit le nom de « ryobushinto », ou « shinto des deux parties de l'univers », celui de la secte tendai fut nommé « ichijitsu-shinto » ou « shinto de l'Unique Vérité ».
Cependant, les doctrines des deux sectes étaient encore trop hermétiques pour la plupart des gens du commun. Il s'ensuivit une réaction tendant à faire du bouddhisme une religion plus simple encore et praticable par tous, fondée sur l'adoration seule et qui était susceptible d'offrir une possibilité de salut même aux plus déshérités des hommes : ce fut l'amidisme, du nom du bouddha Amida (Amitabha). Cette nouvelle religion, issue du bouddhisme traditionnel, fut tout d'abord préconisée par un moine de la secte du tendai, Genshin ou Eshin (942-1017), puis prêchée par d'autres, comme Kuya Shonin. Le bouddhisme de la période de Heian se partagea dès lors entre ces trois tendances, les deux premières mettant l'accent sur l'ascèse, la méditation et le mysticisme ésotérique, la dernière ouvrant à tous l'accès facile au paradis d'Amida. La croyance au mappo, ou « période finale de la Bonne Loi », qui, selon les interprétations des données de certains sutra, devait marquer la troisième période d'un cycle bouddhique débutant en 1052 et qui prédisait pour cette date désordres et calamités en grand nombre, fit que beaucoup de dévots se vouèrent à l'adoration d'Amida, seul réputé capable de les sauver dès cette vie-ci et de leur apporter en son Paradis de la Terre pure (jodo) la paix et la félicité éternelles.
Tendai-shu
Tirant son nom de la montagne Tian tai, en Chine, où elle avait pris naissance, la secte japonaise du tendai fut établie au monastère de l'Enryaku-ji, sur le mont Hiei (Hieizan), par le moine Saicho, élève de Dao Sui (Tao Souei), et par un de ses condisciples, le moine Gishin (de son nom posthume Shuzen Daishi). En 838, le moine Ennin (de son nom posthume Jikaku Daishi [794-864]) partit à son tour en Chine afin d'en rapporter des textes et de nouveaux enseignements ; il fut suivi en 851 par Enchin (Chisho Daishi [814-891]). Deux lignes de transmission de la doctrine du tendai furent alors suivies au Japon : celle de Saicho au mont Hiei et celle d'Enchin au Mi-i-dera. De nombreuses sous-sectes en émanèrent à leur tour. La doctrine du tendai est essentiellement fondée sur trois textes : le Saddharmapundarika-sutra (Hokke-kyo, « Sutra du lotus de la Bonne Loi »), le Nirvana sutra (Nehangyo, « Sutra du nirvana ») et le Mahaprajnaparamita shastra (Daichidoron, « Traité de la grande vertu de sapience »). La secte du tendai est aussi parfois appelée du nom de « hokke-shu » (secte du Lotus) en raison de la vénération qu'elle porte à son sutra principal et aux commentaires de celui-ci, sur lesquels elle fonde sa doctrine.
L'essentiel de cette dernière repose sur la conception des « cinq périodes », des « huit doctrines » et des « trois corps » du Bouddha. Les « cinq périodes » (qui sont admises par toutes les doctrines bouddhiques) correspondent, selon le tendai, aux cinq phases successives de l'enseignement du Bouddha, des doctrines du Petit Véhicule, de celles du Grand Véhicule, de la « perfection de la sapience » et des prêches de la vérité définitive. Les « huit doctrines » correspondent aux enseignements exotériques, à ceux du « Petit Véhicule », du « Grand Véhicule » et du hokke-kyo. Les « trois corps » sont les trois aspects que prend le Bouddha : en tant que « corps d'essence » (dharmakaya, hosshin), qui représente le Bouddha existant comme Idéal ou Principe, c'est-à-dire sans existence personnelle ou historique ; en tant que « corps de fruition » (sambhogakaya, hoshin, juyushin), qui représente le corps obtenu par le Bouddha comme effet des actions passées et comme il se manifeste aux bodhisattvas ; et en tant que « corps de métamorphose » ou de « correspondance » (nirmanakaya, oshin, ojin, keshin), qui représente l'aspect que le Bouddha peut assumer pour sauver tous les êtres. Tous les bouddhas, il va de soi, possèdent simultanément ces trois « corps ». Cependant, le grand bouddha solaire Vairocana (Dainichi Nyorai) est vénéré sous l'aspect d'un « corps d'essence », tandis que le bouddha historique Shakyamuni l'est sous celui d'un « corps de métamorphose » …
L'absolu, selon les doctrines du tendai, ne peut être atteint que par une longue instruction dans la loi et à la suite d'une pratique ardue de la méditation. Cependant, des tendances à l'ésotérisme commencèrent très tôt à se développer dans les doctrines de la secte du tendai, peut-être sous l'influence du shingon, surtout après le retour du moine Ennin, tendances qui, une fois acceptées, furent considérées comme des aspects différents d'un même enseignement : tout ce qui existe possède la « nature de bouddha », et l'Absolu comme le Relatif, la Matière comme l'Esprit procèdent de la même Essence.
Shingon-shu
Ainsi que nous l'avons déjà vu, la doctrine du shingon fut rapportée de Chine en 806 par le moine Kukai (774-835), après qu'il en eut reçu l'enseignement du maître chinois d'ésotérisme Huige, (Keika en japonais). En Chine, celui-ci aurait reçu d'Amoghavajra, un sage indien, la « clé » de l'enseignement du shingon. Cette doctrine est essentiellement fondée sur l'interprétation du « mandala des Deux-Mondes » (Ryo-kai mandara), que Kukai a exposée dans ses essais critiques. D'après les doctrines du shingon, le fidèle peut obtenir dès cette vie-ci l'état de bouddha, à la condition qu'il se livre aux pratiques dites « du triple mystère » (sanmitsu). Les écrits de Kukai, qui constituent l'un des fondements de ces doctrines au Japon, s'appuient sur de nombreux sutra, mais ils sont principalement axés sur l'étude et l'explication du « mandala des Deux-Mondes », qui consiste en deux mandala complémentaires : le Taizokai mandara, qui représente les aspects manifestés de Dainichi Nyorai et le monde phénoménal, impermanent, matériel ; et le Kongo-kai, qui représente l'Esprit, l'aspect principe idéal, indestructible (Kongo signifie « diamant »), stable, permanent, de la Divinité.
Par ces deux mandala, les doctrines du shingon proposent une sorte de panthéisme dans lequel tout l'univers est une manifestation, une émanation du grand bouddha solaire central Mahavairocana (Dainichi Nyorai). Elles donnèrent naissance au Japon à une éclosion de formes d'art nouvelles, dans lesquelles les représentations des divinités sont extrêmement diversifiées et où les gestes symboliques (mudra, in-zo) ainsi que les postures sont significatives de la nature et des fonctions de chaque divinité. Ce panthéisme tantrique devait, lui aussi, admettre en son sein les nombreuses divinités, ou kami, du shinto et favoriser le syncrétisme shinto-bouddhique sous une forme particulière au shingon, le ryobu-shinto, ou « shinto des deux parties de l'univers ».
Jodo-shu
La secte du jodo tire son nom de celui de la « Terre pure » de l'Ouest ou du « Monde » (Paradis) occidental, qui est censé être la demeure du bouddha Amida (Amitabha), le Gokuraku Jodo. Cette secte aurait été rapportée de Chine en 847 par le moine Eun (798-869) et se serait développée surtout au début de l'époque des régents Fujiwara, c'est-à-dire aux xe s. et xie s., avec les écrits de Genshin ou Eshin (942-1017) [l'Ojoyoshu, ou « Questions et réponses sur la mort », en 984], de Ryonin (1071-1132) et surtout de Honen (appelé aussi Genku [1133-1212]). Bien que cette secte n'ait pas été tout d'abord reconnue comme indépendante de celle du tendai, elle tendit à populariser le bouddhisme au Japon en simplifiant à l'extrême les doctrines de salut de celui-ci. La seule adoration du bouddha Amida et la répétition constante (japa, litanies) de son nom sous forme d'invocation (« Namu Amida Butsu », parfois abrégée en « Nammanda Butsu »), appelée « nembutsu », doivent suffire pour assurer à l'être humain, après sa mort, l'entrée dans le « Paradis de l'Ouest » (Sukhavati, Gokuraku Jodo), où il pourra se perfectionner pour atteindre finalement l'état de bouddha. C'est une doctrine purement piétiste, selon la définition de Nagarjuna : « Dans le grand océan de la loi du Bouddha, le seul moyen d'entrer est la foi. »
Le bouddhisme de l'époque de Kamakura (1192-1333)
Introduction
Avec la décadence du régime des Fujiwara et les troubles qui s'ensuivirent, la croyance à l'entrée dans la période du mappo, ou « ère finale de dégénérescence de la loi du Bouddha », prit un caractère de plus en plus dramatique. L'avènement du gouvernement militaire de Kamakura et les luttes de celui-ci avec le pouvoir impérial et les aristocrates de Heiankyo allaient profondément marquer l'évolution du bouddhisme au Japon. De nouvelles sectes apparurent plus ou moins en réaction contre les autres, considérées comme trop aristocratiques, comme celle du zen, qui eut la faveur des guerriers, ou celles du jodo-shinshu et de nichiren, qui s'adressèrent principalement au peuple ignorant des campagnes et aux bushi, ou guerriers des classes moyennes et inférieures.
Jodo-shinshu
Un des disciples de Honen, Shinran (appelé aussi Zenshin et Shakku [1173-1262]), provoqua à la mort de son maître (1212) un schisme au sein de la secte du jodo en publiant son enseignement du Kyo-gyoshinho (doctrine, pratique, foi et réalisation) en 1224. Trente ans après la mort de Shinran, un fidèle auditeur de ce dernier résuma cet enseignement dans un opuscule intitulé Tannisho (opuscule sur les hétérodoxies déplorables). Ce texte devait devenir l'un des plus importants de la nouvelle secte, qui prit alors le nom de « jodo-shinshu » ou « vraie secte de la Terre pure ». Dans ses enseignements, Shinran préconisait une vérité double (shintai, zokutai : foi et moralité) ; il affirmait que le seul fait d'avoir foi dans le vœu originel d'Amida (lequel était de sauver tous les êtres quels qu'ils soient) et de réciter le nembutsu avec sincérité suffisait à assurer la renaissance dans le paradis d'Amida. La Vérité est alors de se reposer de tout cœur sur le pouvoir supérieur du vœu originel d'Amida en laissant de côté toute idée personnelle.
Une originalité de la nouvelle secte était que ses religieux avaient le droit de se marier, afin d'effacer la division traditionnelle existant entre le clergé et le monde laïque. Ippen Shonin (appelé parfois Yugyo Shonin [1239-1289]), un ancien moine du tendai, déclara à son tour que, les kami shinto étant des manifestations des bouddhas et des bodhisattvas, on pouvait aussi bien leur adresser le nembutsu. Il prêchait un abandon total en Amida et, de ce fait, ajouta le mysticisme au piétisme du jodo. Au xve s., Rennyo (1415-1499), continuateur de Shinran, assurera de même que la récitation du nembutsu sans foi est inutile. Ceux qui s'opposaient à ses vues, notamment pendant la période de guerres civiles qui ensanglantèrent le Japon du milieu du xve jusqu'au milieu du xvie s. (Sengoku-jidai, « époque du pays en guerre »), donnèrent à ses partisans le nom d'« ikko » (ceux qui se tournent d'un seul côté). Ces ikko, organisés en ligues (ikko-ikki), s'armèrent afin de résister aux attaques des autres sectes et à celles des puissances séculières. La foi des prédicateurs du jodo-shinshu était intense, et leurs prédications étaient énergiques. À cette époque, cette secte connut une extension prodigieuse. Les adeptes de la secte shin (comme on appelait alors par abréviation le jodo-shinshu), bien que mêlant à leur foi des principes confucianistes et politiques, refusaient de vénérer les nombreuses divinités du panthéon bouddhique et, en principe, n'admettaient que l'image du bouddha Amida.
Zen-shu
La doctrine du Zen (chan en chinois), abréviation de zenna, transcription japonaise du sanskrit dhyana (méditation), peut être résumée en ces mots : « C'est une transmission d'une nature spéciale en dehors de tout enseignement et qui ne s'appuie sur aucun mot ; il faut donc bien reconnaître la nature de la pensée humaine en soi-même si l'on veut devenir un bouddha » (R. Fujishima). Cette doctrine fut importée de Chine en 1191 par le moine Eisai (Senko Kokushi [1141-1215]), qui établit au Japon la secte Rinzai (Huang-long, ou Linji en chinois), et par le moine Dogen (Buppo Zenji, mort en 1253, de son nom posthume Shoyo Daishi), qui, à son retour de Chine en 1227, établit la secte soto (ou sodo, caodong, en chinois). Vers 1650, un religieux chinois importa au Japon une autre secte, appelée « obaku », se réclamant, elle aussi, des doctrines du zen. L'enseignement du dhyana aurait été, selon la tradition, transmis par un des grands disciples du bouddha Shakyamuni, Kashyapa (Makakasho), à un autre disciple, Ananda, et, à travers vingt-huit patriarches successifs, jusqu'à Bodhidharma (Bodaidaruma), qui, toujours selon une tradition historique douteuse, l'aurait introduit d'Inde en Chine en 520. Le zen propose une méthode de libération originale fondée plus sur l'expérience que sur l'étude des textes. Il proclame que la nature du Bouddha est dans tous les êtres et en dehors des classifications morales ordinaires : le seul moyen d'atteindre au satori, à la « pensée dégagée de toute diversité », est de méditer sur la pensée individuelle. Cette secte, par son refus de la tradition et que l'on a classée dans les sectes bouddhiques, devrait constituer une catégorie philosophique à part, bien qu'elle se réclame parfois du Bouddha historique.
Nichiren-shu
Fils d'un pauvre pêcheur, Nichiren (de son nom véritable Zennichi Maru, de son nom de religieux Rencho, de son nom posthume Rissho Daishi [1222-1282]) fut élevé dans les principes de la secte jodo. Ordonné moine, il se mit à concevoir des doutes quant à la réelle efficacité de la pratique du nembutsu et s'attacha, parfois très violemment, à vouloir redonner au bouddhisme du tendai sa pureté première. Il quitta le mont Hiei et, refusant les doctrines ésotériques du tendai, commença, en 1253, à prêcher sa propre doctrine, tout entière fondée sur le Sutra du lotus (Saddharmapundarika sutra, Hokke-kyo) et sur trois grands principes : l'objet du culte (c'est-à-dire le Sutra du lotus), les sens moraux, qu'il affirmait se trouver dans l'invocation au titre du sutra (Namu Myohorenge-kyo, « Au nom sacré du Sutra du lotus de la Bonne Loi »), et l'identification de sa doctrine avec le devenir du Japon. Il exposa ce dernier principe dans son Rissho Ankokuron (« Traité sur la stabilisation de l'État par l'établissement de l'orthodoxie »), écrit en 1260. Douze ans après, il écrivit son Kaimokusho (« Traité qui ouvre les yeux ») ainsi que d'autres ouvrages sur les relations qui, selon lui, devaient exister entre la religion et le gouvernement (Shuga Kokkaron, « Traité pour la protection de l'État »), sur les remèdes contre les calamités (Sainan Taiji), combattant violemment toutes les autres sectes. Afin de matérialiser ses idées, il adopta un mandala déjà utilisé par la secte tendai, où, autour de la formule « Namu Myohorengekyo » placée au centre des quatre orients, il plaça Shakyamuni et Prabhutaratna. Dans l'ensemble, sa doctrine n'était pas essentiellement différente de celle du tendai prêchée par Saicho. Ses successeurs, Nichiji (1250- ?), Nisshin (1407-1488), Nichio (1565-1630), déployèrent un grand zèle missionnaire. La formule mystique d'invocation au titre du sutra du lotus connut un grand succès, surtout dans le peuple. Cette secte, vénérant principalement la personne de Shaka (le bouddha Shakyamuni) et, accessoirement, quelques divinités populaires, n'eut que très peu d'influence sur les classes aristocratiques.
Le bouddhisme populaire après la période de Kamakura
Après le xive s., le bouddhisme cessa pratiquement de se renouveler au Japon. Les sectes existantes, jodo-shu, jodo-shinshu, nichiren-shu, zen-shu, shingon-shu et tendai-shu, pour ne pas parler des sectes mineures ou des innombrables sous-sectes, continuèrent d'évoluer, mais sans esprit novateur. Cependant, l'enseignement diffusé par les sectes bouddhiques avait pénétré profondément dans toutes les couches de la société japonaise, se mêlant (zen-shu et jodo-shinshu exceptés) aux croyances populaires et au shinto. Avec l'avènement de nouvelles couches de la société à l'époque des shogun Tokugawa (1603-1867), et avec le nouveau développement de l'influence chinoise, on voit certaines divinités bouddhiques se colorer d'une personnalité nouvelle et apparaître des cultes jusque-là inconnus, les uns empruntés à la tradition chinoise, les autres émergeant du folklore local (ainsi le culte de certaines divinités du Bonheur et de la Fortune). Le bouddhisme japonais tendit à se populariser et à absorber des croyances très diverses, ce qui lui permit, dans un certain sens, de survivre à la stagnation qu'il fut obligé de subir sur le plan intellectuel pendant l'époque d'Édo, les philosophies néo-confucianistes et l'éthique du zen étant alors presque exclusivement à l'honneur. Le bouddhisme se confine alors dans des rôles sociaux (registres de population, œuvres pieuses) et dans une hiérarchisation de ses temples. Cependant, quelques personnalités de premier plan apparaissent, surtout chez les religieux zen, tels que Hakuin (1685-1768), Takuan (1573-1645), Suzuki Shosan (1579-1655), Ingen (1592-1673 ; importateur de la secte obaku). Certains moines zen jouent le rôle de conseillers auprès des shogun…
La restauration de l'ère Meiji en 1868 et la séparation officielle du shinto d'État et du bouddhisme contraignirent ce dernier, jusqu'à un certain point, à se réformer et à prendre ses distances à l'égard des cultes populaires, phénomène qui contribua sans doute, dans une certaine mesure, à favoriser le développement de sectes nouvelles indépendantes plus ou moins syncrétiques que l'on englobe sous le nom de « shinko-shukyo » ou « nouvelles religions établies ». Parmi celles-ci, nous citerons le tenri-kyo, ou « religion de la sagesse divine », le konko-kyo, ou « religion de la lumière d'or » et, comme exemple de groupement religieux moderne s'inspirant du bouddhisme, la soka gakkai, ou « société pour l'étude des valeurs créatives », dont la doctrine religieuse d'entraide, prétendant être la seule dépositaire de l'orthodoxie nichirénite, se fonde sur les doctrines de Nichiren et sur le texte du sutra du lotus. Cependant, les sectes orthodoxes connurent (et connaissent encore) un certain regain de popularité. Ces nouvelles religions ont, pour la plupart, emprunté au shinto primitif sa tradition aniconique et n'ont donné naissance à aucune forme originale d'art religieux. Mais l'esprit populaire a gardé vivaces jusqu'à nos jours les cultes de la plupart des divinités du panthéon bouddhique.
Le bouddhisme chinois
L'histoire
Introduction
Introduit en Chine dès le ier s. de notre ère, le bouddhisme joua un rôle capital aussi bien dans la vie que dans la culture chinoises. Et c'est aussi grâce à la Chine que le bouddhisme connut un essor extraordinaire et se répandit dans toute l'Asie.
Du ie de notre ère jusqu'au milieu du iiie s.
Cette période correspond à la dynastie des Han postérieurs et à l'époque dite « des Trois Royaumes ». L'expansion de la Chine vers l'Asie centrale sous les Han permit le contact non pas immédiatement avec l'Inde, mais avec les régions situées entre les deux pays, notamment le Turkestan oriental.
Selon la tradition, ce serait sous l'empereur Mingdi des Han (58-75 de notre ère) que débuta la pénétration du bouddhisme en Chine. À la suite d'un rêve dans lequel il vit le Bouddha, cet empereur envoya chez les Yuezhi (Yue-tche), vers l'an 65, une mission composée de dix-huit personnes qui devait ramener, trois ans plus tard, deux missionnaires ainsi que le texte du « sutra en quarante-deux chapitres ». Toujours selon la tradition, l'empereur fit construire à Luoyang (Lo-yang) le premier monastère : le temple du Cheval Blanc.
On sait maintenant que les Chinois avaient eu connaissance de cette religion bien avant ce temps. Tout au début, il s'agissait pour eux d'une religion étrangère qui n'était qu'un objet de curiosité. Si, vers le iie s., grâce à un nombre plus important de textes traduits, principalement ceux du hinayana (Petit Véhicule), l'intérêt grandit, on considéra encore cette doctrine comme appartenant aux arts occultes au même titre que les pratiques d'inspiration taoïste.
De la fin du iiie à la fin du vie s.
C'est la période d'assimilation, durant laquelle les Chinois traduisirent et commentèrent, souvent en collaboration avec les maîtres indiens, les grands textes bouddhiques, non plus seulement ceux du hinayana, mais surtout, à partir de 265 environ, ceux du mahayana (Grand Véhicule).
Au début de cette période eurent lieu deux événements importants : l'incendie de la capitale Changan par les Tartares en 311 et l'exode de la Cour (dynastie des Jin vers le sud, événements qui bouleversèrent les structures sociales de la Chine et favorisèrent la propagation du bouddhisme. La Chine fut divisée en deux parties : celle du Nord et celle du Sud. Les princes barbares semi-sinisés qui régnaient au nord ne tardèrent pas à encourager une religion qui leur permettait de trouver un terrain d'entente avec le peuple soumis.
D'autre part, dans le Sud comme dans le Nord, les misères du temps présent et les incertitudes de l'avenir poussèrent les gens à chercher refuge dans la vie spirituelle. De nombreux lettrés se tournèrent vers le taoïsme ; par leurs discussions et leurs commentaires sur la doctrine de Laozi (Lao-tseu), ils inaugurèrent la tradition de xuanxue, qui marqua toute leur époque. On assista à des conversions massives au bouddhisme.
Pour des raisons d'ordre géographique et culturel s'instaura une différence de style et même de conception entre le bouddhisme du Nord, plus conservateur et dont l'effort porta avant tout sur la traduction des textes, et celui du Sud, plus libéral et plus orienté vers la recherche théorique.
Les Chinois ne se contentaient plus de connaître le bouddhisme uniquement par le truchement des textes. Plus d'une centaine de pèlerins se rendirent en Inde, par voie terrestre, à travers l'Asie centrale, ou par voie maritime, en dépit des difficultés et des dangers innombrables. Parmi les pèlerins, le plus éminent est Fa Xian, qui, parti en 399, ne revint en Chine qu'en 414. Inversement, un certain nombre de maîtres indiens vinrent en Chine pour y enseigner le bouddhisme. Les plus célèbres furent Kumarajiva, originaire de Koutcha, venu en Chine vers la fin du ive s., et Bodhidharma, arrivé à Canton vers 526.
Quelques grandes figures marquèrent cette période. Daoan (Tao-ngan [312-385]), dont l'action fut décisive pour l'enracinement du bouddhisme en Chine, ne se borna pas à la théorie, mais établit des règles de vie pour les moines. À l'époque de Daoan, la tendance générale consistait à traduire et à interpréter les textes bouddhiques avec des thèmes et des idées tirés du taoïsme. Cette méthode s'appelait « geyi » (interprétation par analogie). On utilisait par exemple le mot dao (tao) pour traduire les mots sanskrits dharma (loi) et bodhi (éveil), le terme taoïque wuwei (non agir) pour rendre le mot nirvana, etc.
L'influence de Daoan s'exerça aussi en Chine du Sud, où le bouddhisme eut pour représentant son brillant disciple, Huiyuan (Houei-yuan [344-416]). La dévotion de ce dernier à Maitreya, le bouddha du futur, est à l'origine du culte d'Amitabha, culte que pratiquent les adeptes de l'école jingtu (tsing-t'ou, « Terre pure »), une des écoles les plus répandues en Chine.
Peu après Daoan, la venue en Chine, à Changan, en 401, du maître indien Kumarajiva marque une étape importante pour l'établissement de la doctrine mahayana en Chine. Ses travaux de traduction et son enseignement formèrent toute une génération d'authentiques penseurs. Parmi ses disciples, les plus célèbres furent Sengzhao (Seng-tchao [384-414]) et Daosheng (Tao-cheng [365-434]). Ce dernier s'installa dans le Sud et y prêcha une théorie selon laquelle la présence innée de la « Nature du Bouddha » (bhutatathata) se trouve dans les êtres vivants et tous peuvent devenir des bouddhas. Il opposait le subitisme mahayaniste au gradualisme hinayaniste, estimant que le premier répondait mieux à la mentalité chinoise, encline à saisir le dao (tao) par une intuition directe et synthétique. En ce sens, Daosheng peut être considéré comme un chaniste avant la lettre.
Mais le vrai courant de l'école du chan (zen en japonais), qui, par la suite, devait connaître un développement si important, commença avec Bodhidharma, qui vint en Chine vers 520. Selon la tradition, le Bouddha aurait transmis un enseignement ésotérique à l'un de ses disciples, et Bodhidharma serait le vingt-huitième patriarche en Inde. En Chine, il fut vénéré comme le premier zu (patriarche) de l'école du chan et son disciple, Huige (Houei-Ko), devint le deuxième zu.
Une scission eut lieu entre deux disciples du cinquième zu : Shenxiu (Chen-siou [606-706]), fondateur de l'école du Nord, et Huineng (Houeineng [638-713]), fondateur de celle du Sud et reconnu comme le sixième zu.
Les dynasties des Sui et des Tang (viie-xe s.)
Après plusieurs siècles d'assimilation et de recherches, les Chinois finirent par donner une forme chinoise au bouddhisme, définitivement adopté.
Il faut évoquer la grande figure de Xuan Zang (Hiuan Tsang [† 664]), qui, par son immense savoir, sa vraie humilité, son périlleux pèlerinage en Inde, entre 627 et 645 (l'administration des Tang ayant rompu ses relations avec certains États d'Asie centrale), et les travaux de traduction qu'il entreprit après son retour en Chine, fut le type achevé du moine.
Durant son séjour en Inde, Xuan Zang étudia plus particulièrement la philosophie mahayaniste de l'école vijnanavada (« Rien que la conscience »), qu'il connaissait déjà bien en Chine. Il participa à des débats doctrinaux avec les plus éminents érudits indiens. Le système idéaliste de cette philosophie qu'il introduisit en Chine constitue le fondement de l'école faxiang (fa-siang).
Si certaines écoles en Chine se rattachent à des courants indiens, telles que l'école faxiang et l'école sanlun (« Trois Traités »), il en est de typiquement chinoises, dont les plus importantes sont l'école huayan (« Guirlande des fleurs »), l'école tiantai (« Terrasse céleste »), l'école jingtu (« Terre pure ») et l'école du chan (« Méditation »). La plupart plongent leurs racines dans la période précédente, mais c'est à l'époque des Tang qu'elles prennent une forme distincte.
La propagation du bouddhisme implique des aspects sociaux et économiques non négligeables. Ayant reçu des terres à titre de dons, les monastères possédaient de vastes domaines. Exempts d'impôts, ils accumulaient des richesses énormes. D'autre part, la vie des moines en marge de la société mit inévitablement le bouddhisme en conflit avec l'État et avec la philosophie de l'État que fut le confucianisme traditionnel. Trois persécutions eurent lieu, en 626, en 714 et en 842-845. La dernière, de loin la plus importante, porta au bouddhisme un coup très dur. Depuis lors, tout en restant la religion la plus répandue de la Chine – par ses rites et ses fêtes, il constitue un élément intimement lié à la vie du peuple –, le bouddhisme perdit sa vitalité dans le domaine intellectuel, où le néoconfucianisme, à partir du xie s., devait prendre la place dominante.
La doctrine
Introduction
Étant donné le grand nombre d'écoles qui existent, il est difficile de présenter une doctrine bouddhique à laquelle peuvent souscrire tous les adeptes. D'autre part, il paraît aussi vain de fournir une liste des écoles et des sectes avec une brève explication de leur doctrine. Il est plus utile d'étudier les problèmes essentiels que se pose le bouddhisme et sa manière spécifique d'y répondre.
Problème de la souffrance
Le point de départ de la pensée bouddhique fut l'idée de la souffrance. On raconte qu'à l'âge de vingt-neuf ans le Bouddha fut profondément touché par les misères humaines, misères qui sont liées entre elles : naissance, vieillesse, maladie, mort. Cette idée constitua déjà une des originalités du bouddhisme par rapport aux philosophies de l'Antiquité chinoise. D'une façon générale, ces philosophies acceptaient la condition humaine. On y étudiait les lois de la nature humaine, de la société et de l'univers. On essayait de mieux comprendre ces lois afin de mieux vivre cette condition. On faisait la distinction entre le bien et le mal, l'ordre et le désordre, etc. On s'efforçait d'éviter le mal et le désordre, mais on ne cherchait pas à fuir sa condition d'être. Or, dans le bouddhisme, ce qui provoqua la réflexion du Bouddha, ce furent les misères non pas en tant que condition extérieure, mais en tant que réalité irréductible. Prenons, par exemple, le cas des maladies : elles ne sont pas un état contraire à la bonne santé, mais les manifestations de la maladie, un élément absolu, imposé à nous et lié à la forme de notre être. La bonne santé ne nous délivre pas de la maladie, pas plus que la mort ne nous délivre de la souffrance ; car, d'après la croyance indienne au samsara, à la mort succédera une autre naissance, puis une autre mort ad infinitum.
Cette re-naissance n'est pas une transmigration de l'âme individuelle. La vie présente est à l'image d'une vague, provoquée par une autre vague et qui, à son tour, en provoquera une autre. Nos actes et nos pensées (karma) ont des causes antérieures et produiront des effets dans l'avenir. L'être d'un individu est constitué d'une chaîne de causes et d'effets. Cette chaîne n'est pas isolée, mais insérée dans un ensemble fait d'innombrables causes et effets ; c'est ce qu'on appelle le samsara, la « roue de la naissance et de la mort ». Cet engrenage implacable est la cause de notre souffrance. Tous les êtres vivants dans l'univers sont impliqués dans cet engrenage. Il ne s'agit pas ici, à proprement parler, d'un monde mécanique où la liberté n'existe pas. Nos actes peuvent être libres ; mais, s'ils ne sont pas dirigés vers notre délivrance, ils ne sauraient créer que de nouveaux effets et n'ajouteraient à l'engrenage que de nouvelles complications et conséquences.
C'est dans la forme même de notre être que réside la souffrance ; il y a, pour ainsi dire, une identification entre l'existence et la souffrance. Pour nous libérer de cette souffrance, il faut connaître ce qu'est l'existence.
Analyse de l'existence
Toutes les écoles bouddhiques s'accordent pour penser que le monde et le « moi » qui constituent l'existence sont illusoires ; il n'existe pas de substance immuable, permanente. C'est l'école « Rien que la conscience » qui s'attacha plus particulièrement à élaborer un système philosophique pour démontrer cette thèse. Par une minutieuse étude du monde psychique, elle explique que les choses et les êtres du monde extérieur ne sont que des produits illusoires de notre esprit. Les images de l'imagination se mêlent aux images reçues et en deviennent inséparables. On aboutit, après de longues analyses, à tout assimiler aux images de l'imagination. Certains philosophes chinois modernes rapprochent cette conception de la théorie idéaliste subjective de Hume.
D'après le système « Rien que la conscience », la vie mentale peut être divisée en huit facultés : de I à V, cinq perceptions sensorielles (la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le sens tactile du corps) ; VI, conscience qui accompagne les cinq perceptions et les perceptions intérieures (sentiments, imagination, mémoire, pensées) ; VII, conscience réflexive, le « moi » conscient ; VIII, conscience impersonnelle, universelle, appelée « conscience du tréfonds ». Du fond de cette conscience surgit, d'une part, le « moi » conscient avec nos facultés de perceptions et, d'autre part, les germes (bija = zhongzi ou tchong-tseu) qui font naître dans nos sens le soi-disant « monde objectif ». C'est aussi dans cette conscience que sont déposées les images reçues et les notions intellectuelles qui exercent une influence sur nos perceptions et pensées futures.
L'homme ignore que le monde et le « moi » ne sont que les produits de cette conscience de tréfonds et s'attache avec passion à ces illusions : d'où la souffrance. Cette ignorance fondamentale est appelée « non-illumination » (avidya = wuming). Le salut s'obtient par la suppression des illusions et par illumination (bodhi = puti).
On peut dire qu'avant le bouddhisme les Chinois ne se posèrent pas le problème du salut. Toutes les philosophies avant les Han forment un ensemble qu'on pourrait appeler « philosophie de l'harmonie », harmonie entre l'individu et la société, entre l'homme et la nature… Dans le bouddhisme, l'homme n'essaie pas d'imposer un ordre au monde ; son salut est dans le refus de sa condition fondamentale d'être.
Problème du salut
D'après la conception bouddhique, les choses de l'univers sont des manifestations de la conscience universelle ; les consciences individuelles, elles aussi, sont des manifestations de cette conscience. Le « moi » est un ensemble de phénomènes qui n'a pas de substance propre. Une fois niée l'existence du monde et du « moi », que reste-t-il ? Il reste le vide, disent certains, principalement ceux des écoles du Petit Véhicule (hinayana = xiaocheng). Cette conception paraît trop simpliste, sans possibilité de développement. D'autre part, elle est en contradiction avec la tradition philosophique chinoise, d'esprit plus réaliste. Les écoles du Grand Véhicule (mahayana = dacheng) soutiennent que ce vide n'est pas un vrai vide ; s'il l'était, rien ne pourrait se produire. À leurs yeux, le monde illusoire vient de notre ignorance, qui voile la conscience universelle, et le salut est dans la révélation de cette conscience sous sa forme pure, appelée bhutatathata ou « Nature du Bouddha ». D'autres l'appellent aussi l'« Esprit ». Ainsi, après avoir affirmé que tout est illusoire, le bouddhiste mahayaniste affirme que tout est Esprit. Et, du même coup, le ton extrêmement pessimiste devient optimiste. « Tout est vain pour moi » devient « tout me concerne », car tout est dans une subjectivité, y compris ma propre conscience. Le monde matériel, auparavant méprisé, reçoit tout d'un coup une lumière transcendante.
Zhizang (Tche-tsant [549-623]), un des grands maîtres de l'école du Chemin moyen, expose la théorie de la double vérité : 1 ° Les gens du commun considèrent toutes choses comme ayant une existence réelle (you) et ignorent qu'en vérité elles ne sont pas et qu'il y a seulement le non-existant (wu). Mais dire qu'elles ne sont pas est aussi faux, puisqu'elles sont d'une certaine façon. Il faut admettre que les choses ne sont ni you ni wu. 2 ° Dire que les choses ne sont ni you ni wu reste encore une affirmation grossière. La vérité supérieure est que les choses ne sont ni you ni wu, ni non-you ni non-wu. En fin de compte, il ne faut rien affirmer ni nier. La vérité est dans la dialectique des deux, au-delà de tout jugement conceptuel.
L'école « Rien que la conscience » élabore une approche intellectuelle du salut. Selon elle, en saisissant peu à peu la structure véritable du monde, nous atteindrons la « Nature du Bouddha ». Cette approche n'est cependant pas suffisante, car notre vie psychique n'est pas uniquement intellectuelle. Il faut nous libérer aussi de nos attachements à ce monde et à notre « moi ». Il faut chasser et éteindre nos désirs, nos passions et nos pensées mêmes, qui sont des activités du « moi » illusoire. D'où la nécessité d'une règle rigoureuse de vie et l'exercice de la méditation. La méditation est une maîtrise de notre conscience, une tentative pour rejoindre la conscience pure. L'ultime union du « moi » avec l'Esprit universel est le nirvana. Pour y atteindre, il faut toute une vie, ou même plusieurs vies d'effort. Après avoir traversé renaissances et morts, on s'élève peu à peu vers ce salut. On peut, à ce propos, penser à la Raison de Hegel, qui passe des formes inférieures vers les formes supérieures pour, à la fin, retourner à sa forme pure, entièrement libérée de la matière.
Les écoles du Nord donnent plus d'importance à la pratique, tandis que celles du Sud s'intéressent surtout à la compréhension théorique. Xuan Zang (Hiuan Tsang), grand pèlerin et traducteur des textes saints de l'Inde, fondateur de l'école « Rien que la conscience », regretta, à la fin de sa vie, de ne pas avoir consacré assez de temps à la pratique de la méditation. À l'opposé est l'école jingtu (tsing-t'ou « Terre pure »), qui enseigne qu'il suffit aux fidèles de penser avec ferveur à Amitabha et de prononcer continuellement son nom pour obtenir le salut. Cette école, très répandue parmi le peuple, a une idée très imagée et matérielle du nirvana ; il s'agit pour ses adeptes d'un pays merveilleux et heureux où règne le Bouddha et où ils vont renaître après une vie parfaitement pieuse. On voit facilement combien cette idée est éloignée du vrai sens du nirvana.
Le nirvana
Pour qu'il y ait illumination, il faut avoir un sujet pour la recevoir. Comme le « moi » n'est que phénomène illusoire, le sujet de l'illumination ne peut être qu'un sujet transcendant, la « Nature du Bouddha ». L'illumination est la révélation de la « Nature du Bouddha », que chacun de nous possède. Au moment où nous aurons une profonde compréhension de la structure du monde et où nous atteindrons la libération de nos désirs et de nos passions, nous serons « illuminés » et nous obtiendrons le nirvana, qui n'est pas un au-delà. Le monde du Bouddha est ici, dans le monde présent. Le nirvana est l'identification de la conscience de l'individu avec l'Esprit universel. Il est comparable à « Dieu en lui-même ». Toutefois, il est difficile de le concevoir, et nous ne pouvons rien affirmer sur sa nature et son contenu. « Le nirvana est calme. » Si le monde phénoménal cesse d'exister, ne reste-t-il pas une sorte de calme absolu, vide et immobile ? Certains confondent le nirvana avec la mort.
Si le nirvana est une prise de conscience personnelle, comment se pose alors le problème de l'« Autre » ? Puisque l'« Autre » est situé dans le monde extérieur, qui est illusion, est-il besoin de le sauver ? Quel est le rapport entre l'« Autre » et moi-même ? Il est vrai que l'« Autre » est une illusion dans ma conscience, qui est en soi une illusion. De même, je suis une illusion dans la conscience de l'« Autre », qui est aussi illusion. Le rapport entre l'« Autre » et moi-même est donc semblable à un ensemble de miroirs qui se reflètent les uns dans les autres. Tout l'univers se reflète en moi, et moi je suis dans chaque parcelle de l'univers, je m'identifie à lui. Ainsi, le microcosme contient le macrocosme tout en étant dedans. Tous les êtres appartiennent au même fond conscient. Nous sommes différents et semblables, multiples et un. Pour mon salut, donc, il faut aussi le salut de l'« Autre », de tous les autres. D'où l'immense compassion du Bouddha. D'où l'amour pour autrui. Le nirvana en soi est « calme », mais le Bouddha revient au monde de la souffrance ; en fait, il ne l'a jamais quitté, puisque le nirvana n'est pas un au-delà.
L'illumination
L'illumination (abhisambodhi) est la connaissance de la conscience universelle. Cette connaissance n'est pas une connaissance au sens ordinaire. L'état de nirvana étant inexprimable, cette connaissance est sans contenu ; elle est une expérience incommunicable par la parole. On est dans cet état ou on n'y est pas. L'illumination est subite.
On préconise généralement deux méthodes pour atteindre le nirvana : l'une graduelle, l'autre subite. Nous avons expliqué dans les colonnes précédentes que, pour obtenir le salut, il faut un long effort intellectuel et moral. C'est la méthode graduelle. L'autre méthode ne lui est pas diamétralement opposée. En réalité, les subitistes n'excluent pas les efforts de longue haleine. Il y a une discipline à suivre. Mais, une fois la maturation atteinte, l'éclosion se fait, et, d'un bond, on est illuminé. Ce n'est pas à petites doses qu'on « accumule » l'illumination ; d'un coup, une lumière se projette sur tout, et tout prend un sens nouveau.
L'école du chan (zen en japonais) rejetait toutes études discursives et exercices de méditations en visant directement l'illumination. On raconte que Mazu (Ma-tsou), qui pratiqua régulièrement la méditation, vit un jour son maître Huairen (Houaijen) frotter une brique devant sa hutte et qu'il demanda, intrigué, ce qu'il faisait. Le maître répondit qu'il avait l'intention d'en faire un miroir. À la question de Mazu : « Comment peut-on fabriquer un miroir en frottant une brique ? », Huairen répondit : « Si, en frottant une brique, on ne réussit pas à fabriquer un miroir, comment la méditation peut-elle faire de nous un bouddha ? » Par cette parole, Mazu fut illuminé. La méditation ainsi que l'étude des livres saints sont de nature fondamentalement différente de celle de l'illumination. Aussi, la méthode que les maîtres chan utilisent pour répondre aux questions des disciples consiste-t-elle souvent à leur donner un coup de bâton, à leur tirer le nez ou à leur crier à la figure. Le but est de provoquer chez l'adepte un choc psychologique qui, donné au bon moment, permet l'éclosion de l'illumination.
Après l'illumination, que se passe-t-il ? « S'élever encore d'un degré au-dessus du sommet du bambou de cent pieds. » Le sommet du bambou, c'est le parachèvement de l'illumination. « S'élever encore d'un degré » signifie que l'homme ne peut être satisfait de son état d'illumination ; il doit aller plus loin. D'après l'école du chan, ce qui lui reste à faire n'est rien d'autre que d'accomplir les choses ordinaires de la vie. Mais la signification en est tout autre. Désormais, la vie quotidienne sera habitée par l'Esprit. « Porter de l'eau à boire et couper du bois de chauffage, c'est en cela que réside le merveilleux dao (tao). »
À ce stade, le problème du salut redevient une question d'harmonie, question dont les Chinois se préoccupent avant tout. Le bouddhisme, entièrement sinisé, apporte cependant à la pensée chinoise l'idée de la conscience universelle, c'est-à-dire de l'Esprit.
Les écoles bouddhiques
Comme les différentes écoles donnent des interprétations différentes sur la doctrine du Bouddha, les écoles tiantai (t'ien-t'ai) et huayan (houa-yen) essaient toutes deux d'élaborer une synthèse historique pour concilier les théories contradictoires. Nous donnons ici la version du huayan, qui classe l'enseignement du Bouddha en deux Véhicules et cinq stades : 1. Premier stade : le Petit Véhicule. « Le moi est vide », une doctrine que prêche le Bouddha pour les gens communs. 2. Deuxième stade : le Grand Véhicule initial, qui comprend les écoles sanlun (san-louen) et faxiang (fasiang). « Tout est conscience » enseigné par le Bouddha. 3. Troisième stade : le Grand Véhicule final, représenté par l'école tiantai, qui enseigne que tous les êtres sans exception ont la « Nature du Bouddha » et qu'ils peuvent obtenir le salut. 4. Quatrième stade : le Grand Véhicule subitiste, représenté par l'école du chan, qui enseigne que le salut s'obtient par l'illumination subite. 5. Cinquième stade : le Grand Véhicule parfait, représenté par l'école huayan elle-même. Celle-ci totalise les autres doctrines en enseignant la théorie de « Tout dans un, un dans tout ».
Ainsi, entre les différentes écoles, il existe comme un lien logique. À chaque niveau, il y a un approfondissement vers la compréhension de la vérité. Les recherches variées et continuelles forment un tout qui donne au bouddhisme un visage particulier par rapport aux autres philosophies et aux autres religions. Une spiritualité spécifique se dégage des temples bâtis à flanc de montagne, des statues aux yeux baissés du Bouddha aussi bien que des peintures et des poèmes.
Et cette synthèse tentée par les écoles tiantai et huayan reflète la mentalité chinoise, toujours soucieuse d'universalité et d'harmonie ; elle peut être considérée comme une des grandes contributions du génie chinois au bouddhisme.
Les influences
Le bouddhisme, en tant que religion et en tant que système de pensée, exerça une influence profonde dans de nombreux domaines de la culture chinoise. Jusqu'à la fin des Han et durant plus d'un millénaire, cette culture se développa dans un contexte uniquement chinois. La rencontre avec le bouddhisme fut son premier contact avec une culture étrangère – le second contact sera, à partir du xviie s., avec l'Occident –, contact bénéfique, car la venue du bouddhisme semblait répondre à son désir de métamorphose et comblait en elle un besoin métaphysique. L'épanouissement que connut la Chine à l'époque des Tang et des Song lui est dû en grande partie.
État actuel du bouddhisme
Le bouddhisme est implanté dans une douzaine de pays asiatiques, où il représente une population d'environ 400 millions d'adeptes. Mais les statistiques sont particulièrement aléatoires, puisque plusieurs pays traditionnellement bouddhistes sont actuellement placés sous des régimes autoritaires qui ne favorisent pas la libre expression religieuse. Au cours des décennies 1970 et 1980, le bouddhisme a connu une double évolution : nécessité d'adaptation dans les pays asiatiques où il constitue une religion séculaire, et début d'acclimatation dans les pays occidentaux. S'il a pratiquement disparu de l'Inde, sa terre d'origine, où seulement 0,7 % de la population se déclare bouddhiste, il demeure largement majoritaire en Indochine, où l'évolution de la situation politique l'amène à se redéfinir.
En Birmanie, notamment, le bouddhisme, qui constitue la religion de 89 % de la population, a purgé les effectifs de son clergé (1 moine pour 116 habitants), ce qui lui a rendu un certain crédit lui permettant de collaborer étroitement avec les autorités, au point que l'on a pu parler de « socialo-bouddhisme ». Une étape nouvelle a cependant été franchie avec le coup d'État militaire de 1988, où un nombre important de moines se sont engagés pour la lutte en faveur des droits démocratiques. Depuis l'occupation vietnamienne du Cambodge en 1979, les moines ont fait dans ce pays une timide réapparition, alors qu'ils avaient été parmi les premières victimes des Khmers rouges ; et le bouddhisme (88 % de la population) y a retrouvé son statut de religion d'État. Au Laos, où la République populaire démocratique a été établie en 1975, la population bouddhique demeure stable (58 %), avec un chiffre pratiquement identique à celui du Viêt Nam, mais au prix de grandes concessions du clergé au pouvoir en place. Dans tous ces pays représentatifs du Petit Véhicule (Hinayana), à l'exception du Viêt nam (Grand Véhicule, ou Mahayana), les religieux participent ainsi aux campagnes d'alphabétisation, voire de politisation, gouvernementales.
En Extrême-Orient, la situation du bouddhisme chinois est également tributaire de l'évolution politique. Entièrement contrôlée par l'Association bouddhique de Chine, la communauté bouddhique est estimée à 10 % de la population. Alors que les ordinations monastiques avaient repris après les persécutions de la Révolution culturelle (1966-1976), les événements du printemps 1989 ont apparemment gelé la renaissance du bouddhisme en ce pays, bien que ses temples soient restaurés, notamment à des fins touristiques. De même au Tibet, sanctuaire du bouddhisme tantrique, occupé par la Chine depuis 1950 : le rétablissement de la loi martiale en mars 1989, avant même les événements de Pékin, y a brutalement suspendu le processus de relative libéralisation religieuse apparue au début des années 1980. Cependant, l'attribution du prix Nobel de la paix 1989 au dalaï-lama, ancien souverain du Tibet exilé en Inde, a consacré son action non-violente, directement inspirée des principes bouddhiques fondamentaux, qui lui avait déjà valu de figurer aux premières places lors de la réunion interconfessionnelle organisée par le pape Jean-Paul II à Assise en 1986. La reconstitution en Inde, par les lamas réfugiés, des principales universités bouddhiques tibétaines semble assurer la perpétuité de cette tradition. Au Japon, de loin le pays bouddhiste le plus industrialisé, la religion du Bouddha constitue pour la quasi totalité de la population une tradition culturelle lors des funérailles, justifiant ainsi l'adage : « On naît shinto et meurt bouddhiste. » Afin de se démarquer de l'appellation peu flatteuse de « bouddhisme de pompes funèbres » (soshiki-bukkyo), certains ordres bouddhiques japonais se sont lancés dans des actions populaires, notamment en faveur des hors-castes (burakumin) ou des vieillards placés dans des hospices. Au nom de la séparation de la religion et de l'État, certains ordres protestent aussi régulièrement contre la participation du gouvernement aux cérémonies shintoïstes du sanctuaire de Yasaka (à Tokyo) dédié aux esprits des soldats morts durant la Seconde Guerre mondiale. Face à la relative sclérose des écoles anciennement établies, plusieurs sectes nouvelles se sont imposées dans les couches modestes de la société japonaise en développant un bouddhisme laïcisant. La fameuse école Nichiren-soshu, par exemple, ne compte que 564 religieux, alors que son association laïque Soka-Gakkai revendique 17,5 millions d'adhérents. C'est au Japon, enfin, sur l'initiative d'un ancien industriel, qu'est né le projet gigantesque de traduire en anglais le canon bouddhique chinois en usage dans tout l'Extrême-Orient : quelque 139 textes canoniques parmi les plus importants, mais représentant 11 % seulement de l'ensemble du canon, devraient ainsi être publiés en 100 volumes d'ici à l'an 2000.
En Occident, le bouddhisme a connu les faveurs de la mode orientaliste de la jeunesse des années 1970, mais la décennie suivante a vu les premiers signes d'une véritable acclimatation du bouddhisme. En Europe et en Amérique du Nord, des Occidentaux régulièrement formés et ordonnés par les différentes traditions bouddhistes ont ainsi fait leur apparition, et, en 1987, le dalaï-lama a même reconnu la première réincarnation (toulkou) occidentale d'un lama, en la personne du petit Espagnol Torres (Lama Osel), qui a pris possession de son monastère au Népal. En 1989, Hawaii a marqué le centenaire de l'arrivée sur son sol du premier missionnaire bouddhiste, qui appartenait à l'école japonaise de tradition amidiste Jodoshinshu. Cette école a fait souche parmi la population américaine descendant des émigrés japonais du xixe s. et elle compte 97 lieux de culte pour les seuls États-Unis. Chez les jeunes Occidentaux, les années 1970 ont été marquées par un engouement pour le bouddhisme zen du Japon, notamment en France avec l'activité du bonze Taisen Deshimaru (1914-1982). Mais c'est la tradition bouddhique tibétaine qui remporte actuellement le succès le plus frappant. En France même, on recense plus de 60 centres d'études et de pratique du bouddhisme tibétain, représentatifs des quatre écoles tibétaines principales, mais dont beaucoup ont été fondés par le lama Kalou Rimpoche (1904-1985) de l'école Kagyupa (ou Bka brgyud-pa). Plusieurs de ces centres constituent de véritables monastères destinés aux Occidentaux, où certains ont déjà accompli la traditionnelle retraite cloîtrée de trois ans, trois mois, trois jours.