science
(latin scientia, de scire, savoir)
Ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales.
Le mot science est ambigu. D'un côté, il sert à désigner la forme la plus haute de savoir et de connaissance humaine, celle qui ne peut être remise en question et qui possède la valeur de l'absolument vrai. De l'autre, il renvoie à des activités de production de connaissances bien identifiables dans les sociétés modernes parce qu'elles sont en liaison avec des institutions (universités, laboratoires, sociétés savantes, etc.), des investissements et des développements techniques qui, depuis la révolution industrielle du xixe s., ont peu à peu bouleversé notre vie quotidienne. Il n'est pas sûr que les différentes sciences puissent correspondre à une idée unique de la Science et que l'on puisse donner une fois pour toutes des critères de scientificité. Le phénomène scientifique doit être abordé par le biais de son développement historique et des réflexions qu'il suscite.
Les premières conceptions de la science
Dès l'origine de la philosophie occidentale (avec Platon, notamment), les philosophes se sont efforcés de définir la nature de la connaissance scientifique conçue comme l'aboutissement désintéressé de la vie cognitive humaine. La science doit d'abord rompre avec la perception, puisque la sensation est changeante et illusoire. Elle ne saurait se confondre avec l'opinion, puisque celle-ci, même lorsqu'elle est vraie, ne dispose ni d'un fondement solide, ni de la possibilité d'être transmise par la seule voie d'un discours rationnel.
Comme le formulera, avec vigueur, Aristote, la science est la connaissance démonstrative des causes, elle est nécessaire et universelle. Il n'y a donc de science que du général, ce qui signifie qu'elle doit être valable sans exceptions, quant à ses objets et pour tous les sujets. Il n'y a pas plus de science des individus qu'il n'y a de science individuelle.
Les philosophes ont longuement tenté d'aborder la question de la définition des sciences à partir de celle de leurs méthodes. Le problème essentiel était de distinguer l'activité scientifique d'autres activités proprement humaines comme sont l'art, la religion ou la stratégie politique. On parvient assez facilement à distinguer la science de l'art ou de la stratégie politique si l'on s'en tient à son statut de représentation exacte d'une réalité préexistante : l'art produit des objets et la stratégie politique vise à la conquête du pouvoir. Cette distinction repose, toutefois, sur une conception très étroite de la science qui en exclut les activités techniques et les relations entre les hommes. Cette conception n'est plus guère tenable aujourd'hui : non seulement les sciences de la nature (physique, chimie, biologie, etc.) sont l'une des principales sources de production des biens matériels, mais leur maîtrise et leur développement correspondent à des enjeux de pouvoir considérables (par exemple, en liaison avec les industries militaires).
Le problème du rapport à la religion est apparemment plus simple. Bien sûr, tout ce qui concerne l'aspect subjectif de cette dernière (l'adhésion individuelle, la foi et la croyance) est exclu par la méthodologie scientifique. Mais, on peut très bien concevoir une discipline qui aurait pour but d'atteindre par des procédures scientifiques le même objet que la religion. Cela a été conçu en Occident sous le nom de « théologie rationnelle » (science de Dieu). Ce n'est qu'à la fin du xviiie s. que E. Kant parvint à une critique décisive du caractère scientifique de la théologie. Ce but n'a pu être atteint qu'à la suite d'un important remaniement de l'idée même que l'on pouvait se faire de la science. Au lieu de la définir seulement par sa méthode, à la façon d'Aristote, il fallait préciser qu'il n'y a science que de ce qui peut faire l'objet de l'expérience partagée des hommes. La théologie – quelle que soit sa méthode – ne saurait donc être une science.
Caractère empirique et réfutation de la connaissance
L'insistance sur le rapport à un objet externe pour définir un principe de démarcation entre ce qui est de la science et ce qui ne l'est pas a conduit, au xxe s., le philosophe K. Popper à placer cette démarcation dans une nouvelle définition du caractère empirique de notre connaissance scientifique du monde. Selon un modèle conçu au xixe s. – en plein triomphe des sciences expérimentales – par le physiologiste C. Bernard, une science expérimentale suppose trois étapes : la formulation d'une hypothèse ; puis, la construction d'un montage technique permettant de tester cette hypothèse ; enfin, le test proprement dit qui confirme ou infirme celle-ci. Popper a remarqué que, logiquement, on ne pouvait pas démontrer expérimentalement une proposition universelle : il faudrait vérifier tous les cas, ce qui est impossible, puisque l'universel concerne aussi ce qui aura lieu dans le futur. À l'inverse, un seul cas négatif suffit à rejeter de façon absolue une proposition universelle. Paradoxalement, seuls les résultats expérimentaux négatifs sont démonstratifs. De là l'idée que ce qui distingue la science de tout autre type de représentation, ce n'est pas la vérification mais la réfutation. II existe quantités de théories qui ne seront jamais réfutées par l'expérience, parce qu'elles sont trop vagues ou générales, comme les « prédictions » des astrologues qui sont toujours à peu près vraies quoi qu'il arrive. Ne sont scientifiques que les théories réfutables, c'est-à-dire celles pour lesquelles on peut au moins imaginer des conditions expérimentales plausibles qui les réfuteraient.
L'activité scientifique ne devrait donc pas se concevoir comme l'accumulation au cours du temps de vérités éternelles et le rejet des erreurs passées. Elle correspond plutôt à la répétition d'un double processus : d'abord l'invention et la formulation d'une théorie, puis la construction d'hypothèses et de moyens techniques permettant autant sa corroboration que l'éventualité de sa réfutation empirique. Ce rationalisme critique, comme on l'appelle, produit une conception de l'activité scientifique dans laquelle les théories ne sont jamais ni totalement prouvées, ni vraiment définitives. Par définition, et contrairement à l'antique opinion philosophique, nos sciences sont faillibles. Une telle conception laisse toutefois deux questions ouvertes.
L'extension de la notion de réfutabilité
Il est inexact d'admettre que, dans une activité scientifique quelconque, on ait simplement affaire à des propositions ou connaissances isolées soumises à des tests empiriques. En vérité, nous choisissons les hypothèses soumises aux tests. Nos théories comportent toutes des noyaux métaphysiques qui ne sont généralement pas soumis à l'expérience, parce que nous ne souhaitons pas les y soumettre et qu'au reste elles ne peuvent y être soumises directement. Ainsi, le concept de temps, interne à la mécanique classique, est le type même de noyau métaphysique que l'on répugne à changer : habituellement, lorsque l'on fait une expérience, on ne songe pas à tester un concept de cet ordre. Les théories sont des totalités dont nous isolons certains éléments. Mais, face à l'expérience, c'est toujours la théorie entière qui est véritablement en question. Parfois, lorsque nos théories sont en défaut nous pouvons nous contenter de changer certains éléments ; parfois, c'est toute la théorie qu'il faut changer. Il n'y a jamais de moyen mécanique qui permette à coup sûr de prendre la bonne décision.
Le rapport de la science à la notion de vérité
Selon la conception traditionnelle, une connaissance scientifique est vraie, par définition. On tendrait à en déduire qu'une hypothèse fausse n'est pas scientifique. En particulier, il faudrait conclure qu'une théorie que nous n'admettons plus aujourd'hui (par exemple, la théorie de Ptolémée, qui fait de la Terre le centre de l'Univers, avec un Soleil qui tourne autour d'elle, ou encore la biologie aristotélicienne, qui considère que les espèces vivantes sont fixes et éternelles) n'est pas scientifique. Pourtant, l'astronomie de Ptolémée et la biologie d'Aristote sont qualitativement bien différentes d'une conception mythique de l'Univers ou d'une conception créationniste des espèces vivantes telle qu'on la trouve, par exemple, dans l'Ancien Testament. Le rationalisme critique nous laisse démuni devant ce paradoxe. C'est parce qu'il repose sur une conception très abstraite de la science qui la réduit à n'être qu'un ensemble de propositions cohérentes et pourvues de valeurs de vérité. La réalité scientifique est autrement plus complexe.
Les sciences comme phénomènes sociaux
Les sciences sont, avant tout, des phénomènes sociaux que l'on peut appréhender à partir de trois composantes. Il y a d'abord, incontestablement, une composante théorique. Une science est un ensemble de connaissances, mais aussi de concepts, de protocoles expérimentaux, de savoir-faire techniques qui permettent de produire de nouvelles connaissances. Elle possède aussi une composante sociologique : il n'y a pas de science sans une organisation sociale des hommes qui peuvent la produire. Cela suppose une organisation de l'apprentissage, de la diffusion du savoir, de son contrôle et de sa reproduction. L'une des caractéristiques de la science moderne (depuis le xixe s.) a été un accroissement considérable de la masse du personnel spécialisé dans la production du savoir scientifique et, du même coup, celui des institutions organisant les carrières des travailleurs scientifiques (universités, instituts, etc.) ainsi que des modes de diffusion du savoir (livres, revues, bibliothèques, etc.). De nos jours, certains secteurs de la recherche ont atteint le stade de ce que l'on appelle la mégascience (« big science »). Les investissements destinés à la poursuite des expériences de physique des particules, à l'étude des climats par l'observation spatiale ou à la constitution de la carte du génome humain sont considérables : il faut former et embaucher un personnel important, construire des objets techniques très complexes (accélérateurs de particules comme le LHC, sondes spatiales, etc.), attendre des années pour obtenir des résultats. On comprend alors que toute science ait une troisième composante, la composante pratique, par quoi on peut désigner l'ensemble des intérêts qui font qu'une société poursuive dans telle ou telle direction la production de connaissances scientifiques.
L'éthique scientifique
Les sciences ne sauraient donc se réduire à des corps de propositions vraies, elles sont avant tout des réalités historiques et sociales destinées à produire certaines formes de connaissances. C'est leur histoire qui les distingue d'autres formes d'activités sociales comme sont les religions. On conçoit alors que des propositions fausses ou sans intérêt puissent figurer parmi les productions scientifiques. L'une des caractéristiques historiques des sciences est toutefois la constante rectification des connaissances produites. Les communautés scientifiques sont organisées selon une éthique stricte : la connaissance doit être publique, soumise aux processus de contrôle collectif, jamais admise comme définitive. Elles ont, bien entendu, leurs fraudeurs (vol d'informations, résultats expérimentaux falsifiés, etc.), mais dans le long terme ceux-ci se découvrent toujours. C'est par là que se distinguent les sciences et ce que l'on appelle, aujourd'hui, les pseudo-sciences. On voit, en effet, certains secteurs comme l'astrologie s'organiser socialement comme le sont la physique ou la biologie. Ils ont leurs centres de formation, leurs revues, leurs congrès, leurs écoles, leur histoire, etc. Mais jamais ces pseudo-sciences ne sont soumises au processus de contrôle critique collectif dans le long terme. Parce qu'elles appartiennent à un processus historique complexe, les véritables connaissances scientifiques ont toujours un double statut. D'un côté, elles doivent durer sous la critique : une connaissance scientifique qui changerait de contenu à chaque instant est impossible. De l'autre, leur destinée est d'être remplacées par d'autres connaissances : une connaissance qui durerait indéfiniment sous sa forme primitive serait un dogme et pas une connaissance scientifique. Même les noyaux de connaissance les plus stables et les plus anciens, comme le théorème de Thalès ou celui de Pythagore, ont pour destin d'être reformulés, réinterprétés et réinvestis dans d'autres structures théoriques.